Selon Sandra
« Qu'est-ce que tu peux me dire de Paul ?
— Pourquoi ?
— Allez, Sandra, s'il te plaît, on ne va pas jouer à ça, pas nous, et surtout pas maintenant. Il a disparu, je suis journaliste, il y a quelque chose à écrire là-dessus. Mais je veux le contexte. Ta vision.
— Putain de mercenaire, vautour ! Il n'est pas encore froid et déjà tu... Non, Franck, non. Excuse-moi, mais non.
— D'accord, tu le vois comme ça... Mais justement, si je ne suis qu'un vautour mercenaire pour toi, c'est le moment de me donner à manger. Sinon, on ne sait pas ce que je vais pouvoir inventer, hein ?
— Salaud !
— Voilà, c'est ça, soulage-toi. On y va ? Ça ne t'ennuie pas si j'enregistre notre appel ?
— M'enregistrer ? Attends, tu enregistres, là ?
— Oui, je préfère. Qu'il n'y ait pas d’ambiguïté ou de contestation sur les mots, tu vois ?
— Tu es malade !
— Exactement. Mais je me soigne. Raconter Paul, c'est ma thérapie. Tu verras, ça te fera du bien aussi. Tu peux m'insulter en prime, c'est chouette, non ?
— Idiot !
— Parfait. Ça me va. Je t'écoute... Allô ? Sandra, j'ai besoin de toi, là. C'est toi qui le connais le mieux. Avec Clara, bien sûr. Mais je veux savoir comment tu le vois, Paul. Ou plutôt, comment tu l'as vu, au début.
— C'est du délire...
— Si tu veux, du délire. Mon délire. Tu peux m'aider à en sortir. Donne-moi la réalité de Paul. Ta vérité. S'il te plaît...
— Tu cherches à me manipuler ? Dans un moment pareil, tu cherches... Et puis, merde.
— Allô ? Sandra ? Tu peux pleurer, je comprends. Moi aussi, je n'en suis pas loin. On peut pleurer ensemble. C'est Paul qui nous rapproche. Raconte-moi...
— Attends, pas maintenant. Laisse-moi réfléchir. Laisse-moi... du temps.
— OK, prends ton temps, mais pas trop. C'est Paul... Il ne faut pas le laisser échapper.
— Ne me bouscule pas. Là, je ne peux pas. Pas avec toi au téléphone, pas comme ça.
— OK, je comprends. On va s'y prendre autrement. Je t'envoie de quoi enregistrer, et tu me racontes toi et Paul. Ou alors tu t'enregistres sur ton téléphone, quand tu te sens prête. En plusieurs fois si tu veux. Et tu m'envoies les fichiers par mail. On fait comme ça ?
— Pfff... laisse-moi me calmer. Et puis, je ne sais pas, il va peut-être revenir. L'enquête n'a rien trouvé, heu... prouvé. Laisse-moi. »
Retranscription de l'enregistrement corrigée et validée par Sandra X
Clara et Paul, selon moi, c’est une histoire d’adaptation. Tu vas dire que je suis biaisée, mais en même temps j’ai vécu le truc – ou au moins une moitié du truc – de l’intérieur, alors… Je crois que Clara a aimé en Paul l’image qu’il donnait, ce qu'il projette autour. Ce n'est pas vraiment lui, même pas une facette de lui. Plutôt une construction. Un peu comme son image professionnelle. Mais dans sa relation à Clara, je pense que cette construction de Paul est devenue intime, voire profonde. Cela fouillait dans les recoins les plus sombres, c’était maîtrisé partout. Je ne sais pas si je suis claire. Surtout, je crois aussi que Paul aime ça. Il a aimé être le maître du regard de Clara sur lui. Il maîtrisait son amour par ce qu’il lui montrait de lui. Le rêve d’un Don Juan : être en activité de séduction permanente, même lorsque la femme a cédé.
Quand Clara a compris qu’elle n’aimait qu’un personnage de fiction, elle n’a pas supporté. Je ne sais pas vraiment comment elle s’en est aperçu. Il a dû faire une erreur. Ou plusieurs. Ne pas les avouer, en tout cas. Cela aurait été comme si un comédien s’arrêtait en pleine pièce, au milieu de la scène, et se tournait vers le public pour lui dire qu’en fait il joue, il fait semblant, il maîtrise la technique, mais en même temps il peut penser à autre chose, l’appareil dentaire de sa fille aînée ou le prochain week-end à Bure-sur-Yvette, ce genre de truc. Bon, dans un certain théâtre on peut imaginer que ça fait partie de la pièce, comme un concept, et suivre le spectacle avec intérêt. Mais dans la réalité ça ne marche pas. Dans la réalité, Paul n’aurait jamais admis qu’il ment depuis si longtemps et qu’il était très content que Clara l’ait cru. Un bon acteur, bien pro et fier de son art, qui s'efface derrière le personnage.
