Chapitre 15 : elle avait toujours raison

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Quelques jours plus tard, alors que cette histoire d’agression sexuelle commençait à me sortir de la tête tant j’étais accaparé par le quotidien, Josiane vint me trouver à mon bureau.

— Je peux entrer ? me demanda-t-elle.

— Bien sûr ! Bonjour, Josiane, comment allez-vous ?

— Bonjour, Robert. Ça va mieux, nettement mieux.

— J’en suis ravi, fis-je avec un sourire.

— Votre soutien m’a fait du bien. De plus, avec ce que vous avez dit à toute l’équipe, je me suis vraiment sentie reconnue comme victime et ça m’a apaisée.

Bien, j’étais assez satisfait de moi. J’avais agi comme il fallait. Je souris intérieurement en pensant à mes échanges avec Simone.

— Ce n’était pas le seul but. Je voulais aussi que ce qui vous est malheureusement arrivé ne se reproduise plus, pour aucune d’entre vous.

Ah non ! Pas de deux fois dans mon équipe. Je l’avais clamé haut et fort : plus jamais ça ici !

— Merci, Robert.

— Ne me remerciez pas, Josiane, c’était mon rôle.

— …

Elle restait assise en face de moi et visiblement ne semblait pas décidée à partir.

— Vous aviez autre chose à me dire ou me demander ?

— Oui, quand vous m’avez parlé, ce jour-là, vous m’aviez dit que vous viendriez avec moi si je souhaitais aller déposer plainte.

— Bien sûr, je m’en souviens tout à fait. Cela n’a pas changé.

— Vous voudriez bien y aller aujourd’hui ? J’ai réfléchi, j’en ai pas mal discuté avec des copines et aussi avec Paulo. Ce serait sans doute pour moi le moyen de passer définitivement à autre chose.

J’hésitai un peu avant de lui répondre. J’avais plein d’autres choses à faire aujourd’hui, mais je lui avais offert mon soutien pour cette opération. Je lui avais proposé et, détail non moins important, je m’y étais engagé auprès de Simone. Dans ces cas-là, comme on dit : quand faut y aller, faut y aller.

— Bien, on y va ? lui dis-je en me levant.

— Tout de suite ?

— Ben oui, pourquoi attendre ?

— Euh, vous avez raison. J’attrape ma veste et mon sac à main et je vous rejoins.

Je pris un des véhicules de l’équipe et fis monter Josiane devant, à côté de moi. Le trajet jusqu’à la gendarmerie de Gignac ne dura pas longtemps. Peu de mots furent échangés dans la voiture. Elle semblait concentrée sur l’événement à venir.

Lors de notre arrivée, une certaine agitation régnait dans les locaux de la maréchaussée. Avec l’ouverture de la chasse, les premiers accidents étaient survenus : durant une battue au sanglier, il y avait eu deux blessés et un mort. La saison commençait bien. Plus de la moitié de la brigade enquêtait dessus.

Au bout de quelques minutes d’attente, un gendarme vint nous demander la raison de notre présence dans leurs bureaux.

— Nous venons porter plainte.

— Porter plainte, s’étonna-t-il en levant les yeux au ciel. Et à quel sujet ?

— Plainte pour tentative de viol, agression sexuelle.

— C’est vous l’agresseur ? s’étonna-t-il.

— Non, non ! C’est cette jeune femme qui a été agressée. Moi, je suis juste là pour l’accompagner.

Franchement, dans quels cas l’agresseur vient-il à la gendarmerie avec la victime ? Ça commençait bien…

— Allez-y, entrez dans ce bureau, fit-il en nous ouvrant une porte. Je vais chercher l’OPJ.

— Un opéji ?

— Oui, un Officier de Police Judiciaire[1], quelqu’un habilité à recevoir des dépôts de plainte, quoi.

Cela lui semblait évident, mais ne l’était ni pour Josiane ni pour moi.

— Merci, répondis-je en laissant Josiane entrer la première dans le petit local où ses doléances seraient enregistrées.

Il nous fallut attendre encore dix bonnes minutes avant que l’un de ces fameux OPJ vienne nous rejoindre. Il s’agissait d’un adjudant, ou adjudant-chef, difficile pour moi de savoir précisément avec les couleurs des galons inversées par apport à l’armée en général.

— Bonjour, messieurs-dames, Adjudant Malabert, pour vous servir, s’annonça-t-il. Que puis-je pour vous ?

— Bonjour Adjudant, nous voudrions porter plainte, répondis-je.

— Ah… Et plainte pour quoi ?

— Plainte pour viol, tentative de viol et pour agression sexuelle.

— Viol, tentative ou agression sexuelle ? Ce n’est pas pareil, vous savez.

— …

Je n’avais pas les compétences pour discriminer tout ça. Elle s’était fait agresser dans le but d’être violée, point.

