Chapitre III partie 2
Le noir tombait trop vite à son goût, et Celest se résigna rapidement à rentrer chez lui. Empruntant à nouveau les ruelles pavées comme sa congénère, précédemment, il se concentrait à chaque passage sur les façades des habitations, afin de les mémoriser. La diversité était telle, qu'on pouvait glisser d'une maison enduite à la chaux, vers une dotée de colombages boisés et d'encorbellements ou encore une habitation en pierre taillée submergée de lianes et de glycines grimpantes.
Celest, apercevant ces fameuses glycines, ses fleurs préférées, s'en approcha à pas feutrés. Il huma doucement leur parfum avec une once de frustration de ne pas réussir à en planter ; toutes mouraient avant d'avoir atteint le rebord de sa fenêtre la plus basse. Le climat était pourtant favorable à toute vie, qu’elle soit animale ou végétale... L'idée d'en extraire un bourgeon lui traversa l'esprit, mais sa raison le rattrapa : détacher la fleur de ses racines reviendrait à la tuer.
Immédiatement son attention fut captée par quelque chose de différent. Curieux de nature, un peu trop lui disait toujours Klarysse, l’intéressé s'approcha de l'appui de fenêtre qu'il agrippa.
Etonné de ne rien voir à travers la vitre ; il aurait pourtant juré avoir aperçu quelque chose bouger. Il déplia sa main gauche du bout des doigts jusqu'à la paume sur le châssis métallique froid. Et c'est alors qu'une main vint brusquement se plaquer à l'endroit exact où Celest venait de placer la sienne, mais de l'autre côté de la fenêtre.
Ce mouvement brutal avait fait sursauter le jeune homme plus qu'il ne l'aurait cru. Cette main n'avait rien d'une apparence humaine, pourvue de longs doigts grisâtres qui continuaient jusqu'à de 'imposantes dgriffes épaisses semblables à de l'acier. Elle restait collée sur la vitre, en laissant de la buée se coller dessus ; progressivement cette main changeait bizarrement d'apparence. Les griffes se résorbèrent en premier, et ensuite la couleur maladive de la main également. On aurait presque l'impression que l'être à laquelle cette main appartenait avait la capacité de se métamorphoser, sa main avait alors pris l'apparence semblable à celle d'un humain. La buée s'échappa doucement de la paroi vitrée, tandis que la main reculait. Cette fenêtre semi-opaque ne laissa pas les faibles rayons encore présents percer sa surface.
Je me demandais bien ce qui m'a pris de m'approcher de cette maison, c'était plus fort que moi ; comme si une force m'avait attiré tel un aimant. L'air vibra autour de moi d’une façon terrifiante, alors que des nuages noirs obscurcissaient le ciel et obstruaient l'horizon. J'avais renoncé à compter le nombre de minutes, j’étais paralysé non pas de peur ou d'angoisse, mais d'intrigue. Cette main m'avait fasciné ; d'où me venait ce goût nouveau pour le fantastique ? Voilà que je me retrouvais la vue plongée sur une transgression d'un réel irréel. Je décidai d'ordonner à mon cerveau de faire bouger et avancer mes jambes dans la direction opposée, sans ménagement avant de perdre tout courage, ce qui me provoqua un frisson le long du bras gauche, partant du bout de ses doigts déposés sur la vitre jusqu'à l’omoplate. Je parvins à dégager mon regard de l'emprise de cette fenêtre dont on ne voyait pas le fond et je pressai mes doigts sur mes tempes. Tout cela m'avait donné une migraine lancinante qui ne voulait pas partir.
Celest ne parvenait pas à se défaire de cette tentation indéfectible de s'approcher plus près à nouveau de cette maison. C'était comme s'il ne contrôlait plus son propre corps, qui avançait de lui-même, main tendue vers la poignée de la lourde porte d'entrée.
Il abattit alors sa force sur la clenche, mais avant qu'il n'ait fait un quelconque mouvement de poignet, celle-ci pivota d'elle-même.
