Chapitre 8 : Place à la conquête spatiale !

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Mes parents furent ravis quand je leur annonçai que j’avais demandé la main de Simone et qu’elle m’avait été accordée. Ils étaient impatients de la rencontrer. Ils me pressèrent de la faire venir en Ardèche, chez eux, « avec ses parents et son frère », avaient-ils ajouté.

Je transmis à mon père le numéro de téléphone de la famille de Simone à Suippes et les deux hommes s’arrangèrent. Ils calèrent ensemble la troisième semaine d’août. Cela me laisserait le temps de me rendre à Vernon pour m’y installer un peu avant tout le monde.

Lors d’un moment de calme, lassé d’entendre ma mère me parler de layette rose ou bleue, je pris ma mère à part pour lui expliquer que nous n’aurions pas d’enfants :

— Vraiment, Robert, ce n’est pas possible ?

— Non, Maman, plusieurs médecins lui ont confirmé.

Elle se décomposait.

— Plus tard, peut-être, avec les progrès de la médecine ?

Elle tentait de se raccrocher à un espoir, ayant du mal à se résoudre à ne pas avoir de petits-enfants rapidement.

— Peut-être, Maman, mais rien n’est moins sûr…

— Oh !

Je comprenais sa tristesse pour y avoir songé, moi aussi, à Suippes. Toutefois, j’étais passé à autre chose, faisant en quelque sorte, « contre mauvaise fortune, bon cœur ». Ce deuil était probablement plus difficile pour ma mère qui, malgré son travail d’institutrice, s’était toujours imaginée grand-mère à la retraite. Il faut dire qu’à l’époque, ce rôle constituait l’un des seuls à la portée des femmes prenant de l’âge

— Tu sais, avec nos postes à venir, on n’aura pas vraiment le loisir de s’occuper de gamins. Ce ne serait quand même pas bien qu’ils soient confiés aux bras d’une nourrice en permanence.

— Non, en effet, tu as sans doute raison, Robert.

J’avais longuement réfléchi depuis mon retour et j’en étais effectivement arrivé à cette conclusion. Nous n’aurions que peu de temps à consacrer à une éventuelle famille, ce qui aurait rendu nos enfants sans doute très malheureux.

Je pris ma mère dans mes bras et la serrai fort contre moi. Elle réussit à ne pas verser de larmes. Elle était forte.

Il restait une semaine avant l’arrivée de Simone et des siens. Je la passai à la fois à étudier les chiffres de budget que m’avait transmis le chef de cabinet du ministre durant la journée, et le soir avec mes amis annonéens, à faire la fête. J’avoue qu’étant donné le type de soirées, je ne commençais à me plonger dans les additions et les soustractions qu’en début d’après-midi.

Dès le premier jour, Paulo avait été tellement heureux pour moi quand je lui avais annoncé mes fiançailles à venir qu’il en avait chanté à tue–tête toute la nuit.




Ainsi, le temps passa assez vite durant cette semaine à la fois tumultueuse le soir et studieuse l’après-midi puis, le samedi, tous les Suippas arrivèrent.

Les parents sympathisèrent tout de suite. Nos pères, tous deux ingénieurs, se plurent et ne se lâchèrent quasiment pas. Nos mères, malgré leur différence de statut – celle de Simone étant mère au foyer – ne se quittèrent pas d’une semelle non plus. Seul manquait mon frère, retenu à Paris pour le montage d’une pièce de théâtre qu’il avait écrite. Il nous rejoindrait juste pour un repas le dimanche, lors des fiançailles officielles.

Simone enchanta d’emblée ma mère. Je voyais dans son regard un mélange d’envie et d’admiration. Elle qui avait pourtant travaillé toute sa vie était épatée par cette jeune femme passionnée par la recherche en physique, un domaine essentiellement masculin à l’époque. Elle avait toutefois compris une de ses motivations après mes explications concernant sa stérilité. Cette envie se teintait d’une bonne part d’empathie pour celle qui, contrairement à elle, n’aurait jamais à concilier sa carrière et son rôle de mère.

Je fis découvrir la région à Simone et Jean-Paul. Tout naturellement, assez vite ils rencontrèrent Paulo.

— Simone, Jean-Paul, voici le fameux Paulo dont je vous ai parlé. Et Paulo, voici ma fiancée, Simone et Jean-Paul, son frère, fis-je lors des présentations.

— Bonjour, Paulo, répondit Simone en s’approchant pour lui faire la bise en toute simplicité.

