Chapitre III partie 1
— Mais pourquoi ? Pourquoi as-tu fait cela ? Tu te crois plus forte que tout le monde, plus intelligente ? Eh bien, je vais te remettre à ta place moi, petite écervelée ! scanda Daneen à l’adresse de Lyse.
J'ai encore un peu de contrôle sur toi ! Primo, tu es toujours trop faible pour me battre et deuxio, tu ne peux pas sortir en pleine journée, fanfaronna-t-elle.
Daneen se rua sur Lyse, à genoux au sol à bout de force, et la prit par la gorge pour la forcer à la regarder dans les yeux. Elle plongea son regard émeraude dans celui de sa protégée : ce qu'elle redoutait était arrivé. Lyse avait fait taire ses émotions. Sans doute pour ne plus rien ressentir, ni la douleur des victimes qu'elle fera, ni une once de bonheur qui pourrait lui être accordée. Lyse ne l’avait pas fait volontairement, non, c’était tout autre chose… Son fond était terne à présent et les veines autour de ses yeux ne s'étaient toujours pas résorbées.
La tâche lui serait alors bien moins aisée, contrôler une vampire dépourvue de toute émotion n'allait pas être une mince à faire. Et tenter de les lui faire retrouver était encore moins une solution à envisager. Déjà d'humeur sanguinaire, Lyse avait comme objectif de devenir la détentrice de tout pouvoir, quitte à joncher de cadavres les chemins qu'elle arpenterait ; alors lui faire ressurgir brutalement toute forme d'émotion la rendrait encore plus encline à massacrer la cité. Tout cela, sans savoir si elle y survivrait. Étant donné que Daneen elle-même avait failli y laisser la vie, dix ans plus tôt : transformée de force en bête sanguinaire lors d'un trajet vers la Vallée des siècles, au centre Nord du continent. Alors sans cesse assoiffée, elle avait été dressée pour tuer et fut également privée de ses émotions par l'hypnose, afin de l'endurcir.
Toutefois, Daneen n'avait néanmoins pas perdu la mémoire, ni son objectif premier : cela, personne ne pourrait jamais le lui voler. Son esprit avait la capacité de se compartimenter, un avantage qui protégeait alors ses convictions profondes.
Après plus de trois années d’assouvissement, profitant donc de l'inattention de ses ravisseurs au cours d'une nuit, qui n'était pas une pleine lune, pour augmenter ses chances de discrétion, elle trouva la solution afin de retrouver ses sentiments. Daneen était bien déterminée à se libérer de ses chaînes. La vampire avait préparé ses plans au millimètre près, rien ne pourrait la faire reculer ou la faire échouer. En effet, ayant saigné ses gardes jusqu'à obtenir la clé de sa cellule, elle sortit plus vite qu'un éclair hors de sa prison.
Daneen ne vit jamais le visage de celui avec qui elle avait pactisé afin d'être comme elle l'était actuellement, mais il l'avait fait souffrir encore plus. Malgré tout, ces tortures en valaient la chandelle. Une fois sa liberté retrouvée, son corps ne supporta pas la vague déferlante d'émotions contenues durant trois années. Son martyr dût alors la laisser se dessécher afin de la faire passer du repos à un sommeil presque éternel. Une mort de près d’un lustre pour ainsi laisser son corps s'habituer à son nouveau Soi. Mais cette libération n'était évidemment pas sans contrepartie. L'être inconnu lui fit promettre de ne jamais révéler sa véritable nature à quiconque qui était d'une espèce différente, et enfin de ne se nourrir que de sang de lignées nobles. Il était alors dans l'intérêt de Daneen de protéger la royauté : les servir pour mieux les trahir.
Daneen entreprit alors de traîner Lyse à l'intérieur de la basilique, qu'il faudrait par ailleurs remettre en état par peur de représailles et de scandale.
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Était-ce un rêve, je ne savais plus...