Celest fut alors surpris par des spasmes indolores, mais qui le déstabilisaient. Quelque chose tentait de sortir de sa tête, de son cœur et voulait s'engouffrer à l'intérieur de la maison. Sa peau s'échauffait à divers endroits, le tiraillait, alors qu'il n'avait la possibilité de faire aucun mouvement : ses pieds restaient ancrés dans le sol, ses bras figés et seuls ses yeux parvenaient encore à distinguer une imagerie nette.
Tout à coup, le jeune homme fut parcouru d'une vague d'énergie, qui lui donna alors envie de vomir ses tripes, des hauts de cœur écœurants et désagréables.
Celest glissa alors sur les pavés froids et poisseux de la rue, tandis son corps s'étendit, gisant comme un cadavre. Il ne sentait pas réellement une douleur persistante, mais plutôt une gêne. On aurait dit que quelqu'un jouait avec ses entrailles, s'amusait à les retourner...
De la brume grisâtre, puis noire s'échappait de son cœur qui fumait, ce qui ne manqua pas de lui arracher un sifflement entre ses dents serrées pour parer les spasmes. C'est alors qu'une forme, qui de loin aurait pu ressembler à un humain, s'extirpa de ses chairs non sans lui provoquer cette fois-ci un calvaire physique. Celest se recroquevilla aussitôt.
La forme devenait de plus en plus nette au fur et à mesure que les secondes lentes s'écoulaient. On pouvait alors distinguer un corps reposant sur deux jambes et doté de deux bras. Mais les détails laissaient transparaître une origine différente de celle des humains. Ses pieds étaient recouverts, comme tout le reste du corps, d'écailles noires fines et brillantes. Mais cette observation n'était visible qu'à partir du moment où on se penchait de plus près, à distance raisonnable, on distinguait uniquement une peau rocailleuse sombre. L'être était très grand, plus que Celest encore, et se tenait fièrement.
Ses bras étaient tendus vers le ciel et laissaient apparaître sur toute la surface de ses avant-bras des lames aiguisées comme jamais.
Ses longs doigts se terminaient par des crochets d'argent afin de s'agripper plus aisément.
Ses épaules massives imposaient et laissaient une impression de supériorité inégalable. Malgré cet aspect inquiétant et terrifiant, il était beau et Celest en fut surpris. Une beauté étrangement intrigante et indescriptible.
Les traits du visage du Démon étaient fins : son regard orangé luisait, ainsi que ses longues dents. Ses mèches de cheveux noirs venaient fouetter son visage, et des fossettes venaient se creuser sur ses joues ; l'on aurait dit qu'il riait, où qu'il se moquait de sa victime au sol. Ses lèvres s'entrouvrirent et lui donnèrent un air sadique et malsain. Ses griffes d'argent virent frotter son cou, ce qui fit tressaillir Celest.
Le Démon semblait attendre que tout son corps ait pris forme avant de prononcer quelque mot qu'il soit. Il tendit alors devant lui ses bras couverts de lames, qui progressivement se rétractaient et surgissaient à sa guise, et afficha une expression satisfaisante.
Cette forme corporelle était sa favorite, bien que celle qui lui était initialement destinée ne fût composée que de ténèbres et voiles sombres ; ainsi il aimait également apparaître sous une forme presque totalement humaine.
Durant tout ce temps, les deux ne s'étaient pas lâchés du regard. Celest presque hypnotisé et fasciné par ce qu'il venait de voir, et le Démon bien décidé à s'en approcher. Malgré tout, ce fut lui qui lâcha la tension de leur regard en premier pour diriger ses yeux vers la porte entrouverte. Celest se demanda alors soudainement où était passé le corps appartenant à la main qui l'avait surpris près de la fenêtre.
— Je suis là si c'est ça que tu cherches mon cher Celest ! souffla le Démon entre ses dents, ayant vu juste dans les pensées du jeune homme.
Celest ne sut que répondre, car il venait de comprendre brusquement ce qui s'était passé.
La main, qui s'était superposée sur la sienne, quelque temps plus tôt, ne venait pas de l'intérieur de la maison, mais de son intérieur à lui ! Depuis quand ce Démon squattait-il son corps ? Lui avait-il fait faire quoi que ce soit qui ait pu modifier son comportement ?