À ma grande surprise, Paulo vira à l’écarlate et bafouilla :

— Gmblebgfdlgen.

Je ne l’avais encore jamais vu comme cela. Il était méconnaissable, mon pote !

— Enchanté, Paulo, renchérit Jean-Paul en lui tendant la main. On dirait bien que nous allons bientôt travailler ensemble ?

— Euh, oui…

Je n’en revenais pas de son attitude si réservée, presque timide. Où était passé mon ami bavard, celui qui n’arrêtait pas de faire l’andouille, qui ronchonnait sans arrêt ? Il semblait s’être mué en agneau.

Je lui tapai dans le dos pour l’aider à reprendre ses esprits et nous entraînai tous les quatre pour une visite rapide d’Annonay.

Au bout d’environ deux heures de balade, Paulo nous abandonna pour rentrer chez sa mère. Avant de nous quitter, il me prit à part et chuchota :

— Robert, Simone est une femme bien. Fais-y gaffe et prends soin d’elle. Elle le mérite. Il faudra que tu te montres à la hauteur…

Je me souviens encore de ces mots qui m’ont marqué à vie. Elle l’avait visiblement impressionné. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai compris qu’il s’agissait de bien plus que cela.




Le fameux jour des fiançailles arriva enfin, et avec lui, une ambiance festive dans la demeure familiale. Il faisait beau et une grande table avait été dressée dehors, devant la maison. Une gigantesque nappe blanche la recouvrait, provenant sans doute de draps inutilisés. Simone et nos deux mères l’avaient décorée de fleurs multicolores cueillies dans le jardin. Au milieu du repas, qui était particulièrement gai et animé, mon père frappa légèrement son verre et le silence se fit petit à petit.

— Je crois que Robert a quelque chose à nous annoncer, dit-il d’un ton grave.

Je me levai, pris la main de ma fiancée en l’invitant à se lever également. Après m’être un peu raclé la gorge, ému par l’instant, je m’élançai :

— Je vous annonce qu’avec Simone, nous avons décidé de nous marier. Nos deux familles sont d’accord. Il ne reste plus qu’à caler la date.

Je regardai ma future femme avec un regard plein d’amour et je vis ses yeux briller du même désir de nous unir. Autour de nous, les applaudissements crépitèrent

— Un bisou ! Un bisou ! Un bisou ! clama l’assemblée présente.

Sans nous faire prier, mais un brin gênés, nous nous embrassâmes un peu gauchement, mais très tendrement.

Une fois passé ce moment, mon futur beau-père, qui se trouvait de l’autre côté de sa fille, se pencha vers nous et nous demanda :

— Robert, on a commencé à parler avec ton père, et l’on a pensé qu’on pourrait organiser vos noces pendant le long week-end autour de mardi-gras ou alors les vacances de Pâques ?

Sans un mot, avec Simone, nos yeux se sont concertés et d’une seule voix, nous avons répondu en chœur :

— Mardi-gras !

On s’est souri. On était aussi pressés l’un que l’autre de devenir enfin mari et femme.

La journée passa à un train d’enfer. Les amis d’Annonay, dont l’indéboulonnable Paulo, vinrent nous rejoindre dans l’après-midi pour « fêter ça », comme ils disaient. Je crois qu’il n’y a pas eu de fiançailles mieux arrosées que les nôtres, de mémoire d’Annonéen.

Le soir arriva, nous laissant tous un peu tristes avec le départ des invités. Simone et moi savions tous les deux que nous n’étions pas près de nous revoir. Elle devait repartir le lendemain avec ses parents et son frère. Puis, au terme des vacances, elle renouerait avec la route de Fontenay aux Roses et ses expériences. Moi, j’allais rejoindre Vernon et prendre en main mon équipe.

— Tu sais, Vernon, c’est pas si loin de Paris, me dit-elle, alors qu’elle me trouvait un peu mélancolique. Et puis, quand tu auras besoin d’aller à Suippes, je me débrouillerai pour y être aussi.

— Oui, tu as raison, Simone…

— On y sera vite début mars. Ni toi ni moi ne verrons le temps passer.

Comment faisait-elle pour avoir toujours un tel moral et ne visualiser que le côté positif des choses ? En fait, elle avait déjà éprouvé de telles difficultés que cela devait être devenu son moyen de défense : un optimisme forcené.




Les adieux, après avoir vécu une semaine entière ensemble, furent déchirants. J’avais bien compris que, malgré son optimisme affiché la veille, cela lui déchirait autant le cœur que moi de nous séparer. Elle réussit toutefois à ne pas pleurer. C’était une femme forte, comme ma mère.

