Chapitre 11
Les derniers rayons de la journée vinrent disparaître dans le silence baignant les rues de la citée des gardiens de l’ouest. Derrière l’entrepôt de l’atelier Etefort, dissimulés contre la façade sombre d’un abri à cargaison, la chasse royale suivait les pas de Vincent.
– C’est bien par là que vous avez réussis à entrer tout à l’heure jeune femme ? chuchota le giboyeur.
– Oui, répondit Aria, même en journée c’est le seul endroit calme.
– Ce n’est pas le plus près de notre destination, mais ça fera l’affaire je suppose…
Le groupe avança à l’intérieur et passa quelques portes et couloirs sous les bruits occasionnels des derniers travailleurs encore présents. Ils finirent par trouver un escalier descendant au premier sous-sol et tombèrent dans une petite pièce de stockage poussiéreuse. Au sol, des caisses éparpillées laissaient entrevoir un espace vide où la roche était coupée par une trappe en bois.
“Le passage est juste ici, ils n’ont pas l’air de l’avoir bougé.”
Tandis que Vincent se rapprochait, un bruit se fit entendre sous la trappe. Par instinct, le groupe recula et alla se cacher au fond de la pièce. Deux hommes à la carrure épaisse en sortirent aussitôt, vêtues de tabliers de travail.
– Bon ça c’est fait, reste plus qu’à condamné le passage.
– Et surtout à prier tous les prophètes pour que cette affaire reste dans l’ombre.
Pendant qu’ils parlaient, Ikaar fit quelques signes à Aria. Lorsque les ouvriers arrivèrent à leur niveau, ils se firent surprendre et immobiliser par les deux chasseurs d’une lame sous la gorge. L’un d’eux s’apprêta à crier, avant que le serrement glacial du fer contre son sa peau ne le ravise.
– Ermont, Jean, c’est fini, murmura Vincent. La chasse est là, nous allons nous débarrasser des bêtes une bonne fois pour toutes.
– De quoi parles-tu pauvre fou ? Il n’y a aucune bête ici… soupira l’un des prisonniers.
– Ce n’est plus la peine de faire semblant, l’homme qui te tient est un paladin de la Providence, tu sais ce que cela signifie ? Pense à Marie, je t’en prie, que lui arriva-t-il après cette histoire à ton avis si tu refuses de nous aider.
– Ok, ok, ok… Je vais parler…
– Tais-toi bougre d’âne ! Ou on va finir sous le fleuve tous les deux !
Ikaar calma le récalcitrant en lui frappant les tripes avec le revers de son poing avant de reprendre :
– Bon, on a pas toute la nuit. Les vespièvres sont bien là-dedans ?
Des grognements sourds se firent entendre en provenance de la trappe.
– Oui, vous l’entendez par vous-même… On vient de les nourrir.
– C’est pas bon ça, s’exclama Joacquim, vous les avez réveillés ! Quelle quantité vous leur avez servie ?
– Exceptionnellement, le triple de la ration habituelle, on allait tout condamné et le boss ne voulait pas qu’elles meurent entre-temps.
– Vous avez quoi !? Tout le monde, aidez-moi à reboucher cette trappe vite !
– Qu’est-ce qui se passe !? demanda Gabrielle tandis que les bruits se transformèrent en rugissement rauques.
– Tout ce sang va les rendre complètement frénétiques ! Ces cages ne risquent pas de les retenir très longtemps.
Ikaar et Aria lâchèrent leur otage qui fuirent en direction de l’étage. Les chasseurs et le giboyeur se jetèrent tous sur la caisse la plus proche et tentèrent de la déplacer sur le passage. Dans l’ombre d’un instant, un fracas assourdissant de coups métallique fit trembler les fondations. La trappe se fendit sous une force surhumaine qui fit valser tout dans son sillon.
