Taegger

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15- Un Besoin

Au fond du bar, j’écoute la voix de Nigel. Je reste assis dos à la foule et au groupe. Si je ne regarde pas, il ne se passera rien. Je me force à y croire.

J’apporte la deuxième bière à mes lèvres, tente de freiner les battements de mon cœur et pose la main sur mon genou tressautant. Je suis loin d’être calme et de l’effet escompté. Ma cervelle est un plan foireux à elle toute seule.

Quelle connerie ! Comme si j’allais m’arracher Nigel de la tête en venant l’écouter jouer. Non, mais parfois, je me demande si je ne suis pas un peu débile sur les bords.

C’était quoi l’idée, déjà ? Je me frotte les lèvres avec lassitude.

Ah ! Oui ! Si je fais en sorte qu’il devienne une habitude, il finira par disparaître dans les banalités et je l’oublierai.

Putain ! J’ai envie de me frapper.

La main en l’air, je commande une troisième bière. La serveuse la place entre les deux autres.

— Ça va mon gars ? T’as pas l’air heureux.

Elle penche son visage au-dessus du mien, écrase ses seins entre ses bras croisés. Elle a remonté sa jupe, raccourcis son haut et passé un rose à lèvres brillant. Elle a faim de chair. Et je suis un steak plutôt à son goût.

— Tu me proposes quoi ? éludé-je.

— C’t’à-dire ?

— J’te fais grimper sur le lavabo ou sur un caisson dans la remise ?

Elle se mord la lèvre, son regard brûle. Le genre de femme qui se croit irrésistible. Si elle savait que mon cœur bat à la déraison pour le chanteur des Implausible. Elle en ferait une tronche.

La serveuse s’approche d’une petite porte dans l’angle de la banquette où je suis installé. Je hausse les sourcils.

— Spacieux, ironisé-je.

— Tu crois pas si bien dire. Alors, beau gosse, je te la donne ta meilleure soirée ?

Je ne réponds pas et la suis, en me courbant.

La porte se referme sur un espace étrangement large. Le plafond est bas, mais pas assez pour me le prendre dans la tronche.

— C’est un débarras.

— T’croyais qu’il y aurait un lit ?

La serveuse saute sur une pile de cartons. C’est le baisodrome du restaurant. Des capotes jalonnent le sol. Pas franchement existant, mais j’n’en ai rien à faire. En revanche, je regrette de ne pas avoir proposé les toilettes. On entend beaucoup moins la musique là-bas, alors qu’ici, le son est décuplé.

Elle ouvre les jambes. Pas de culotte. Entre ses dents un préservatif. Je ne comptais pas lui faire de gosses.

Je dégrafe mon pantalon. Je suis raide. Pas à cause d’elle. Je sais très bien pourquoi je suis excité. J’ai rêvé d’eux. Zack et Nigel. Un rêve tout ce qu’il y a de plus érotique. Mes draps n’ont pas aimé passer la nuit et moi, j’n’ai pas apprécié les passer à la machine.

J’te fais un bel effet, s’amuse la femme.

Elle a tiré sur son décoté. Ses seins débordent comme deux flancs fatigués.

J’attrape le préservatif, le passe.

— J’suis trempé. Vas-y, fous la moi !

J’lui couperais volontiers la langue, en même temps que je la pénètre. J’entre comme une lettre à la poste. Elle enroule ses jambes aux miennes. Je choppe ses hanches, soulève son petit cul avant de prendre à grands coups de bassin. Je laisse un instant entre chaque coup. Ça l’amuse.

— Sois brut ! J’aime.

Ses couettes partent en arrière. Ses seins ballotent d’une façon inélégante. Je ferme les yeux. La voix de Nigel glisse en moi et me propose de forniquer avec elle.

Elle me fait l’amour à chaque parole. Alors j’oublie la femme et la remplace par ce gars aux yeux trop clair. Il me fixe, nu, la gorge tendue, le regard plein de concupiscence et les lèvres entrouvertes. Sur chaque à-coup ses boucles châtaines s’agitent. Il est beau. Suffisamment, pour avoir envie de l’embrasser et chuchoter son nom.

L’envie se déforme en besoin vital. Mes mouvements sont plus ciblés, et plus je me noie entre les syllabes de son nom, de leur nom, plus j’en demande.

— C’est qui Zack ? Et… T’es en train de me baiser en pensant au chanteur… Nigel ? T’es sérieux ?

Le visage de la serveuse reprend ses droits. Je viens plus fort en elle, la bascule contre le mur. Elle se retient à moi en gémissant. Et doucement, je lui glisse à l’oreille :

— Je suis un fou furieux. Et là, je pense exactement à deux mecs déférents en te sautant. Mais ça ne te pose pas de vrai problème, pas vrai ?

Elle ne dit rien. Son petit cul se contracte, son vagin aussi.

Avant qu’elle ait son orgasme, je me retire.

