Chapitre 12
La Place des Fondateurs n’avait jamais vus en son sein une foule si grande. Au cœur d’Azur, dans les remparts même du palais royal, tous les nobles de la Capitale et des régions alentours avaient fait le déplacement. Au sommet de son perchoir de marbre et d’or, surplombant des bannières titanesques aux couleurs du ciel éclaircie, le Grand Roi Gregory salua ses sujets.
À ses côtés, les soldats d’élites de la Chasse Royal étaient agenouillés dans la tradition de leur serment envers la Providence.
“Peuple d’Azur, je me présente aujourd’hui pour vous informer que l’humanité a été trahie ! La tentative d’invasion qui a frappé notre Muraille Ouest, le rempart que nous dressons avec fierté contre le Grand Mal, n’était pas la source d’un banal incident… Devant vous et devant Sanctia elle-même, je l’annonce : L’Empire Maérique a commis la transgression ultime en envoyant dans nos frontières des espions qui ont conspiré pour briser le Mur !”
Sous ces paroles, la foule s’indigna. Le Roi laissa les murmures et les exclamations subsisté pendant quelques secondes, avant de faire un pas en avant et de reprendre :
“Il n’est néanmoins pas de la sorte que l’hérésie vaincra ! Nos soldats et nos chasseurs ont lutté, donnés leur vie et combattus d’une ardeur exemplaire. Il est bien grâce à cette résilience, je vous l’assure, que Sanctia a envoyé elle-même une guerrière qui a repoussé l’invasion de sa seule force ! La voici devant vos yeux, la pourfendeuse divine, Gabrielle !”
La chasseresse se leva et avança d’un pas tremblant en direction de la foule qui scandait déjà son nom et applaudissait sa venue. Un serrement fort lui pris l’estomac. Sa gorge était sèche. Tous ces visages devant elle devenaient floue et semblaient se mêler à une masse informe. Sa tête tournait et ses oreilles se mirent à siffler.
– Psst, mets-toi à genoux, c’est le moment, lui chuchota Aria derrière elle.
La jeune femme s’exécuta et vit le Roi dégainé une lame d’or, ornée de gemmes et de gravures divines. Il posa sa pointe sur son épaule.
“Toi qui as prouvé ta valeur et ta force sans égale. Toi qui honores avec ferveur la Providence absolue. Par tous les droits qui me sont accordés, je te nomme membre de la Chasse Royale. Que tous les habitants de nos terres t’offre leur reconnaissance invétérée et qu’aucune route ne te soit barrée. Car tu deviens désormais le bras droit de Sanctia, mère des hommes et créatrice du domaine dans lequel nous vivons.”
Après la cérémonie, tandis que Gabrielle marchait aux côtés des autres chasseurs, la tête baissée et le regard fuyant, un homme au manteau chic et à longue coiffe blonde vint la saluée. Il portait lui aussi les couleurs royales et venait d’arriver d’un pas pressé.
– Je n’arrive pas à croire que j’ai loupé ta proclamation de si peu ! D’ailleurs, je me présente : Vaïque, je fais partit de la Chasse aussi.
– Salut… Moi c’est Gabrielle.
– Oui, oui, je sais, encore désolé de ne pas être arrivé à temps. Je reviens tout juste d’une galère sans nom.
– Et quel est ton rapport sur la situation à l’Est ? Demanda Ikaar d’un ton grave.
– Il y a bien eu des regroupements de monstres dans la région, près des montagnes, mais ça s’est calmé depuis la fin de l’invasion. J’ai quand même dû stériliser quelques nids pour que les environs redeviennent sûrs.
– Très bien, maintenant que tu es là, reprit Joacquim, tu vas pouvoir m’aider avec notre nouvelle recrue. Il va falloir faire un travail important de formation. Elle a grandi dans les Terres Oubliées, donc il faut presque tout reprendre de zéro. Même s’il n’y en a pas deux comme elle pour manier l’épée.
– C’est… C’est vraiment obligé de faire ça maintenant ?
