Chapitre II partie 2
Quinze années avant le prologue sur Thrasys à la capitale Syphārez.
— Excusez-moi pour le retard, voici le constat, je signerai en bas de page après vous.
Le docteur venait de rédiger le constat de décès, qu’il signa soigneusement avant de déguerpir. Il avait d'autres documents à faire : une épidémie d'un mal inconnu s'était abattue subitement sur la ville. Ce qui paraissait étrange aux médecins, c'était la non-prolifération de cette gangrène au-delà des remparts. Tous les soigneurs, confirmés ou apprentis, assistantes et aides-soignantes avaient été sollicitées pour sillonner les rues de Syrāphez afin de lutter contre cette ivraie, semblait-elle comme dispersée dans l'air par un démon même.
La priorité était sans aucun doute la sécurité du Monarque, puisque s'il venait à trépasser, aucun prétendant, au trône, légitime et direct n'était disponible pour lui succéder.
Des rumeurs couraient depuis des lustres que tous ceux qui se s’étaient assis ou s'assiéraient sur ce trône perdraient bien plus que ce qu'ils avaient ou ce qu'ils n'auraient jamais.
Mais ces rumeurs ne restaient pas infondées pour autant. En effet, depuis le début du retour des Rois en Terre de Thrasys, seuls les premiers vécurent un règne paisible et juste, malgré un pouvoir absolu. Les siècles passèrent, et l'estime envers la royauté baissait ; enchaînant Roi sanguinaire, inapte, suicidaire, belliqueux, conquérant, insatiable ou encore désintéressé du peuple. Les habitants des contrées crurent bon de mener une révolution, mais cela les mena plus à leur perte qu'autre chose.
Les révolutionnaires avaient comme projet de tendre un guet-apens à leur souverain ; mais celui-ci, pourvu de plus d'espions qu'ils ne le croyaient, connaissait leurs projets depuis le début. Rien n'échappait au contrôle du Roi Ciur. En dernier recours, certains voulurent se rallier à sa cause et ainsi trahir le peuple, mais le souverain fut cependant sans pitié. Il laissa les révolutionnaires préparer tous leurs plans, venir à lui, plus ou moins facilement pour ne pas qu'ils se doutent de quoi que ce soit. Et telles les mâchoires d'un loup, il laissa le piège se refermer sur leurs propres créateurs. Le peuple voulait voir flamber celui qui leur avait causé tant de mal, l'immoler jusqu'à entendre ses cris déchirer le voile des ténèbres. Dès lors le Roi, jeune, fourbe et plus rusé que jamais les jeta en pâture aux flammes ; il avait ordonné à ses troupes de refermer les rangs une fois ses agresseurs entrés. Sans issue de sortie, la seule étant les braises. Pris dans leur propre piège, ils s'agglutinaient contre les murs froids en pierres bleues mais en vain, le feu les gagnait car ceux-ci avaient répandu des litres d'alcool fort sur le sol pensant ainsi que les étincelles atteindraient plus vite le Roi.
Les chairs des traîtres s'échauffaient, les brûlures piquaient et tous devenaient des torches humaines, dépourvues à la fin de toute sensibilité. La douleur avait si bien dépassé son seuil de tolérance , qu'ils ne sentaient plus rien. Les sensations avaient quitté leur enveloppe charnelle. La dernière chose gravée dans leur mémoire serait une vision d'horreur de leurs confrères calcinés. Ciur regardait le feu de joie se dérouler sous ses yeux, impassible, sans le moindre regret ; les flammes grésillaient au fond de son regard noir. Ses longs cheveux blonds virevoltaient au rythme de la danse du feu. Toutefois, il ne regarda pas le spectacle jusqu'à la toute fin, d'autres affaires l'attendaient.
La vampire prit donc le constat de décès sans accorder un regard au médecin qui semblait s’être déjà volatilisé.
Le lendemain.
— Nous sommes ici pour rendre hommage à notre très chère et tendre Lyse qui nous a quittés trois jours plus tôt, en de mauvaises circonstances, commenca Daneen en regardant l’assemblée d’un air détaché mais suffisamment triste pour qu’on y croit.
Je me dois de parler d'elle pour le peu que je la connaissais ; je ne suis ni de sa famille, ni de ses proches, j'ai seulement tenté de la sauver, mais la pulsion a été plus forte que la raison. Lyse était une jeune fille, jeune, oui beaucoup trop pour voir la fin de sa vie arriver.
Fille de la cousine par alliance du Roi Ciur, sa lignée était pure, son âme libre comme l'air. Elle avait la vie devant elle, mais comme nous le savons tous, les Dieux en ont décidé autrement. Ils ont réclamé les esprits de ses parents, ceux-ci étaient tout ce qu'elle avait. Son acte est inexplicable et délibéré.
