Chapitre 2 - Le Détonateur
Au moment où le dernier morceau du motard démembré touche le sol, deux silhouettes armées se dévoilent aux fenêtres voisines du tremplin du kamikaze. L'escouade se tient à découvert au milieu d'une rue d'une quinzaine de mètres de large, encombrée de carcasses de véhicules. Ces dernières compliqueront l'approche rapide du bâtiment, malgré les abris contre les attaques frontales qu'elles offrent.
- Capitaine, les terroristes aux fenêtres viennent d'armer deux mitrailleuses à particules, indique Arix. Les armures Cadre standard n'encaisseront pas ce type de projectiles sur la durée. La prudence est recommandée.
- Trouve-moi plutôt un moyen d'enlever toute cette bidoche, con de robot ! aboie Capaxis en décollant de ses doigts mécaniques les lambeaux de chairs poissant les jointures de son exo. Sigma-6, repliez-vous sous les arcades. Fizzerelli, à couvert, ça me ferait chier que tu crèves en ayant servi à rien.
À peine l'escadre réfugiée derrière la rangée de colonnes qu'une pluie de projectiles s'abat depuis le quatrième étage éventré du bâtiment. Les rais lumineux tracent des lignes mortelles en travers de la rue. Le bitume fond sous les impacts, emplissant l'air d'une âcre odeur de brûlé. De rafale de particules, l'attaque se change en véritable déluge lorsque le second tireur se joint au premier.
- Arix, dis-moi comment ces péquenauds arrivent à alimenter deux armes à énergie de ce calibre ?
- J'identifie la signature d'un G-Core derrière eux. Il a subi des modifications qui leur permettent d'en rerouter la puissance. Le numéro de série de ce générateur a disparu de l'inventaire du Central il y a plusieurs mois. Il appartient à un Cadre tombé au combat de la division Delta.
- Super, on se fait canarder par notre propre matos. Headshot, tu es en position ?
- Ouais boss, je suis au-dessus de vous. Je m'installe.
- Quand tu auras fini de te curer le pif, descends-moi ces deux clowns.
La douche de projectiles en fusion se poursuit pendant quelques secondes, jusqu'à la détonation magnétique du fusil de Tarek. À une distance aussi faible, l'énergie déployée est colossale. Propulsée à plusieurs fois la vitesse du son, la singularité magnétique perfore le métal de l'arme du terroriste comme du beurre. Trainant derrière elle un vortex large comme une pastèque, elle arrache ensuite sa tête et toute une partie de son épaule, puis continue sa course impitoyable à travers le bâtiment. L'air chauffé par la singularité distord la perspective du milieu de la rue comme un cylindre de verre imparfait. Une explosion retentit plusieurs blocs plus loin, quand l'énergie du fusil a enfin été absorbée par de multiples épaisseurs de béton.
- Calme ton engin Oualidi, tu vas raser tout le quartier, réprimande le Doc sur un ton impassible et condescendant.
- J'ai eu dix secondes pour régler le bordel, tu crois que tu peux faire mieux, l'infirmière ?
- J'aimerais autant qu'il reste des bouts de l'escadre si je dois les soigner, espèce d'inconscient.
- Bouclez-la, les Dupont ! Arix, comment est-ce qu'on accède au plus vite au gros pétard ?
- Si vous faites référence au cube de protohédron, il est installé au cinquième étage, juste sous le toit. Le groupe d'otages est détenu au troisième. Le bâtiment n'est plus alimenté, il ne sera donc pas possible d'utiliser les ascenceurs. Le chemin le plus rapide est par conséquent l'entrée principale puis l'accès aux étages supérieurs par la cage d'escalier. Malgré leur apparente désorganisation, les Euthanazis ont stratégiquement positionné les otages pour vous ralentir. Par ailleurs, je détecte un changement de température dans le cube, il semble que la réaction ait été initiée. Il reste environ dix minutes avant que la fission atteigne un stade critique irréversible. Le protohédron subira une dilatation extrême quand...
- Abrège, Arix !
- Le "gros pétard" rasera de manière inévitable le secteur dans dix minutes, capitaine.