Je pense qu’elle ne sait toujours pas qui est Paul. Le vrai Paul, inaccessible derrière le personnage intime de Paul. Intime, accessible en direct, mais toujours construit, travaillé. Moi non plus, je ne sais pas trop ce qu'il est, ni même où il se cache. Il passe dans nos existences, il rend les choses plus belles, la vie est plus intéressante quand il est là, mais lui, on ne le connaît toujours pas. À la limite, à son contact je me connais mieux moi-même, mais lui non. Il m'échappe toujours. Il m'a échappé. Merde... Excuse-moi.
Donc oui, même après qu’il soit revenu vers elle après leur divorce, Clara n’en a vu que ce qu’il lui montrait. Une nouvelle version, une nouvelle construction. Une copie de Paul qui se faisait passer pour l’original, après celui de leur rencontre et celui de leur divorce. De là où je le voyais, j’ai compris tout de suite que c’était une poursuite du mensonge par d’autres moyens. D’ailleurs, Paul a adoré cela. Il a aimé que Clara s'ouvre de nouveau à lui, qu’elle craque pour ce nouveau lui, fabriqué rien que pour elle. C’était une sorte d’apogée pour Paul, un sommet indépassable : reprendre une relation sur les bases mêmes de ce qui l’avait détruite.
Je les regardais s’aimer, parce qu’ils s’aimaient. Paul était sincère dans son mensonge. Il aimait cette relation étrange, excitante, qui n’était possible qu’avec Clara, à cause de leur histoire passée. Il était tout entier dans son rôle. Je pense qu'il mettait un peu de la Méthode dans son approche, une façon de faire très actors studio. C’était Marlon Brando ou De Niro à la maison, au quotidien. Il était le personnage, avec tous ses sentiments, toutes ses émotions, pour de vrai. Une seconde peau qui lui allait parfaitement, ça ne faisait pas un pli.
Pour moi, ça revenait à être au spectacle. Ou à être amoureuse d’un acteur que je verrais, au théâtre ou à l’écran, embrasser une autre, jouer l’amour avec une autre, coucher avec une autre, jouir d’une autre, donner des orgasmes à une autre, mais pour de faux. Ça avait l'air vrai, mais je savais que ce n'était qu'un spectacle, rien que pour moi. Et puis l'autre jour, fini, rideau...
Attends, c'est bon, je me reprends.
Un spectacle, oui. Sauf bien sûr que je ne le voyais pas vraiment. Déjà, je ne les voyais que très rarement ensemble. J'imaginais ce qui se passait entre eux à partir de ce que Paul m'en disait. Il ne me racontait pas tout, genre grand déballage, mais des allusions fréquentes, des détails impromptus, souvent dans la comparaison avec ce que nous vivions. Quand il n'était pas avec moi, je savais qu'il était avec elle, forcément. Pour lui, j'avais mon rôle à jouer : j'ajoutais ma part au spectacle, la part du spectateur. Cela faisait exister sa relation à Clara, à la fois très loin et tout près.
Après, peut-être que je n'en avais pas vraiment conscience, pas au début de leurs retrouvailles. Mais plus tard, oui, je jouais le jeu dans son jeu. Je m'en faisais un scénario, tout en sachant qu’une fois l'épisode « Clara » terminé il reviendrait vers moi, m’embrasserait moi, jouirait avec moi, mais pour de vrai cette fois...
Parce que moi, j’avais accès au vrai Paul. Ce que je pensais être le vrai Paul. Je le voulais, je le créais au besoin. Maintenant, je ne sais plus. C'était juste un Paul parmi d'autres, apparemment. En tout cas, c'était le mien. Mon histoire de Paul, ou le Paul de notre histoire. Ou même, l'histoire de Paul et Sandra qui n'était peut-être qu'une autre fiction, celle-ci destinée à Clara. Mais je ne crois pas. Mon Paul était le vrai, au moins par moments, unique, inaccessible aux autres. Le seul...
Personne ne peut l'avoir connu comme je l'ai vu. Il ne ressemblait à aucune autre incarnation. Je l'ai eu pour moi, je l'ai choyé, je l'ai aimé comme personne ne peut l'avoir aimé. Il en avait besoin. Le Paul qui te fait exister par le besoin qu'il a de toi.