Je crois... Je n'ai plus de mots à dire, plus d'inspiration pour former mes phrases, plus d'imagination pour jongler avec tout ça...
Daneen finit son discours officiellement sur ces mots, mais se pencha sur le cercueil ouvert pour déposer un souffle glacial sur le cou de Lyse, tout en disant:
— Surtout ne gâche pas la cérémonie !, en esquissant un sourire en coin que personne n'aperçut car elle reprit aussitôt son masque impassible, plus acceptable pour l'occasion.
Le prêtre fit sonner la cloche pour marquer la fin de la cérémonie.
Tous ceux présents dans la cathédrale, soufflèrent sur la flamme de leur bougie, symbolisant le souffle qui guiderait son âme vers la paix, les plongeant dans une froide pénombre. Les violonistes commencèrent leur morceau, triste à souhait. La mélodie semblait faire vibrer plus lentement l'air qui les entourait, les notes de musique coulaient comme des larmes sur les joues ; les cordes grinçaient comme un sanglot étouffé...
Ce son agaçait les oreilles de Lyse, plus affûtées que jamais. Tous ses sens exacerbés se déployaient en elle ; elle ressentait tout plus vite, plus fort, plus profondément, mais en ce moment c'était cette cérémonie ridicule qui l'exaspérait plus que tout.
Le son courait sur l'air et atteignait si vite ses tympans que cela en devenait désagréable. Lyse remua doucement les lèvres, battit des cils à quelques reprises pour enfin ouvrir les yeux totalement. L'ouverture de son regard stoppa net les violonistes, qui sentirent une présence dans leur dos. Un silence de plomb parcourut à nouveau le bâtiment, mais immédiatement il fut brisé. Les corps des invités à la cérémonie décoraient le sol, des membres détachés de leur corps. Les murs avaient été repeints d'une couleur pourpre.
Une odeur âpre et nauséabonde flottait dans l’air.
— Je t'avais dit de ne pas gâcher la cérémonie ! grinça Daneen.
Mais la jeune vampire n’en fit qu’à sa tête et se rua tête baissée hors de la cathédrale, laissant un amas de cadavres derrière elle. Ses dents s’étaient enfoncées dans les chairs, ses mains à présent fortes avaient forcé sur les corps pour les démembrer hargneusement avec une violence inouïe. Même Daneen n’avait que très rarement agi sous une telle pulsion morbide. Le soleil n’avait pas encore plongé sous les terres. Alors Lyse le percuta en pleine face, sentit d’abord une chaleur agréable qui parcourait son corps, réchauffait son sang. Pourtant cette sensation devint bien trop vite hostile à son goût, désormais brûlante. Sa peau fumait…
— Mais tu es totalement inconsciente de sortir en plein jour ? cria son chaperon dans le hall d’entrée de la cathédrale, et aussi couverte de sang que tu es ! Franchement, il va falloir qu’on discute rapidement de la situation embarrassante dans laquelle tu m’as mise.
Lyse avait parfaitement entendu les propos de son interlocutrice, bien qu’elle fût à plusieurs dizaines de mètres plus loin. Elle fit volte-face, haussa les sourcils et essuya le sang restant sur le bord de ses lèvres. Une terreur et une haine étaient présentes dans le fond de ses yeux, toujours aussi sombres. Son corps avait absorbé une quantité telle de sang, en un temps réduit, que cela la rendait hystérique et totalement inconsciente de ses actes. Ses pupilles étaient dilatées à leur maximum et ses iris virait au bronze.
Lyse irradiait une rage folle, tout tourbillonnait dans sa conscience : L’homme ne détient pas l’exclusivité du pouvoir, non, mais moi je l’obtiendrai, pensa-t-elle.
La jeune fille clôt ses paupières, un frisson chaud parcourut sa colonne vertébrale.
« L’humanité, qu’est-ce ? Une futilité qui pèse sur les Hommes depuis toujours, un sentiment qui les fait souffrir, les mène à leur perte et les rend vulnérables. Ce que je veux, je l’aurai, quoi qu’il m’en coûte. Le temps des sacrifices est révolu ; la religion agonisante que vous appelez magie, je la dompterai, je la contrôlerai par tous les moyens. Je sais ce que je veux, je le saurai pour l’éternité… Puissent les Dieux être favorables à ma décision, puissent-ils me pardonner de ma désinvolture, de ma profanation d’un lieu de culte. Puissent-ils accepter que je les surpasse un jour.
Mon humanité ...s’arrête ici. »
— Fais taire tes émotions.
C’était un souffle dans l’air, presque un ordre.
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