- Ok, Tarek, tu descends le deuxième taré en évitant de démolir un autre immeuble, Doc tu relèves la bleue, il va falloir qu'on bouge, et vite. L'Ours et le Russe, préparez-vous à arroser ces psychopathes dès que le second tireur est refroidi.
Le Doc extrait une seringue du paquetage médical attaché à son bras. Il en injecte le contenu dans le cathéter métallique de l'armure de Fizerelli. Au grand étonnement de Tréa, le liquide acheminé par la tuyauterie médicale de l'exo vers ses veines ne déclenche aucun effet immédiat.
- Fox, tu en es où ? s'enquiert le Cap.
- Nous avons atteint la façade Nord du bâtiment. Personne en vue ici.
- La cible est au cinquième étage. Il devrait y avoir un détonateur un peu sophistiqué quelque part. Et sophistiqué, ça veut dire piratable. C'est dans tes cordes Liv ?
- S'introduire dans un bâtiment plein de fous suicidaires et désamorcer une ADM en dix minutes ? Sans plan ? C'est mon plus gros fantasme ! Vous êtes sérieux, Cap ?
- C'est la mission, alors tu colles au cul de Fox et vous grimpez au cinquième. C'est le moment de nous montrer que tu es toujours une magicienne de la tech. Fox, tu te débrouilles pour approcher Liv de la bombe, et pour récupérer ce G-Core volé si possible. Démerdez-vous pour ressortir vivantes, je refuse de perdre un autre Sigma. Compris Fox ?
- Aye aye, Cap'.
- On fait diversion à l'entrée pour vous ouvrir un créneau. Headshot, maintenant !
Le déchargement du fusil gauss résonne à nouveau dans la rue. Tarek a ajusté cette fois la puissance de son tir, qui se contente d'éventrer la façade arrière du bâtiment après avoir décapité le second tireur. L'Ours et le Russe sortent de derrière leurs poteaux, et entament un tir de supression nourri contre les fenêtres du bâtiment. Aucun preneur d'otages ne se risque plus à se pencher par les ouvertures. Les projectiles fusent en explosant les vitres de la façade.
- Sauf votre respect, capitaine, il me semble peu avisé d'initier un échange de tirs d'armes à énergie sous un matériau protohédrique hautement instable.
- Sauf ton respect, Arix, je ne t'ai pas demandé ton avis, rétorque-t-il en entamant sa course.
Le Cap, Doc et Fizzerelli sprintent entre les épaves qui jonchent l'avenue. Arrivés à hauteur de l'entrée, Capaxis défonçant la porte d'un violent coup de pied, faisant gémir les servo-moteurs de ses jambes. Les deux battants de métal s'ouvrent sur un hall parsemé de colonnes et de demi-cloisons. Quelques tireurs en embuscade les mettent immédiatement en joue.
L'escouade se sépare instinctivement, espérant diviser le feu du groupe d'Euthanazis. Les canons dorsaux du capitaine bombardent le peloton adverse de tirs chirurgicaux calculés par Arix, poinçonnant les crânes des terroristes à découvert sans leur laisser déclencher leurs explosifs mortels. Les trois soldats se trouvent malgré tout rapidement débordés par la dizaine d'autres kamikazes émergeant de la cage d'escalier. L'un d'eux tient en laisse deux bergers allemands ceinturés de pains de C4, aboyant bruyamment l'écume aux babines. Les tirs ennemis fusent sans prévenir, mais la plupart se fiche dans les briques des murs alentour. Les rares traits faisant mouche ricochent sur la constitution supérieure des armures exo.
À cet instant précis, les nano-capsules d'adrénaline injectées par le Doc libèrent dans l'organisme de Tréa leur contenu. Ses pupilles se dilatent, et son pouls accélère dangereusement. Les activateurs fichés dans ses muscules se synchronisent à la perfection avec son module d'ultra-mobilité. La soldate d'élite retrouve ses compétences affutées lors des multiples séances en simulateur. Elle bondit comme un prédateur sur le premier terroriste à sa portée et lui fracture les cervicales d'un mouvement de poignet vif et maîtrisé. Elle repart immédiatement à l'assaut contre le suivant, criblant le maître chien de son pistolet Typhon. Mortellement touché, mais pas immobilisé, celui ci déclenche son explosif, défigurant son voisin immédiat et applatissant tout autour de lui. Libérés de leur maton, les deux molosses se précipitent dans le simili couloir qui les mène droit à Fizzerelli. La vue de ces machoires prêtes à lui bondir à la gorge fait ressurgir une lointaine peur oubliée. Tréa se tétanise.