En vérité, il se rendit compte qu'il ne se souvenait pas de ce qui s'était passé depuis une semaine environ. Son dernier souvenir concret était de s'être rendu chez Klarysse. Il fut alors parcouru d'une vague de stress, qui l'enveloppa et ne le quitta plus.
— Puisque tu ne daignes point à me répondre mon cher ami, je vais faire les questions et les réponses je crois, ironisa l’inconnu gentiment. Sa voix sonnait comme un tranchant d'épée, qui s'abattait sur sa victime. Alors tout d'abord, je me présente officiellement en tant que Démon de première génération, Roi des Ténèbres et des abysses des Enfers, Héritier du trône.
Je tiens à m'excuser platement d'avoir profité de ton enveloppe charnelle, bien agréable, néanmoins…
Celest grimaça.
Je préfère de loin la mienne.
Je me demandais si ta copine avait aimé ma petite intervention l'autre fois ?
— Ce n'est pas ma copine !! rugit subitement Celest. Et tes excuses faussement vraies ne me dupent pas. Si tu crois que je me laisserai berner par un être malingre comme toi, tu peux rêver.
— Mhmm, je vois que tu as ciblé le principal. Je te connais bien plus que tu ne crois Celest. Mais il me semble que ta cop... Klarysse ait mal pris ma petite blague de l'autre fois ! Je crois qu'elle a vraiment cru que j'allais venir la poignarder, lança-t-il en s'avançant vers lui de plus en plus, afin venir déposer une de ses mains sur la tempe de Celest de sorte à lui montrer ce qu'il avait fait.
Mais elle a mauvais goût pour la décoration de son appartement, tu ne trouves pas ? Et sa cuisine, n'en parlons même pas : c'est une injure aux plus grands chefs !
— J'ignorais qu'il était possible de manipuler l'esprit à un tel point ; mais de là me briser la nuque, franchement ! Mais maintenant, dis-moi immédiatement ce que tu es venus faire ici et pourquoi m'avoir choisi afin de vous infiltrer dans la ville ?
— Qu'est-ce que tu peux être plus impertinent que je ne l'aurais cru, un peu de patience mon vieux ! Tu sauras ce que tu dois savoir en temps voulu, mais pour le moment, je ne t'en dirais pas plus.
Ne t'avises pas de me contredire sinon je ne lâcherai rien.
Qu'étais-je suis en train de faire là ? Discuter bien gentiment avec une créature tout juste sortie des Enfers et qui plus est, manipulant les esprits et corrompait les corps des autres. Ça ne me ressemblait pas ! Et pourtant, je ne ressentais presque plus de crainte, d'angoisse, alors que toute personne normalement constituée aurait pris la fuite en moins de deux. Mais peut-être était-ce un leurre, le Démon transgressait-t-il une fois de plus les ressentis pour me forcer à rester ici ?
Celest se releva alors péniblement, ses membres lui faisaient mal et il n'avait pas totalement conscience de ce qu'il voyait. Tiré de ses pensées plus vite qu'il ne l'aurait cru, le Démon avait devancé ses mouvements pour venir le relever et le plaquer sur la façade de la maison. Les os de Celest souffrirent atrocement suite au choc.
Le Démon le tenait par la gorge d'une seule main et plongeait ses iris orangés dans les siens. Le jeune homme était comme hypnotisé par le fond de ses yeux et sombra doucement dans un sommeil sans douleur, sans rêve.
Le Roi des Ténèbres le retenait toujours d'une main et approcha encore plus près de son visage, déposant alors un baiser brûlant, aussi étincelant que les Enfers, dans le creux du cou de Celest.
Enfin, il lâcha sa victime, qu'il rattrapa de son autre bras, avant que ce pantin ne glisse au sol une fois de plus, et caressa tranquillement l'une de ses joues.
« Si un jour tu venais à apprendre qui je suis réellement pour toi, et pourquoi je t'ai offert ce que tu considères pourtant comme le pire des calvaires depuis mille longues années, tu m'appartiendras pour toujours et je t'appartiendrais jusqu'à la fin du Troisième Monde. »
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