Cela faisait une semaine que Celest était venu me rendre visite et depuis qu'il était parti sans un mot, je ne cessais d'être sur mes gardes. Une lourdeur pesait sur mon estomac, et une impression stressante d'être suivie persistait. Je voulais qu'il revienne, qu'il soit là pour moi mais rien n'y faisait, je demeurais seule. Il ne se souvenait de rien : il ne pouvait m'aider.
J'avais eu beau le secouer de toutes mes forces, cet imbécile, il ne réagissait pas. Mon ami semblait comme formaté de l'intérieur et je n'avais rien pour le raccrocher à la réalité. J'avais presque l'impression que je ne l'avais peut-être jamais rencontré, qu'il n'existait pas, que c'était ma mémoire qui divaguait... Non ! Impossible, je ne pouvais pas créer mentalement une personne de toutes pièces.
Klarysse tentait coûte que coûte de se persuader qu'elle ne sombrait pas dans la folie. Mais peut-être avait-elle tort ?
Je m'enfermai dans ma solitude, je ne m'accrochais plus qu'à des souvenirs qui filaient comme de l'eau entre mes doigts. Il fallait que je pense à autre chose, à tout prix ; sinon je ne m'en sortirai jamais. Il fallait que je parte ! Loin, loin d'ici. Si seulement je pouvais passer outre l'océan qui nous sépare de Nouth.
Ce continent, je pensais le connaître par cœur, sans pour autant y avoir jamais mis les pieds. Un paradis disait-on, qui s'étendait sur plusieurs cinquantaines de kilomètres au-delà de la côte ouest de Saphre.
Je voulais m'y rendre, changer d'air et sentir le froid brûlant qui caractérisait son climat. Je désirais voyager, conquérir tout ce que je ne connaissais pas. Vibrer au rythme des vagues glacées, quitter un confort beaucoup trop beau. Quitter ce que je ne méritais pas, et rejoindre ce pour quoi j’étais réellement revenue. Après dix-huit années d'existence sur Saphre, j'estimais que j'avais bien le droit d'aller voir ailleurs. Mais cela, tout le monde n'en était pas d'accord. Depuis plusieurs siècles, les échanges entre nos trois continents proches étaient prohibés. Alors, des descriptions de Hė et Nouth j'en avais lu, certes, mais plus personne, ici, ne savait encore à quoi ceux-là ressemblaient. Étaient-ils encore même peuplés ?
Malheureusement, la voie des airs et les voies maritimes, autrefois réquisitionnées pour d’illustres conquêtes, se cantonnaient à être examinées à des fins scientifiques.
Un projet germa alors en elle : Klarysse désirait se rendre à l'extrême ouest de Saphre pour tenter de trouver un moyen, quoi qu'il en coûtait, pour pouvoir traverser. Survoler cette luxuriante eau bleutée, encore chaude et doucement salée. Elle entreprit alors de faire quelques préparatifs. Un départ, ça ne se faisait pas sur un coup de tête, ni en deux temps trois mouvements, même si c'était bien plus que tentant. Déjà fallait-il trouver un motif valable pour être dispensée de sa scolarité.
J'aviserai plus tard, se dit-elle. Le plus urgent était de mettre la main sur des armes.
Klarysse jeta son sac à dos sur son épaule droite, scruta son apparence quelques secondes dans le miroir du hall d'entrée, puis tira la porte d'un coup sec pour se précipiter à l’extérieur. La lumière du soleil lui agressa les yeux au premier abord, ce qui la força à les lui faire plisser. Une semaine qu'elle n'était pas sortie de chez elle, et déjà son corps n'était plus habitué. Mais l'astre lumineux irradiait bien plus que d'habitude, des rayons perçaient plus facilement la couche d'ozone fragilisée. La jeune fille aimait sentir la chaleur de celui-ci caresser la surface de son épiderme très pâle, peut-être que cela serait susceptible de réchauffer un instant son cœur.