Le Paul qui se roulait en boule pour éviter de hurler, ou tout simplement de penser.
Le Paul qui se mettait à pleurer en silence en regardant un film. Je lui demandais ce qu’il y avait, et il était incapable de répondre, avec des larmes qui lui coulaient jusqu’au menton, sans un bruit, sans un geste pour les essuyer.
Le Paul qui s'arrêtait parfois en pleine phrase, regardait quelque chose dehors ou même rien du tout, ailleurs, et revenait dans le présent après quelques secondes ou quelques minutes, sans explications, comme si de rien n'était.
Ce Paul-là n'était pas toujours très beau à voir, parfois assez inintéressant, voire pénible, mais c'est le mien. Il n'y a que moi pour savoir qu'il existe. Je sais qu'il est là, caché sous le personnage. Je ne dis pas que j'attends qu'il apparaisse, je ne suis pas à l'affût de l'acteur qui se trompe ou s'oublie. Je suis juste contente de savoir qu'il peut se manifester, se révéler rien que pour moi, quelque part là-dessous. Je le vois à travers les failles. En fait, c'est même comme ça que j'ai rencontré Paul : j'ai eu la version originale, à la fois complète et brisée, dès le début.
Il avait mal au dos. Un blocage musculaire que son toubib n'arrivait pas à cerner, alors il lui a prescrit un peu de kiné en se disant que ça ne ferait pas de mal, même si ça ne résolvait rien. Tu parles ! Des winners qui en ont plein le dos, j'en remplis ma salle d'attente, ici ou dans les Alpes, pareil. Peut-être plus là-bas où il y a plus de fric et de dégâts, d'accord, mais dans les Landes on subit aussi de la pression, ou du moins... disons que les professionnels se la font subir entre eux. J'ai de la chance, je ne rentre pas dans ce schéma, mais je vois bien que c'est une guerre, là-dehors, et que tous les coups sont permis. Encouragés, même. Je ne sais pas ce que fait ce gouvernement à vouloir adapter la France au monde de la concurrence, c'est fou, c'est idiot. Enfin, ce n'est pas le sujet. Encore que...
Quand il est venu au cabinet, Paul vivait un certain succès professionnel, mais justement : il le vivait mal. Il trouvait que ses clients faisaient appel à lui pour de mauvaises raisons, en tout cas pour des raisons qu'il réprouvait, au fond de lui. Je ne le savais pas, bien sûr, quand je l'ai rencontré. Je savais juste qu'au niveau des lombaires, ça coinçait sans rien de visible sur les vertèbres ou les disques. Cela m'a tout de suite semblé musculaire : pas un problème de posture ou de structure, mais quelque chose qui n'allait pas dans l'action.
Le dos, c'est le soutien, mais aussi la base énergétique qui permet d'agir, avec les jambes pour se déplacer et interagir, avec les bras pour modeler, construire, détruire... Bref, en bas, côté lombaires, il s'agissait plus d'une question d'interaction. Sauf que ce n'est pas directement relationnel, sinon on serait plutôt au niveau des genoux, les hanches à la rigueur... Non, chez Paul c'est la conceptualisation de l'action qui bloque. Son énergie relationnelle circulait correctement mais ne trouvait plus à s'exprimer dans la réalité. C'est en tout cas ce que j'ai pensé en l'observant et en l'écoutant. Je ne savais pas qu'il venait de divorcer. Pour moi, c'était plutôt du domaine professionnel.
Quelqu'un comme ça, un mec à bloc, toujours taquet, je lui conseille quelques exercices de base, mais surtout de la relaxation, de la méditation, une approche qui lui permette de prendre du recul face à ce qui le coince. S'il est intelligent ou un peu fin, il va trouver tout seul. Il s'adaptera.
Paul est très intelligent, ça ne fait pas de doute. Je l'ai compris tout de suite lorsqu'il m'a dit que son problème, justement, tenait à une forme de suradaptation. Il décrivait de façon précise et froide son besoin de s'adapter en permanence à ce qui l'entoure, ou plutôt à ce que son entourage attend de lui. Ou encore à ce qu'il perçoit des attentes de son entourage. Toujours sur le qui-vive. Et il le savait. Il m'a déroulé mon propre diagnostic sur sa propre anamnèse, sans complaisance, presque mot pour mot, avant même que je lui dise quoi que ce soit.