Je passai la journée du lundi à me morfondre, tournant en rond et ne sachant pas quoi faire de moi-même. Cela finit par énerver mon père qui me houspilla :

— Enfin, Robert, ce n’est pas la fin du monde ! Tu vas la revoir, Simone ! N’oublie pas le projet que tu vas avoir à mener, pour la France ! Allez, haut les cœurs, mon garçon !

Il avait raison. Il fallait que je sois à la hauteur des espoirs qu’on avait placés en moi, ceux que le ministère, et même peut-être le Général, avaient fondés sur ma petite personne. Je me secouai donc et me remis au travail sur les chiffres du budget. J’avais également reçu par courrier un plan des locaux qui m’avaient été attribués et commençai à réfléchir à l’affectation des salles et bureaux.

Une fois de plus, je pris le train à Annonay, direction Peyraud, puis Lyon et enfin Paris. Je dormis une nuit chez un ami, un ancien de Supaéro. Puis, le lendemain matin tôt, je me retrouvai dans le train vers Rouen.

Vernon le 31 août 1948, cette date marque, pour moi, le début de l’aventure de la conquête spatiale française. Vous n’entendez pas la Marseillaise, là, en fond ? Moi, si… J’étais donc le premier sur place. Non, le second, en réalité, Maryse, la comptable, étant déjà présente. Je visitai nos locaux avec elle, affectant les bureaux aux différents membres de la future équipe. Je fus attentif à en choisir un bien éloigné du mien pour Maurice P. Les trois Allemands qui devaient nous rejoindre dans l’après-midi furent affectés ensemble dans une grande salle. Nous étions contigus du LRBA, constitué, lui, principalement de militaires.

Maryse m’avait réservé une chambre dans une pension dans le centre de Vernon, en attendant que je trouve un logement plus pérenne. J’empruntai la voiture de fonction allouée au projet pour aller y déposer mes affaires.

Ensuite, de retour au bureau, je fis un premier point budgétaire avec Maryse, qui me félicita pour la clarté de mes projections. Visiblement, je n’étais pas trop à côté de la plaque, malgré mon manque d’expérience dans le domaine. Tout ceci me semblait plutôt de bon augure. Un peu fatigué par les trajets en train et la journée de découverte de nos locaux, je ne tardai pas à rejoindre ma chambre et sombrai dans le sommeil comme une masse.




Le lendemain, je me réveillai très en retard, ayant oublié la veille de mettre mon réveil à sonner. J’allais débarquer après tout le monde… Mince ! Quelle image allais-je renvoyer ? En tant que chef, j’étais censé montrer l’exemple. Ça démarrait bien ! J’attrapai ma sacoche et y fourrai ce qui me semblait important pour cette première journée.

Quand j’arrivai dans nos murs, un peu essoufflé d’avoir couru, toute l’équipe se trouvait là, les trois Allemands dans un coin, à part, visiblement pas intégrés au reste du groupe. De plus, ça commençait fort : Paulo et Maurice s’étaient déjà engueulés, Jean-Paul avait dû les séparer, une sombre histoire de café… Des bêtises, quoi. Personne n’osa faire de remarque sur mon retard. Je notai juste le sourire ironique de Paulo. Il n’en loupait pas une. Pour une fois, je m’inclinai. Oui, cela pouvait m’arriver à moi aussi d’avoir une panne de réveil.

Ce bref moment de gêne passé, je les réunis tous dans la grande salle et leur fis un exposé rapide sur les attentes du ministre, les moyens que nous avions à notre disposition et l’aide que pouvait nous apporter la base de Suippes. Je demandai à chacun de réfléchir au personnel supplémentaire nécessaire pour que j’en fasse part au colonel. Je les sollicitai également afin qu’ils listent le matériel indispensable pour commencer à travailler.

— Moi, je n’ai besoin de rien, se lança Paulo. Enfin de personne. En revanche, je veux bien une caisse à outils complète. Surtout si tu envisages que je bricole… Je suis un peu là pour ça, non ?

Sacré Paulo, toujours ses fichues remarques acerbes…

— C’est noté, Paulo, tu iras voir Maryse pour la liste ? Maryse vous accèderez à tout ce que réclamera Paulo, dans la limite du raisonnable, bien sûr. Ce qu’il y a de mieux, hein !

— Bien Robert, c’est enregistré, me répondit-elle.