— Y a-t-il eu pénétration de quelque sorte que ce soit ?

Je me tournai vers Josiane qui venait de piquer un fard. On peut dire que nous étions en présence du roi du tact, avec ce fameux OPJ.

— N… Non, non, pas de pénétration.

— Bien, agression sexuelle, donc, fit-il en s’appliquant à glisser ses feuilles auto-carbonées dans la machine à écrire devant lui.

— Oui, c’est cela, acquiesçai-je.

— Alors, reprenons, vous êtes qui tous les deux ? Déclinez-moi votre identité, je vous prie : nom, prénom, date et lieu de naissance, fonction, adresse et tout le toutim.

Il nous fallut nous présenter dans le détail ainsi que notre rôle dans le projet Véronique. Une fois qu’il eut tout scrupuleusement noté sur sa Remington en utilisant seulement ses deux index, nous pûmes préciser les raisons de la plainte de Josiane.

— Après l’essai réussi du 12 septembre… me lançai-je.

— C’est le 12 septembre que les faits subséquemment mentionnés se sont déroulés ?

— Oui, c’est cela, validai-je.

— Et vous ne vous pointez que maintenant ?

La pauvre Josiane ne savait plus où se mettre. Posant doucement ma main sur son bras pour la réconforter, je répondis à sa place :

— Écoutez, Adjudant, il a fallu un peu de temps pour qu’elle se rétablisse et se décide à venir porter plainte.

— Quand même, ça fait plus de cinq jours.

— Il y a un délai de prescription ? l’interrogeai-je.

— Oui, de quelques années.

— Donc, cinq jours, ce n’est pas grave.

Il commençait sérieusement à m’énerver, celui-ci. Je ne le sentais vraiment pas convaincu du bien-fondé de ce dépôt de plainte. Quel besoin de pinailler pour cinq jours si le délai de prescription se chiffrait en années ?

— Certes, mais les preuves…

— De quelles preuves parlez-vous ?

— Je ne sais pas, des témoignages, des habits déchirés, des traces de coups.

Durant tout ce temps, Josiane avait très peu parlé, se limitant à l’indispensable et à son identité. Elle semblait tétanisée par la teneur de l’entretien, comme si c’était elle la coupable et qu’elle devait se justifier de tout. Je sentais la pression monter en elle, comme en moi. Ce gendarme était vraiment insupportable. Pour essayer de la soutenir, je mis les pieds dans le plat avec lui :

— Écoutez, Adjudant, vous allez la prendre, notre plainte ou pas ? lui demandai-je, sur un ton un peu excédé.

— Bien sûr que je vais la prendre, mais je vous explique le contexte : sans preuve, sans témoins, ça va être difficile de faire quoi que ce soit. Cependant, je vous écoute, je vais noter tous les éléments que vous me donnerez.

Je me lançai alors dans le récit des événements : l’essai réussi du 12 septembre, la fête qui s’en était suivie. Josiane, un peu apaisée, prit ensuite le relais, à grand-peine, en cherchant ses mots. Je sentais bien que pour elle, revivre ces moments était très douloureux. Cela n’était pas rapide, L’OPJ tapait très lentement. De plus, il demandait des détails qui me semblaient déplacés, voire hors de propos, qui ne faisaient que plonger la pauvre jeune femme dans l’embarras. Il insista en particulier sur la longueur de la jupe.

Sans doute parce que cette pensée m’avait traversée aussi, je réagis vivement, rétorquant que le port d’une jupe au-dessus du genou ne voulait pas dire que l’on était en chaleur comme un animal. Malgré toute la vigueur que je mis dans mes paroles, je n’étais pas certain d’avoir convaincu notre interlocuteur.

Ensuite, je poursuivis et expliquai quel avait été mon rôle dans la gestion de l’agression : comment j’avais demandé à Jules de démissionner – comment je l’avais viré, en fait –, comment je m’étais adressé à l’ensemble de l’équipe.

À la fin de mes explications, il nous regarda et, d’un air satisfait, nous dit :

— Donc, tout est réglé ?

— Pardon ?

— Ben oui, se justifia-t-il. La p’tite dame n’a pas été violée, vous avez viré l’agresseur et prévenu toute votre équipe. Tout est bien qui finit bien, non ?

— Et le traumatisme de l’agression ?

— Elle est jeune, elle s’en remettra. Pas vrai, ma p’tite dame ?

J’étais sidéré par l’attitude de ce gendarme, par sa désinvolture. Puis je me rappelai que j’avais eu la même réaction sur le coup, « elle est jeune, elle s’en remettra ». Ensuite, il y avait eu le coup de fil avec Simone, qui m’avait remis les idées en place. Je ne pouvais décidément pas en rester là.

— Et l’agresseur ?

— Quoi, l’agresseur ? Il a reconnu les faits et vous l’avez renvoyé, fin de l’histoire, non ?