Sur le coup, ça m'a douchée. J'ai eu l'impression d'être face à une sorte de médium, un télépathe ou je ne sais quoi. Dans les livres ou les films tu n'es pas obligé d'y croire, mais quand ça se produit en face de toi, en direct et sans truquage, c'est flippant. Je lui ai demandé s'il lisait mes pensées. Il m'a regardée en silence un bon moment, et je sais qu'il avait compris ce que je voulais dire. Et puis, il a souri et il m'a dit « non, mais j'aimerais bien. » Ne va pas croire qu'il m'a séduite avec ça, il n'y avait pas encore de séduction entre nous, mais il m'a intéressée.
J'ai eu envie de lui dire ce qui me passait par la tête, en effet, pas pour frimer en prenant des risques avec ma déontologie de praticienne, non, juste parce qu'il me l'avait demandé. Il a ce talent, tu le sais bien. Cette façon de t'écouter comme si tu étais ce qu'il y a de plus important au monde, ici et maintenant. J'ai eu l'impression qu'il ouvrait une parenthèse, une sorte de bulle rien que pour nous deux, où chacun pouvait être totalement soi. Oui, j'en garde un souvenir très précis. C'est devenu de plus en plus personnel entre nous. Mes pensées s'enchaînaient par associations, comme chez un psy. Lui il écoutait sans réagir, sans juger, enfin je pense qu'il ne jugeait pas. En fait, je n'en sais rien. Si ça se trouve il avait juste compris que j'avais besoin de me connecter à quelqu'un sans filtre, alors il a endossé le rôle de ce quelqu'un jusque dans l'expression faciale que j'attendais de lui. Une sorte d'éponge à émotions ou à nécessités. Pas un miroir, ce n'était pas moi que je voyais en lui, il ne me renvoyait pas mes phrases ou mes sentiments. Il les acceptait. Il les laissait entrer en lui et ce système de vases communicants m'a fait un bien fou.
À la fin de la séance je ne l'avais pas touché, pas un massage, pas une manipulation, et pourtant j'étais vidée. Mais vidée en bien, débarrassée de tout ce qui m'encombrait. Je lui ai dit qu'il allait falloir qu'on se revoie. Pour mon dos ? il m'a demandé. J'ai dit non, pour moi, et je lui ai donné mon adresse perso. C'est la première fois que je faisais quelque chose comme ça. Pourtant, des beaux mecs j'en vois passer. Des surfeurs, des skieurs, des sportifs avec des corps que tu voudrais lécher et te rouler dessus, enfin, tu vois sans doute ce que je veux dire, et d'ailleurs je ne me privais pas d'en profiter en les massant plus que nécessaire, mais ce n'est jamais allé plus loin. Paul, c'est autre chose.
Il n'y avait pas de désir physique, juste le bien qu'il pouvait me faire en-dedans. Voilà, je sentais que ce mec pouvait me faire beaucoup de bien et je n'ai pas eu envie de m'en priver. Des occasions comme celle-là, tu en croises peut-être une ou deux dans ta vie, si tu as de la chance, alors tu ne laisses pas passer. Moi, je n'ai pas laissé passer.
Il n'était pas en vacances. Il y avait quelque chose qui le tentait dans la région, un désir de changement, alors il avait pris des contacts avec quelques entreprises du coin. Peut-être une envie de mettre de la distance entre lui et son divorce. Il ne pouvait pas aller plus loin. Ici, disons que si tu continues vers l'ouest, c'est à la nage. Enfin, bon. C'était un voyage de prospection. Il faisait le tour, il humait l'ambiance. Ça lui a convenu et très vite il a commencé à travailler pour l'industrie du surf. Alors, il s'y est mis. Au surf, je veux dire. À trente-cinq ans. Il n'avait pas ce type de glisse dans le sang, mais encore une fois c'est son adaptabilité qui a fait la différence.
Quelqu'un comme Paul sent l'océan, même s'il ne le comprend pas. Je ne suis pas claire, je sais... Il doit apprendre quelle réponse apporter, mais il perçoit toujours la question. Une vague, c'est une question. Tu la prends ou tu ne la prends pas, tu la lis et tu te glisses dedans, ou alors tu tournes la page et tu attends la suivante. Quand tu y es, il faut encore rester attentif, garder l'esprit ouvert, il n'y en a pas deux pareilles. Paul n'est pas un grand surfeur, mais il sait lire une vague, il ouvre l'océan comme le journal du jour et il sait tout de suite si les nouvelles sont bonnes ou pas.