— Il me faudrait du matériel de chimie, Robert. J’ai fait le tour, il n’y a rien, que dalle… Il va falloir transformer une partie des locaux en laboratoire. Nous aurons besoin de paillasses avec de l’eau et une évacuation, demanda mon ancien collègue de l’ENSTA.

— Pareil, Georges, tu listes tout ça et tu transmets à Maryse ?

— Super, merci Robert.

Je hochai la tête en signe d’assentiment.

— Maryse, on se voit quand vous avez fait le point avec Paulo ? fit le chimiste.

— Je vais être obligé de caler des rendez-vous… Mais oui, Georges, juste après.

— Paulo, tu pourras installer l’eau et des éviers dans les labos ? Enfin, pour transformer un des ateliers en vrai labo, questionna-t-il encore.

— Pas de problème, si Maryse me commande ce que je lui demanderai.

J’étais satisfait qu’ils se débrouillent entre eux, sans moi.

— Bien sûr qu’elle va le faire, dis-je. Et toi Maurice, tu as besoin de quoi ?

Je ne pouvais décemment pas le faire passer en dernier. Je faisais mon possible pour ne pas montrer à quel point il m’agaçait. J’étais le chef et je devais me montrer absolument impartial, même avec lui.

— Une table à dessin et une règle à calcul. La mienne, je l’ai oubliée chez moi et puis j’aurai besoin d’un paquet de composants électroniques.

— Parfait, tu vois ça aussi avec Maryse ?

— Après Paulo et Georges, pas tous en même temps, s’il vous plaît, précisa Maryse.

— Pourquoi après Paulo ? sortit Maurice.

Je vis mon ami se redresser et le regarder avec un truc que je n’aimais pas dans les yeux.

— Maurice… fis-je pour ramener le calme en levant les mains.

— Ça va, ça va, je disais ça pour plaisanter…

Tu parles d’une blague. Quand ça n’amuse que celui qui la prononce, on peut douter de l’effet comique.

— Et toi, Jules, tu as besoin de quoi ?

— Oh, pas grand-chose, quelques produits chimiques dont je donnerai la liste à Maryse aussi. J’irai faire mes expériences dehors, je ne veux pas tout faire péter ici.

— Non, ça serait mieux. Pas dès la première semaine en tout cas.

Éclats de rire général, si, si, même Maurice. Finalement, on allait peut-être arriver à travailler tous ensemble ?

— Vous me listerez aussi vos besoins en personnel, n’oubliez pas.

— Pas pour moi, me répondit Maurice, les calculs, ça ne se délègue pas.

Rien qu’avec une phrase, a priori anodine, il m’avait énervé.

— Quoique, pour faire les câblages, un électricien, ça serait pas mal, reprit-il.

Voilà, il avait voulu faire le malin en s’imaginant plus fort que tout le monde, mais lui aussi aurait besoin d’un coup de main.

— Il me faudrait deux techniciens, Robert, pour le labo de chimie, m’indiqua Georges.

— Et puis un pour moi également, compléta Jules.

— Tu sais, on devrait travailler ensemble, Jules. Du coup peut-être que deux ça suffirait ? proposa Georges.

— Ça me va super. Préparera les expériences au labo et l’on effectuera les essais dehors. Bonne idée !

Voilà, c’est cela que j’attendais : qu’ils s’arrangent entre eux et qu’ils optimisent eux-mêmes les moyens. J’étais finalement heureux, tout roulait.

— Et pour vous, Helmut ? demandai-je au responsable du trio allemand.

— Ach nein, besoin de rien, on a déjà un moteur qui fonctionne : 40 tonnen de poussée. Il est en konstruktion.

— Ça ne fait pas un peu beaucoup pour une fusée d’à peine une tonne de poids ?

— Nein, ce sera wunderbach, dans les étoiles cette fusée allera ! m’assura-t-il, confiant.

Hochement de tête de ses deux autres collègues. À voir quand même. Je n’étais pas certain d’avoir envie que la première fusée française s’envole, poussée par un moteur de V2, des bombes responsables de tellement de morts dans les populations civiles anglaises et belges. J’avais aussi des doutes sur la satisfaction totale du ministre devant pareille situation.

Pour le moment, à part Maurice qui me hérissait le poil quasiment en permanence, tout semblait se dérouler plutôt bien. Toutefois, nous n’en étions qu’aux prémices. Je me doutais que le plus difficile allait arriver. Cela s’avérerait certainement plus compliqué, voire complexe, de diriger une équipe de recherche plutôt qu’un groupe de combat dans le maquis ardéchois…


Mais la guerre était bien finie. Place à la conquête spatiale !

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