Klarysse commençait à arpenter les rues de Chrymès, de manière automatique par habitude. Ces rues, elle les connaissait par cœur ; son sens de l'orientation était hors pair et sa mémoire encore plus. Elle était capable de se souvenir d'un itinéraire parcouru seulement une fois ; et passa sur la place de la cathédrale, entourée de cafés inondés d'une foule joyeuse. Le climat était idéal, l'été pointait le bout de son nez et rendait euphoriques les habitants. Le soleil projetait l'immense ombre de la cathédrale au centre de cette place fortifiée, renforçant son aspect de supériorité.
Les deux tours lançaient leur flèche au fond du ciel et les cloches résonnaient harmonieusement jusqu'à leur sommet. En descendant le long de ces flèches, on observait des sculptures semblables à de la dentelle de pierre qui s'enroulaient autour d'elles, telles des lianes. Les arcs brisés ornaient les montants du monument appartenant au style gothique et des colonnes se dressaient à perte de vue, se succédant par enjambement. Un prodige réalisé à la perfection, il y a près de deux mille ans. En redressant le regard, s’offrait à nous l'horloge astronomique incrustée sur la tour de façade, surplombant ainsi la vue. A l’heure du zénith, alors orientée précisément lors de son inauguration, son ombre projetait un motif au centre de la place. Durant la construction, les architectes eurent goût de jouer avec les clairs et ombres de leur œuvre. Néanmoins plus terne qu'auparavant, la pollution et l'âge l'ayant rongée, elle ne perdait pas de sa superbe pour autant. Les vitraux à doubles arcades surmontées d'une rosace chacun, faisaient danser une multitude de couleurs sur le sol de marbre intérieur.
Un haut escalier à hélice, de granite vert d'eau, serpentait au cœur du bas-côté gauche et débouchait sur un plateau supérieur, à hauteur de l'horloge, offrant un panorama de toute la cité. Il était froid au toucher, mais rempli de chaleur car foulé par tant de personnes auparavant. Des motifs incurvés longeaient un axe imaginaire et semblaient couler le long de la rampe de celui-ci.
En se déplaçant jusqu'au fond de la cathédrale, une centaine de pas plus loin, on pouvait admirer les nuages passer dans ciel à travers l'occulus de la coupole en verre. Annexée bien plus tard pour ouvrir encore plus le cœur du monument, la coupole sur pendentif était soutenue de toutes parts par des piliers en pierres sculptées, recouverts de poudre de coquillage pour leur donner cette couleur blanche. Les rayons lumineux venaient frapper la surface pelliculaire de l'eau cristalline contenue dans la vasque en cuivre patiné.
En façade Nord, sur les portes du chef-d'œuvre architectural, étaient représentés les cinq éléments mythiques de la création: l'Eau, l'Air, le Feu, la Terre et l'Alchimie. Ceux-ci gravés et mis en scène comme des personnes en chairs et en os, se livraient bataille sur leur monture.
L'Eau et le Feu chevauchaient leurs dragons respectifs, doté de quatre pattes pour elle, de deux pour lui ainsi que d’une gigantesque paire d’ailes sur les flancs. Le jet de leurs flammes noyait le centre des portes dans un décor polychromé. Les artistes du passé avaient travaillé d'une telle minutie, que la gravure peinte trompait l'œil, donnant une dimension supplémentaire à une œuvre qui n’en comportait que deux. Les personnages paraissaient comme être réellement en mouvement et presque en relief. Les créatures légendaires s'affrontaient plus que jamais. Ceci illustrait le récit sur lequel reposait le mythe de la création de l'Ancien Continent que formaient auparavant Saphre, Hė et Nouth : Thrasys.
Le Maitre de l'Air surfait sur une vague de vent, qui l'emportait là où bon lui semblait ; le visage serein, il semblait libre et détendu, à coté́ de ses compatriotes, tout comme l'Alchimie. Ses yeux plus clairs embués de brume le rendaient évasif.
L'Alchimie était symbolisée par une jeune femme, sans laquelle l'équilibre naturel ne tiendrait plus, mais avec laquelle tant le bien et le mal se sont déversés.