— Tu fais quoi ? se plaint-elle.

— Durer le moment.

Je la plaque, ventre contre la pile de carton. Elle pose y pose les mains.

— Faut pas que je traine, j’suis en service.

— Ça, fallait y penser avant de m’inviter ici.

Je rentre à nouveau en elle, avec lenteur qui la rend folle.

— Enfoiré, vas plus vite.

— Quoi ? T’aimes pas ?

— Putain, si, mais c’est trop. Tu vas me frustrer.

— On peut le refaire autant de fois que tu veux.

— Ah ouais !

Elle est conquise.

— Si tu veux bien sûr, je ne force personne.

— Défonce-moi et arrête de parler.

Je me marre. Elle n’a pas baisé depuis quand, celle-là ?

Je lui obéis.

Les cartons ne sont pas stables, elle manque de tomber de fois, finit par se rattraper au mur, une jambe pliée sur une chaise branlante. Elle tremble de fatigue, gémie encore. Nigel est toujours avec nous dans le débarras. Sa voix grave et rauque me prend avec force. Plus je pense à lui, plus je durcis. C’est une blague de mauvais goût.

Je finis par exploser, m’écroule sur un tas de brique, le sexe à l’air.

— Putain t’es un bon toi.

La femme se tourne, rentre ses seins, s’assoit. Je l’ai pas encore mis K.O, et j’vois à son air qu’elle en veut encore.

— Tu ne résisteras pas, l’avertis-je.

— Ça t’en sais rien.

— Tu trembles.

— D’excitation, mon beau.

Elle me parle comme une femme d’expérience alors qu’elle doit avoir vingt-trois ans, max.

Elle enlève mon préservatif, le jette et le remplace.

— C’est moi qui te mets dans cet état ?

— Non. C’est le connard qui chante.

— T’aimes pas ça, hein ?

— Non. J’aime pas ça. Ça m’fout la mort.

— Parce que c’est un mec ?

Elle se place au-dessus de moi, m’enjambe et me fait entrer en elle…

— Non… parce que j’l’connais pas.

— Tu n’me connais pas non plus et pourtant, tu…

— Ouais, mais lui, c’est différent.

— Parce que c’est un mec, c’est ce que j’t’dis.

Elle me gave, mais ses ondulations sur mon pénis me font du bien.

— T’a le droit de pas aimer les mecs mais en désirer un.

— Tu ne comprends pas.

— Ah ! Explique-moi.

Elle plaque mes mains sur ses seins, continue à se mouvoir. Je me sens bizarrement calme.

— Je… Ce Nigel. J’l’ai connu à une autre époque, et j’l’aimais. Mais j’savais pas comment lui dire. Le simple fait de le voir me procurer un bienfait merveilleux. Mais ça m’faisait mal aussi. J’pouvais pas le toucher comme avec toi. Il aurait pensé quoi ?

C’est pas moi qui parle. C’est pas moi ! Ce sont les putains de souvenir de ce connard de Ash. Toutes les sensations qu’il a eues pour Zack me parviennent. Il l’a désiré. Il s’est masturbé en sentant son odeur, en l’écoutant à travers les murs. Avec combien de filles il a couché en pensant à Zack ? Combien de fois il a fermé les yeux et mordu ses lèvres pour retenir son envie de gueuler son nom ?

Mes doigts accrochent le badge épinglé à tee-shirt.

Emma se frotte frénétiquement, tout en léchant mon manche avec sa langue vaginale.

— Tu parles d’une autre époque, comme dans la chanson d’Implausible ? « Il était… ». Genre quand tu étais quelqu’un d’autre ?

— J’sais pas ce que tu comprends à ça, mais ouais…

— C’est toi le baseball player aux yeux gris orage. Le gars que Nigel cherche.

Je la regarde incrédule. Elle se presse contre moi, ses cuisses se contractent.

Je suis fan des Implausible. Je connais leurs chansons par cœur, et j’adore décortiquer les paroles. On va pas ce mentir que Nigel est un gars bizarre, même s’il est cool.

Elle se tait, profite du moment avant que je vienne. Le groupe a arrêté de jouer.

— C’est la pause, fait remarquer Emma en sautant sur le sol. Si tu veux t’envoyer en l’air encore un peu, je termine dans une heure. Et si ça t’intéresse, tu peux lire mes notes.

— Tes notes ?

— Ouais, sur leurs chansons.

— T’es quoi ? Une groupie ?

— Non. Faut pas abuser. J’pourrais pas me focaliser sur un seul mec de toute façon. J’aime ce que Nigel écrit, ça me donne des idées pour des scénarios.

— Des scénarios ?

— J’suis scénariste amateur, avec des copines, on veut tourner un film avant l’hiver. Juste pour marquer le coup avant que ma Best se marie à son con.

Elle défroisse ses fringues, reforme ses couettes bleues.

— Alors ? Tu veux ?

— J’crois pas, non.

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