Le Russe éventre la cloison qui le sépare des canidés, puis saisit l'un des animaux par son collier. Il le fait tournoyer pour le balancer par la porte béante du bâtiment. Tiré depuis le côté opposé de la rue, un projectile opportuniste et précis abat le molosse.
- Tu m'en dois une Gregor, ricane la voix de Tarek dans le canal radio.
La mort du berger allemand déclenche son impitoyable paquetage : une violente déflagration souffle le cadre de l'entrée, initiant l'effondrement du premier étage. L'Ours retient la plaque de béton qui s'abat sur lui à la force de ses servos renforcés. Malgré le soutien de son camarade, une avalanche de gravats ensevelit le Doc. Le second molosse encore valide bondit sur Fizzerelli, crocs en avant.
L'animal est stoppé en plein vol par les projectiles du fusil du capitaine, qui le propulsent dans un nuage pourpre contre la paroi opposée. L'explosion de sa ceinture de C4 fragilise la façade arrière du bâtiment. Les murs se fissurent, mais la structure tient bon. Un dernier tir rebondit avec un bruit métallique contre l'armure du gradé. Ses canons dorsaux se braquent sur l'origine de l'attaque et abattent l'ultime terroriste survivant.
- Sigma-6, situation.
- Un coup de main, Cap, grogne Doharis un genou à terre.
La force de l'exo de Capaxis ajoutée à celle de l'Ours suffisent pour soulever la dalle de béton, libérant le soldat de son accablant fardeau minéral. Le Russe dégage peu à peu les blocs entravant l'armure du Doc, puis le relève d'une ferme poignée de main mécanique.
- Honnêtement, je préférais encore les mutants trantiens qu'on a dézingués dans le secteur 13M. Vous vous rappelez, les gars ? se remémore l'Ours en moulinant des bras pour décoincer ses activateurs.
- Ouais, ces horreurs puaient, mais au moins ils avaient pas tous des bombes vissées au fion ! commente Headshot.
- Ils nous ont valu deux semaines de quarantaine, tempère le Doc.
- Cap, j'ai perdu une plaque quand le premier clébard a pété, prévient Le Russe.
- Reste derrière, on va vérifier les étages au dessus. Fox, Liv, vous en êtes où ?
- Nous sommes à l'étage de la bombe. Vous devez voir ça Cap, c'est la merde, décrit Fox.
- C'est à dire ?
- Le détonateur, c'est pas du matos. C'est... un gamin, décrit Liv dans la radio. Je dirais un ado, dans les quinze-seize ans. Il est câblé à la bombe. J'ai jamais vu ça, il a des fils qui sortent par les bioports, les narines et la colonne vertébrale. J'ai l'impression qu'il a subi d'autres modifications, mais il fait trop sombre ici. C'est un travail de sagouin, il a dû souffrir le martyre.
- Arix, délai avant explosion ?
- Deux minutes et quinze secondes.
- Harpie, en position pour récupération sur le toit dans deux minutes. L'Ours et Fizzerelli, vous vous occuperez des otages au troisième.
- À vos ordres Cap, j'extrais Oualidi au passage, répond le pilote du transport.
- Permission de connexion au détonateur, Cap' ? demande Liv.
- Go, éteins-moi ça au plus vite, on vous rejoint. Quoi qu'il arrive, rendez-vous au point d'extraction dans deux minutes.
Les soldats gravissent trois par trois les marches de l'escalier en spirale pour rejoindre Fox et Liv. Au troisième étage, chacun cible son objectif. Tandis que le Cap, le Doc et le Russe filent rejoindre l'équipe de déminage, les autres sécurisent et libèrent les otages.
- Ok, c'est parti, se rassure Liv dans un soupir. C'est juste un hack de plus, tu peux le faire.
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