L'Alchimie liait les quatre autres éléments.
Elle apparaissait de dos, vêtue d'une robe transparente laissant deviner les courbes de son corps ; sa main gauche posée sur son omoplate droite, cachant une partie de sa marque. Ses cheveux couleur bronze aux reflets cuivrés étaient agités par le vent. Son regard déterminé se tournait vers le sceptre de la création, tout-puissant, qu'elle tenait du bout des doigts, pointant le pouvoir infini. Semblable à un sceptre royal et à une lance de guerre, y figurait un serpent noir de jet, qui s’enroulait autour du manche à la flèche.
La Magie, une arme redoutable qui pesait sur quiconque la détenait, même sur sa créatrice qui la brandit. L'Alchimie se présentait dans une enveloppe charnelle pure et innocente, mais en scrutant celle-ci de plus près, son cœur n'était qu'obscurité au travers de sa peau rosée. Ce cœur impur et son stigmate qu’elle cachait, révélaient un part du mal originel. La Lune jetait le reflet du Soleil sur la pointe du sceptre incrustée d'éclats d'os.
Klarysse laissa son regard courir sur toute cette œuvre d'art et puis s'en détourna pour continuer sa route ; le temps lui était compté plus que jamais. Elle manqua de s'enfoncer dans un fossé́ de pavés bien moins réguliers que les autres, lorsqu'une main la rattrapa précipitamment au moment où̀ elle perdit l'équilibre.
— Alors ? Tu croyais vraiment t'en sortir comme ça ?
— Que... quoi ?, balbutia-telle soudainement prise par surprise.
— Tu sais, c'est vraiment impoli de prendre la fuite sans prévenir. Si tu pensais te débarrasser de moi comme ça, je crois que tu te mets vraiment le doigt dans l'œil, lança Celets toujours avec son air blagueur.
Klarysse se jeta brusquement au cou de son ami, le serra fort, très fort, quitte à l'étouffer. Pourquoi ce crétin avait toujours la manie d'apparaître au moment où elle s'y attendait le moins ? Le pire c'était qu'il tombait toujours à pique.
Voilà ce qui me manquait, je ne songeais plus à rien, seulement à la sensation réconfortante de poser ma tête sur son épaule, de lui tirailler gentiment les cheveux. Mais la dure réalité me revenait aussitôt en pleine face, une douleur me lançait dans la cheville gauche sur laquelle je m'étais rattrapée avant que Celest ne m’ait retenue.
Juste une petite entorse sans doute, sans lui la foulure aurait peut-être été de mise.
— Hé oh ne t’endors pas non plus… Je ne sais pas où tu allais, mais tu m’avais l’air bien pressée, dit-il en la secouant. Si tu veux, je te ramène chez toi et…
— Non, non surtout pas, il faut que je parte, vite, chuchota-t-elle en baissant le regard et en desserrant son emprise sur lui. Je ne peux plus rester ici, j’ai assez perdu de temps comme ça.
— Mais de quoi parles-tu ? Tu sais, ce serait bien si tu exprimais tes propos plus clairement parfois ; je n’ai pas la science infuse à ce que je sache, répondit le jeune homme en passant une main derrière sa tête.
Le visage de Klarysse s’assombrit alors.
— Mais non, ce n’est pas ce que je voulais dire, désolé mais il va vraiment falloir que tu t’y habitues, sinon je crois que tu vas réellement finir dans le fossé, conseilla-t-il en poursuivant.
— Merci de me rassurer.
— Non ne t’inquiète pas, si ça devait arriver c’est moi qui t’y aurais poussé. Mais trêve de plaisanteries, dis-moi maintenant ce que tu faisais toute seule comme ça, à courir à moitié après je ne sais quoi.
— Je veux partir je te dis ! Rejoindre la côte ouest, changer de vie, haussa-t-elle le ton.