Un premier monstre débarqua, la gueule puante de sang et les yeux brillants d’une soif animale. Sans attendre, il se jeta sur Gabrielle, qui arriva à la repousser d’un puissant uppercut dans la mâchoire. Sonné, il se rua vers l’escalier et quitta la pièce.
– Je m’en occupe ! cria la guerrière en fonçant sur ces traces.
– Je te suis ! répondit Aria.
Aussitôt, la seconde vespièvre arriva, poussant un puissant rugissement qui assourdit les chasseurs. En réflexe, Joacquim fit un pas en avant et lui jeta une salve de poudre huileuse. Le monstre éternua de façon frénétique et remua le museau dans toutes les directions, se cognant jusqu’au sang contre les caisses et les murs.
Ikaar tendit son bouclier face à lui, se rapprochant un peu plus à chaque seconde, guettant ses mouvements et entendant l’opportunité parfaite. Il finit par abattre sa lance sur le flanc de la bête. Dans un cri strident, elle recula et bondit contre le mur pour se propulser contre Joacquim.
L’alchimiste recula in extremis et tomba à la renverse, sans défenses. Vincent, sous ce spectacle, n’hésita plus. Il sortit sa lame et se jeta sur la vespièvre. Il lui poignarda le dos encore et encore sans retenue, mais se fit propulser à son tour d’un puissant coup de griffe.
À cet instant, la lance du paladin s’illumina d’une lueur dorée et fendit la pièce. Elle toucha la bête et lui transperça le cœur dans une déflagration de sang et de lumière.
Une goutte de sueur au creux de la tempe, Ikaar alla aider Joacquim à se relever.
– Rien de cassé ?
– Non, j’ai bien cru qu’il en était fini de moi, mais notre ami m’a sauvé.
Sur ces mots, les deux chasseurs se tournèrent vers le giboyeur. Il était écroulé contre la paroie du mur, assombrie par son sang. Ses mains tremblantes tenaient avec les dernières forces qu’il lui restait son flanc ouvert. Le paladin alla à ses côtés et se pencha vers lui pour murmurer :
– Que Sanctia bénisse votre âme, Vincent. Vos actions ont étés celles d’un héros… Je m’occuperais personnellement de finir ce que vous avez commencé. J’effacerais vos erreurs.
Dans ses derniers spasmes, l’homme baissa la tête et soupira, les yeux gorgés de larmes :
– Pardonnez-moi… Eric, Alice…
À l’étage, la panique avait pris les esprits. Gabrielle et Aria suivaient avec peine la trace de la bête, se rattrapant par occasion en suivant les cris et les appels à l’aide des pauvres hommes encore dans l’entrepôt.
Leur course les menèrent à l’extérieur, dans les rues boueuses et sombre longeant le quartier. Là-bas, une petite foule fuyait et s’éparpillait avec désordre loin des rugissements. Mais aucune de ces âmes ne pouvait apercevoir la menace. Les corps tombèrent de tous les côtés et les survivants hurlaient au ciel pour supplier à l’aide.
“Ces gens ont besoin de toi… Fonce et tue. Bats-toi jusqu’à ton dernier souffle s’il le faut.”
Gabrielle serra sa mâchoire. Sans hésiter, elle se jeta en faisant fit de son corps pour protéger une jeune femme qui s’apprêtait à être attaquée.
Les griffes acérées évincèrent son dos, le poison eu la sensation d’un millier de lames brûlantes. Sa main empoigna sa flamberge et son bras dégaina, rétorquant avec une fureur animale un coup d’acier qui trancha la patte de la vespièvre qui recula aussitôt.
La chasseresse passa sa main contre sa ceinture, à la recherche de sa fiole à remède. Mais elle ne sentait rien et s’écroula à terre. Dans sa chute, elle vit des morceaux de verres brisés au sol.
Face à ce spectacle, Aria arma sa triarbalète de carreaux à la pointe écarlate. Elle frotta d’un mouvement sec, avec son armure, les pointes qui s’embrassèrent aussitôt. Tandis que son amie peinait à se relever, elle siffla de toutes ces forces. La soif au ventre et le sang bouillant, la bête se retourna vers elle et commença à charger, grognant contre les flammes.