Sur ces mots, Vaïque posa ses mains sur les épaules de Gabrielle et répondit :
– Bien sûre ! Vois-tu, tu es à une étape que chacun de nous a dû passer. Cette mine effondrée que tu as, j’avais la même. Il n’y a pas de meilleur moment pour t’apprendre, et la première leçon sera celle-ci : tu as vu des gens mourir, c’est terrible, mais tu en verras d’autres et ta fin sera probablement la pire de toutes. Il s’agit du serment que tu as tenue en nous rejoignant. Néanmoins, malgré tout ça, tes actes seront ceux d’une véritable chasseresse et ton nom sera ancré de façon indélébile dans l’histoire des Hommes.
– Je m’en fous de l’histoire… J’aurais juste aimé pouvoir faire plus…
– Dans ce cas, suis-moi. Je vais t’apprendre ce qu’il y a à savoir pour agir au mieux dans tes missions.
Aria s’avança vers son amie et lui murmura :
– Vas-y Gab, c’est important.
Silencieuse, la jeune femme pris une discrète inspiration et rejoignit Vaïque. Tous deux allèrent dans une immense cours d’entraînement brodant la forteresse de la Chasse. Là-bas, le mage prépara sur une table une série d’armes de tout genre. Il y avait des lames, des marteaux en passant jusqu’aux arcs et aux arbalètes.
– Ce que tu vois devant toi, ce sont presque tous les types d’armes que les Hommes utilisent.
– Et la magie ?
– La magie n’en est pas plus une que tes poings, mais ce n’est pas à moi de te l’apprendre. À ton avis, laquelle est la plus adaptée à la chasse au monstre, en excluant les sermons de Joacquim sur l’importance du savoir ?
– Je sais pas trop, si je n’avais pas ma lame, je prendrais celle qui s’en rapproche le plus. Donc je dirais cette épée à deux-mains, là.
– Tu as trouvé ton style de combat, c’est un bon début mais une mauvaise réponse. En réalité il n’y en a pas à cette question. Dans la chasse au monstre, toute arme est à voir comme un outil. Sans un arsenal adapté et les mains qui vont avec, rien ne peut être fait. Un arbalétrier isolé par exemple ne servirait pas plus qu’un épéiste sans personne pour le couvrir. C’est pour cela qu’un chasseur ne se bat jamais seul, car il fait partit d’un tout uni. La différence entre de simples mercenaires et des soldats royaux tels que nous est cette confiance aveugle que l’on se porte. Si tu ne parviens pas à la développer, tu ne survivras jamais plus d’une saison à nos côtés. À contrario, une fois qu’elle est acquise, tu deviens l’adversaire le plus redoutable que le Mal puisse affronter. Bon, si tu as compris ça, on va pouvoir passer à la pratique.
– D’accord, je suis prête, dis-moi ce que je dois faire.
Vaïque s’avança au milieu de la cour et répondit :
– Attaque-moi, essaye de me faire plier genou.
– D’accord, mais ne me blâme pas si je te fais mal.
Gabrielle se rua sur son instructeur sans plus de questions. Lorsqu’elle arriva face à lui, et qu’elle tendit ses bras pour l’attraper, une lueur turquoise se mit à émaner du diadème qu’il portait. Elle reconnut en un instant la même lumière magique que celle des guérisseuses royales. Dans la panique, elle bondit en arrière, perdant l’équilibre tandis qu’une déflagration glaciale la repoussa.
La jeune femme était au sol. Un froid brûlant lui prenait la chair des membres, l’empêchant de se le relever pendant plusieurs secondes. Vaïque se rapprocha d’elle et reprit :
– Si j’avais visé ton cœur, il sera déjà arrêté à l’heure qu’il est. Tu as engagé le combat sans aucune évaluation du danger que je pouvais représenter. Les bêtes ne sont pas bien différentes des Hommes à cet égard. Si elles ne pensent pas avoir l’avantage certain, elles se batteront, sinon, elles fuiront. Tâche de toujours réfléchir à ce qui fait rester ton adversaire dans la bataille.
– Ouais, ouais, je pense que j’aurais bien compris aussi avec juste des mots…
– Au contraire ! C’est dans la douleur que les leçons sont le mieux apprises. Mais j’ai dû y aller un peu trop fort, je ne pensais pas que tu aurais autant de mal à te relever. Viens, je vais t’aider.