— Mais, et notre plainte ?

On n’avait pas fait tout ça pour ça, quand même ? Josiane n’avait pas revécu son agression devant moi et ce gendarme pour que cela se termine aussi simplement et bêtement !

— Oh, rassurez-vous, je vais bien la transmettre à Monsieur le Procureur de la République à Montpellier, mais je vous fiche mon billet qu’il va la classer sans suite.

— …

Que dire de plus ?

— Vous avez fait tout ce que vous aviez à faire. Maintenant, on s’occupe du reste.

On s’occupe du reste, tu parles. J’étais écœuré par le comportement de ce gendarme, par la justice.

En quittant les locaux de la maréchaussée et sur le chemin vers notre voiture, Josiane me prit le bras et me remercia :

— Merci d’avoir été là. Ne nous en faites pas, Robert, je me sens mieux.

— Vraiment Josiane ?

Comment pouvait-elle se sentir mieux après ce qu’elle venait de subir de la part de ce malotru ? Je ne comprenais pas.

— Oui, oui. Maintenant, je vais pouvoir passer à autre chose. Je sais parfaitement que Jules ne risque rien. J’espère juste qu’il a eu peur et qu’il ne recommencera pas de sitôt. De plus, j’ai été reconnue comme victime dans cette histoire et ça m’a fait du bien.

Elle avait sacrément cheminé, Josiane, pour prendre les choses de cette façon-là. J’étais admiratif. Simone avait raison : les femmes sont vraiment fortes.

Sur la route du retour, elle semblait aller de mieux en mieux. Elle plaisanta même sur la chasse et la gendarmerie.

À notre arrivée, Paulo était là pour nous accueillir. Josiane s’approcha de lui et se jeta dans ses bras. Il les referma sur elle avec un geste d’une infinie tendresse. Elle blottit sa tête dans le cou de mon ami. Il me fit un clin d’œil et un signe de la main signifiant « merci ». Je les laissai tranquilles, repartant dans mon bureau.

Visiblement, il s’était passé des choses entre eux deux durant ces derniers jours. J’étais heureux pour lui et pour elle. Malgré son sale caractère, c’était un homme bien.

Lors de mon coup de téléphone suivant avec Simone, je lui racontai ce dépôt de plainte et l’attitude du gendarme qui nous avait reçus. Comme je m’y attendais, sa réaction ne tarda pas :

— Rappelle-toi, Robert.

— Quoi ?

— Tu n’avais pas fait une réflexion sur la longueur de la jupe ?

— Si en effet, mais grâce à toi et à nos échanges, j’ai compris que le problème n’était pas du tout là.

— Tout à fait ! Je suis très fière de ton évolution et que tu aies compris que le problème ne venait pas des vêtements portés par les femmes.

— Non, chacun peut bien s’habiller comme il veut, ou comme elle veut.

— Exactement. Et puis tu sais, cette mentalité finira peut-être par changer quand il y aura des femmes gendarmes[2] ?

— Tu plaisantes ? Ça n’arrivera jamais, ça !

— Tu n’en sais rien, Robert.

— Eh ben, ça ne sera pas facile pour une femme, la vie dans une brigade de gendarmerie.

— Qui sait si un jour, tu n’auras pas des femmes en position d’en commander une, de brigade[3] ?

— Tu y crois vraiment ?

Parfois, elle exagérait un peu quand même.

— Tout est possible, Robert, il suffit de s’en donner les moyens. Regarde là où je suis…

— Oui, c’est vrai ; Simone, mais toi, tu es exceptionnelle.

— Je ne suis pas la seule, tu verras dans le futur.

Elle avait raison. Elle avait toujours raison.

[1] Ce militaire formé au droit pénal et aux différents types d’infractions pénales est chargé d’enquêter sur différents crimes et délits. Collecter des preuves et des indices sur les lieux d’un meurtre, faire des perquisitions et des saisies sur des suspects, surveiller des personnes suspectées d’infractions en tous genres, mettre en œuvre tous moyens pour arrêter des trafiquants (œuvres d’art, stupéfiants), etc. font partie du quotidien de ce Gendarme Officier de Police Judiciaire. (Source Gendarmerie nationale).

[2] Deux décrets, publiés le 10 février 1983, autorisent la présence de femmes dans les corps des sous-officiers (décret n°83-96) et des officiers de gendarmerie (décret n°83-94). Impulsée par la Commission Prospective sur la femme militaire mise en place par Charles Hernu, ministre de la Défense, en 1982, l’ouverture des corps d’officier et de sous-officier aux femmes fait partie des 30 mesures proposées par le rapport rédigé par le médecin inspecteur général Valérie André et remis au ministre le 1er juillet 1982.

[3] 1993 : nomination de la première femme commandante de brigade (maréchal des logis-chef Cosette Heftre-Guy) à Saint-Mamet-la-Salvetat (Cantal).

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