A vrai dire, Klarysse était contente de le revoir, mais il venait totalement contrecarrer ses plans.
Comment pouvait-il se permettre de ressurgir comme ça, sans donner de nouvelles, et venir me réclamer des comptes alors qu’il ne me disait même pas où il était passé ?
— Je suis désolé de ne pas t’avoir contacté durant la semaine qui vient de s’écouler, mais j’étais très occupé.
Et il sait lire dans les pensées qui plus est ? Était-ce une coïncidence ou non : ce n’était pas la première fois que cela arrivait.
— Je ne peux pas t’en dire plus pour le moment…, répondit-elle sans nuance dans la voix.
— Mais tu ne peux pas abandonner tout ce que tu as construit ici en deux petites secondes enfin ! Tu es totalement inconsciente ou quoi ?, scanda-t-il plutôt par peur et par protection envers son amie. Il songea donc.
Zut je n’aurais peut-être pas dû lui dire ça, mais bon, on ne peut pas retirer ce qu’on a dit. Et puis mince alors, ça fait deux minutes que je l’ai rejointe et je dois déjà m’excuser, faut pas rire quand même : elle ne me dictera pas ce que je peux dire ou non.
Un ami ce n’est pas fait pour toujours vous laisser entendre ce que vous voulez, pensa Celest.
Klarysse se calma néanmoins et lui proposa d’aller prendre un petit café pour s’expliquer. Ils auraient alors l’air tous deux de se fondre dans cette masse de gens euphoriques. Alors assis en terrasse, Celest tenta de remonter sur le sujet, mais Klarysse le coupa net avant qu’il n’ait pu sortir un seul mot.
— Je tiens tout d’abord à m’absoudre de la froideur dont j’ai fait preuve tout à l’heure, mais je ne suis plus vraiment dans mon état normal et à vrai dire : je ne sais plus ce que je fais ici. Je ne te demande pas d’excuser mon comportement, mais uniquement de me comprendre, de ne pas m’empêcher de faire ce que j’ai à faire. Alors pour reprendre tout depuis le début, il faut que je t’explique ce qu’il s’est passé la semaine dernière quand tu es venu chez moi...
Celest l’interrompit tout de même malgré son mécontentement :
— Pas besoin de m’expliquer je me souviens de ce qui s’est passé, fit-il assez sèchement pour couper court à l’incident.
— Ah bon, très bien.
Mais ce dont il pensait se souvenir n’était en réalité, pas comme l’avait vécu Klarysse.
— Tu vas finir par me l'expliquer la raison de ton attitude étrange, oui ou non ? Parce qu'à force de tourner autour du pot ainsi, on ne va pas avancer bien loin, s'impatienta-t-il.
— Eh bien, je veux aller sur Hė !
— Pardon ? Répète un peu ce que tu viens de dire...
— Tu m'as très bien comprise Celest, là c'est toi qui ne veux pas aller droit au but.
— Tu as perdu la tête Klarysse ! Si tu crois encore que tes désirs sont irrévocables, je crois que nous allons avoir de sérieux ennuis. Mais dis-moi, pourquoi tiens-tu à ce point à passer outre-mer ? Tu as toujours eu des fâcheuses tendances à vouloir l'impossible ou c'est juste avec moi que tu en profites ?
— Si je te dis que c'est une décision mûrement réfléchie et non pas un coup de tête, tu ne pourras pas m'en empêcher, mentit-elle un peu car elle se jetait la tête la première.
Et le pourquoi je veux m'y rendre ne te regarde pas. Je ne te demande pas de me suivre ni de m'aider ou encore devenir mon complice, mais juste de me laisser faire ce que je veux pour une fois dans la vie. Les restrictions, les règles, les lois, j'en ai par-dessus la tête. J'ai fait le tour de cette ville, tu peux comprendre ça ? Que j'ai envie de changements, d'évolution. J'ai fait une rencontre merveilleuse avec toi, mais même si tu plaides ta cause comme quoi je suis irrationnelle et que tu veux me protéger, tu ne me feras pas changer d'avis. Suis-moi ou non, c'est toi qui choisis ; mais dans les deux cas, je veux avoir la paix, être libre.