Vaïque tendit sa main à Gabrielle, qui l’attrapa et bondit sans prévenir sur lui. Elle lui agrippa l’autre poignet avant qu’il ne puisse réagir et lui assena un coup de tête violent. Une fois son attaque réussie, elle lâcha son adversaire et recula de plusieurs pas.
Le mage s’écroula à quatre pattes, tenant au creux de sa main son nez ensanglanté. Il sourit, se releva et guérit sa plaie d’un simple revers de magie.
“Je reviens sur mon jugement, tu as réussi le test.”
Quelques heures plus-tard, après une série d’entraînement épuisante, Gabrielle se retrouvait avachie dans la bibliothèque du fort, accompagnée de Joacquim.
– Ce n’est pas le moment de rêvasser. C’est à mon tour de te former.
– Est-ce que toi aussi tu vas me jeter ta magie dessus ?
L’érudit pouffa discrètement avant de répondre :
– Non, il ne s’agira point de cela. À vrai dire, je vais simplement t’apprendre les savoirs fondamentaux. Les forces magiques par exemple, tu aimerais probablement comprendre comment Ikaar ou Vaïque arrivent à faire de telles choses ?
– Si ça peut m’aider à l’entraînement, pourquoi pas…
– Cela te servira bien au-delà de ça. Vois-tu, la magie n’est en soi que la manifestation des forces qui nous anime. Elles sont au nombre de trois : le Contrôle, la Concentration et le Chaos. Ensembles, elles composent l’énergie vitale qui fait nos âmes. Un simple Auriromencien, par exemple, ne puise sa magie que dans ses propres ressources. Dans son cas, il consomme les trois forces de façon équitable mais peut concentrer l’une d’elle en un point précis. Il est grâce à cela que tu peux différencier un soldat d’un vrai maître. Car le puisement personnel est faible et engendre des manifestations involontaires comme de la chaleur ou des artefacts lumineux.
– Mais quand Vaïque le fait, il n’y a rien, tout est normal et d’un coup un vent de glace sort de ses mains.
– La raison est simple. Comme Ikaar, c’est un Géminencien hors pair. N’as-tu jamais remarqué la gemme sur son diadème ? C’est un fragment d’Amnite, une pierre très rare qui contient naturellement une grande quantité d’énergie de Contrôle. Il y puise sa magie et ne se sert de son corps que comme catalyseur. De part ce fait, il est bien plus redoutable que la majorité des humains que tu croiseras dans ta vie. S’il t’arrivait de confronter une mage équipée d’une gemme, je ne pourrais que te conseiller de ne jamais y aller seule.
– Et les Omnimenciens ? Tu m’avais dit que ma mère en était une ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
Joacquim s’assit en face de la jeune femme et poussa un léger soupir.
– L’Omnimencie est pour beaucoup le plus grand don que Sanctia ait fait à l’humanité… Pour moi, c’est la plus vile des malédictions.
– Comment ça ? Qu’est-ce que ça fait ?
– Il s’agit de la capacité à puiser l’énergie magique de toute source, principalement des autres êtres vivants… Personne ne peut l’apprendre, une poignée de personnes dans le monde peuvent naître avec. Mais la plupart meurent au moment de le découvrir. Sans supervision ni connaissances précises, il est simple de dépasser ses limites sans même s’en rendre compte. Mais ce n’est rien comparé à ceux qui vivent avec le fardeau des actions qu’ils entreprennent avec leur magie. C’est pour cela que je me sens plus à l’aise à combattre des monstres qu’à partir au front contre les ennemies du Royaume. Mais le luxe de ce choix n’est pas offert aux Omnimenciens.
– Comment ça se fait qu’ils aient exilés ma mère dans la Terre des Géants alors, si elle était si précieuse ?
– Je pense qu’elle a simplement fait le choix de cacher sa véritable nature au monde. Il n’est probablement qu’une personne comme elle qui aurait été en mesure de survivre si longtemps dans cet enfer, jusqu’à en élever un enfant… Mais une chose est sûre de mon point de vue, tu possèdes quelque chose toi aussi, mais rien de semblable à l’Omnimencie… Quoi qu’il en soit Gabrielle, retient une chose : la liberté dans ce monde ne peut être offerte qu’aux simples humains.
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