C'est pour ça que je ne crois pas à sa disparition. Ce n'est pas possible. Clara est convaincue qu'il a fait une connerie, qu'il a pris un risque idiot et qu'il l'a payé de sa vie. Pas moi. Ce jour-là, l'océan n'avait rien à dire. Paul l'aurait vu tout de suite. C'était flat et il n'y avait aucune chance que ça change. Pas de surf et pas d'action, comme dit le mec du Lacanau Surf Info sur son répondeur. Il n'y est pas allé, j'en suis certaine. Il lui est arrivé autre chose, mais il ne s'est pas mis à l'eau. Et même s'il l'avait fait, sans blague, mais il n'y avait aucun risque, aucun danger ! Il aurait ramé cent mètres, il aurait attendu que ça se lève, et puis il serait rentré sans même se mouiller les cheveux. Je l'ai dit aux gendarmes et même le CROSS leur a dit : pour avoir un problème et disparaître en mer ce jour-là, il fallait vraiment le vouloir. Et Paul n'est pas suicidaire, je peux te le promettre. Non, c'est autre chose. Il s'est fait embarquer dans une galère, il s'est pointé sur le mauvais parking au mauvais moment, on sait bien tous les trafics qui se trament...
Bon, ce n'est sans doute pas ça qui t'intéresse. Ce que tu veux, toi, c'est le croustillant, hein ? Qui couche avec qui et pourquoi, ça c'est ta came. Tu es du genre qui en parle plus qu'il n'en fait...
Désolée. La solitude me rend méchante.
Tout ce que je sais sur Paul, je te l'ai dit. Voilà quatre ans que je le pratique et c'est juste assez pour faire le tour de ce qu'il voulait bien me montrer de lui. Peut-être qu'il me prenait pour une gamine qui n'a pas besoin de tout savoir. On ne sait jamais avec lui. Plus tu crois savoir, plus tu te trompes.
Pourtant, dès qu'il a revu Clara, il m'en a parlé. À sa manière, comme toujours. Il m'a dit qu'il avait couché avec son ex et il m'a demandé ce que ça me faisait. Après, c'était à moi de parler, il n'a pas ajouté un mot.
Qu'est-ce que ça me faisait ? Un peu mal. J'ai eu peur, aussi. Je me suis dit que ce qu'il venait de faire me mettait en position de choisir si nous allions continuer ensemble ou pas. Le fait de coucher avec une autre – pas n'importe quelle autre – et surtout le fait de me l'avouer, frontal. J'ai eu peur de faire ce choix qu'il me proposait. Non, qu'il m'a imposé. Toujours maître du jeu, je le vois mieux maintenant. Sur le coup, je ne voulais pas que les choses changent et surtout je ne voulais pas être celle qui les aurait fait changer, celle qui se met en colère par jalousie mesquine, celle qui lance un ultimatum, qui exige la fidélité avec contrition. Je ne voulais pas...
C'est typique de Paul, ça. Il te plante un couteau dans le ventre et tout ce qu'il trouve à dire c'est « bon, qu'est-ce que tu vas faire de ça, maintenant ? » Après, il te regarde te débrouiller. Il déclenche et il observe. Sympa. Mais justement, j'aime ce qu'il déclenche, j'aime sa façon de jouer à la vie, même s'il joue avec d'autres vies que la sienne. Il m'a fait rentrer dans son jeu et j'ai été honorée, oui, un plaisir et un honneur. Alors j'ai décidé de ne pas choisir, de rester dans le jeu. Il fallait faire durer la partie. Accepter ce que d’autres pouvaient considérer comme de la triche, de l'infidélité, un total manque de respect... Accepter tout ça, tout Paul, et en faire la nouvelle règle du jeu.
Tu veux savoir ce que j'ai ressenti à ce moment-là ? De la fierté. Une forme d'autosatisfaction rare. La part divine, créatrice, sacrée, de ma féminité. J'étais celle qui permettait à la vie de continuer, de s'enrichir et de s'embellir. Je ne te mens pas, ça peut paraître complaisant, mais j'ai été très contente de moi. Et j'en ai bien profité. On en a tous bien profité. Mais c'est fini. On a bien fait d'en profiter, si tu veux savoir. Voilà, je crois que je t'ai tout dit, cette fois. Non ?
Tu veux un scoop ? Tu veux savoir ce que même Paul ne savait pas, parce que je n'avais pas encore osé lui dire ? Je suis enceinte. Je vais avoir un bébé de lui. Il allait avoir un fils ou une fille de plus, et il est parti sans le savoir. Tu crois que ça l'aurait retenu, si je le lui avais dit ? Tu penses que j'ai été bête de lui cacher ? J'ai eu peur de lui faire peur. J'ai pas eu confiance en lui, en fait. Et maintenant je suis toute seule. Il est parti et je n'ai même pas pu lui dire... Je suis toute seule.
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