— Bon sang, quelle mouche t'as piquée enfin !, insista Celest en s'agitant sur sa chaise. Et qui plus est, je ne t'ai jamais entendue dire que tu ne te plaisais plus sur Saphre. Alors je ne vois vraiment pas la vraie raison pour laquelle tu prends la fuite ainsi, mais puisque tu ne comptes pas lâcher le morceau de sitôt, rien ne sert de m'acharner il me semble. Et puis si tu voulais réellement changer d'environnement, tu pourrais tout simplement déménager plus au centre du pays, ce serait plus simple ne crois-tu pas ? Je suis certain que tu n'as jamais été exploré tout ce que Saphre a à nous offrir. Malgré tout, une fois arrivée sur la côte ouest, que comptes-tu faire ?
— Je crois que tu me sous-estimes bien trop mon ami et que tu ne me connais pas si bien que ça finalement. Ou alors,...
Franchement, un véritable ami ne me parlerait pas comme cela, ce n'est pas normal... Bien qu’à y réfléchir de plus près, nous nous étions rapprochés en peu de semaines, peut-être trop vite. Et si l'hallucination que j'avais eue une semaine plus tôt avait impacté son esprit ? Ou bien cela est-il peut-être dû à la faille temporelle ? Une chose était sûre, c'était que oui il me prenait totalement pour une folle, une fille qui savait toujours ce qu'elle voulait, mais jamais il ne m'aurait jamais empêché de réaliser un rêve lointain. Parce que seul lui pouvait me comprendre, il ne pouvait retourner sa veste ainsi... Ou alors peut-être est-ce moi qui ne le connaissais pas si bien. Sous ses airs blagueurs et d'insouciant, peut-être n'était-il pas ce qu'il prétendait être, songeât-elle en sentant une odeur étrange dans l'air.
Une odeur qu'elle n'avait jamais sentie auparavant, comme une effluve désagréable et maléfique. Alors Klarysse se redressa sur sa chaise brusquement, toujours avec un air impassible bien qu'une once d'énervement était perceptible. Dès lors, la jeune fille attrapa sa tasse de café qu'elle avala d'un trait, et se précipita hors de la terrasse sans crier gare en empoignant son sac.Tournant les talons impoliment sans un regard envers son ami, elle reprit sa marche effrénée, entamée quelques temps plus tôt. Elle rejeta sa mèche de chevelure blanche qui entravait sa vision et se mit à courir à pas furtifs. Le vent se levait, et allait dans le sens contraire du sien, ce qui lui demanda plus d'efforts pour lutter dans sa course.
— Bon, je vais la laisser courir un peu et quand elle s'apercevra qu'elle n'a plus sa précieuse montre au poignet, elle reviendra tête baissée pour venir la récupérer. Sans elle, son passeport de voyage est caduc !
Qui a dit que je ne la suivrai pas dans sa quête ? Mais pour cela, il va falloir qu'elle le mérite..., marmonna Celest pensivement, en terminant aisément son café et en agitant ses doigts sur la table. Qu'est-ce qu'elle peut être crédule ! Klarysse croit que j'ai perdu la mémoire, que je ne sais rien de ce qu'il s'est passé la semaine dernière, c'est faux. Peut-être n'ai-je pas vu la même chose qu'elle, mais je suis persuadé de l'avoir senti.
Après avoir lui aussi sondé longuement les alentours de la place cathédrale, Celest déposa quelques pièces sur la table et quitta la terrasse.
Le jeune homme était en fait resté plus longtemps qu'il ne l'aurait cru à attendre. Klarysse n'était finalement pas revenue vers lui. Peut-être ne s'était-elle pas rendu compte de la perte de son objet précieux. Bien qu’à bien y réfléchir, cette hypothèse lui paraissait presque improbable.
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