Aria retint son souffle. Le fil du temps semblait se figer dans son esprit, mais ses mains ne tremblaient pas. Lorsque la vespièvre bondit sur elle, ses doigts actionnèrent la gâchette. Les trois projectiles foncèrent ensemble dans les tripes du monstre qui alla s’écraser derrière elle.
L’arbalétrieuse courut jusqu’à son amie et sortit une fiole de sa ceinture. Gabrielle l’attrapa et en bu ’intégralité. Elle sentit dès la première gorgée les battements de son cœur s’accélérer et les brûlures se dissiper.
Les poings serrés contre le manche de son épée, elle se releva et marcha en direction de la bête qui venait elle aussi de se remettre sur ses pattes. Ses yeux la fixèrent d’une lueur embrasée, débordante de haine.
Dans un dernier bond, la vespièvre poussa de tout son souffle un rugissement éclatant. La guerrière qui lui faisait face ne fit pas le moindre pas en dehors de sa trajectoire. Elle l’attrapa au vol, tenant au creux de ses mains sa gueule puante qu’elle plaqua violemment contre le sol. Elle écrasa sa gorge sous ses bottes pour la maintenir en place et lui transperça le corps, laissant les dents acérées de sa lame se repaître de sa chaire.
Durant un bref instant de calme, la foule la regarda avec émerveillement. Un homme finit par s’agenouiller, le visage débordant de larmes.
“La Chasse Royale… elle est venue nous sauver ! Bénie soit la Providence !”
Des exclamations résonnèrent dans les rues, malgré les quelques gens, qui restaient silencieux, accroupis contre des carcasses qu’ils chérissaient autrefois.
Le lendemain de l’incident des quartiers industriels de Varfort, William Etefort fut retrouvé sur la route de Viazur et enfermé dans l’attente de son exécution. La Chasse Royale repartie au même moment vers la Capitale, à l’exception d’Ikaar, qui dut rester pour quelques affaires.
Lorsque le soleil avait atteint son apogée dans le ciel, il revint seul sur les traces de l’enquête et s’arrêta devant une cabane aux jardins parsemés d’établis. Le regard empli d’une flamme discrète, il descendit de sa monture, laissant sur place son bouclier et sa lance.
Après s’être avancé de quelques pas, il ferma les yeux joignit ses mains devant lui.
“Sanctia, oh mère des forces divines, aie compassion pour ces âmes…”
La pierre de Stelite incrusté sur son plastron brillait d’une lueur dorée. Un petit vent se leva. Une ombre planante surgie et semblait menacer l’arrivée d’une tempête, mais le ciel était bleu, dégagée d’Azur jusqu’aux montagnes noires.
“Elles qui ont étés bannies de ton œuvre, corrompues par de vils sacrifices, nourries du Grand Mal en personne…”
Alice et Eric sortirent de leur maison, regardant avec confusion le paladin au pied de la colline.
“Accepte-les, laisse les embrassés l’étreinte du paradis que tu construis et prend pour gage de leur purification ces enveloppes humaines…”
Dans un élan de panique, le jeune homme et la femme bondirent en arrière et tentèrent de se réfugier. Il était néanmoins trop tard pour cela. Un souffle lumineux flasha depuis le cœur d’Ikaar, vaporisant tout dans son sillon. De grandes flammes jaillirent depuis la cabane. Devant la porte d’entrée, étaient écroulés deux tas fumants de chaire carbonisé.
Le paladin se retourna et reprit sa monture. Sur le chemin, il tourna la tête et pris le temps d’adresser un dernier regard à son carnage.
“Je l’ai fait Vincent, j’ai effacé tes dernières erreurs. Que vos esprits s’élèvent une fois venu le temps des dieux…”
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