Introduction
Bénis soient les premiers rayons qui dispersent l’obscurité. Les ténèbres ne peuvent m’atteindre, la Lumière passe en moi. Mon esprit est une graine qui chaque jour s’épanouit. J’incarne la Lumière, je suis élu. J’illumine la voie des non-éclairés. Je suis humble, car la Lumière est un cadeau des justes. Je suis élu, je suis la Lumière, j’emmène l’humanité vers la clarté.
Prière de l’Aube, Opuscule des Elus de la lumière
La nuit venait de tomber. Vald aurait dû rentrer directement, mais il comptait aller traîner avec les autres jeunes de la Coopérative. Jorda travaillait sur un nouvel alcool et il comptait bien le goûter, même si le précédent avait bien failli le faire dégobiller. Vald tenait à son image de solide gaillard, seuls les vrais hommes pouvaient boire les breuvages du revendeur de gnôle sans rendre leurs tripes.
Une bise glacée fouetta les joues grêlées du jeune homme. Il frotta ses mains l’une contre l’autre, rasséréné par la vision de l’immense construction qui se détachait sur le ciel d’obsidienne. Il serait bientôt entre les murs de l’immense silo, à l'abri de cette saloperie de froid. Jorda avait installé sa distillerie dans le bâtiment à l’abandon et les adolescents avaient pris l’habitude de s’y retrouver à la nuit tombée, leurs tâches terminées.
Vald venait de trouver un travail chez Mathia, l’éleveur de la Coopérative, et peinait comme une bourrique depuis deux semaines. Ses mains se couvraient de cales à force de manier la fourche. Il ne s’enlevait plus du nez l’odeur des bovins et de leurs déjections. Il trouvait sa besogne bien pénible au vu de la mortalité élevée des bêtes. La stérilité des sols était une vraie plaie. La moitié des bêtes n’atteignait pas l’âge adulte, rongées de malformations ou d’intoxication.
Un peu comme les humains, d’ailleurs, pensa Vald.
Le lait qu’il tirait de son travail remplissait les ventres de sa sœur et de sa mère. Cette dernière allait sans doute lui flanquer une claque derrière la nuque pour être resté dehors.
Il y avait eu plusieurs attaques de vagabonds ces derniers temps. Les enfants n’avaient plus le droit de jouer à l’extérieur, et même les adultes évitaient de sortir s’ils le pouvaient.
Vald n’était pas un froussard. S’il croisait un mort-la-faim, il lui enverrait un bon coup de pied dans les parties. Suivant sa pensée, il envoya valser de sa chaussure un caillou qui traînait là. Le projectile ricocha contre le hangar vide qu’il longeait. Il fit la grimace devant le bruit sourd et accéléra le pas.
La forme du silo se faisait de plus en plus nette et le froid de plus en plus mordant. Le jeune homme aborda la légère montée de terre qui menait à l’entrée du bâtiment. Il espérait que les filles seraient là. Il avait passé une journée pénible et rêvait de les asticoter. Une odeur nauséabonde piqua ses narines. Vald en eut un haut-le-cœur et se couvrit le nez en jurant. Un animal devait être crevé dans un coin, ou quelqu’un avait vidé ses intestins sur le chemin.
Les vieux lampadaires au bord du chemin n’éclairaient plus grand-chose et plus d’un se trouvaient éteints. Depuis que les attaques de vagabonds se multipliaient, les fouilleurs se risquaient moins dans les ruines pour chercher des recharges de lumière. Vald se hâta de gagner un des faibles halos pour se sentir un peu plus en sécurité.
— Maudit fainéants, grommela-t-il. Pourtant pas compliqué de fouiner au milieu des détritus.
L’odeur semblait le suivre et il plaqua un peu plus sa paume contre son nez et sa bouche. Sa main puait, elle aussi. Elle sentait un mélange de sueur, de bouse de vache et de foin. Un bruit lui fit faire volte-face. Une respiration aux allures de râle montait de l’obscurité, tout proche de lui.
La piètre luminosité permit tout juste à Vald de discerner la silhouette tordue, aux longs cheveux emmêlés, qui s’approchait. Il réalisa que l’odeur, plus forte et marquée que jamais, provenait de l’étranger. Le courage du jeune homme l’avait fui, ses mains tremblaient et il déglutit avec difficulté.
Le vagabond approcha à pas lents, sa tête hirsute se trouva alors sous la lumière d’un réverbère. Le visage de Vald se crispa en un cri muet. Des cheveux noirs, d’une saleté repoussante, couvraient à moitié un visage cireux, ravagé de cicatrices. La bouche entrouverte, presque édentée, laissait voir une langue déchiquetée. L’homme ne portait qu’un pagne crasseux. Des excroissances lui boursouflaient les épaules. Il n’était pas bien grand, mais son regard noir et fou suffisait à pétrifier Vald. Dans sa main, aux ongles déformés, il tenait un couteau. La lame rouillée n’en restait pas moins une menace. Vald leva les mains en signe de paix et voulut dire quelque chose à l’étranger, mais n’en eut pas le temps. L’homme barra ses avant-bras d’une profonde estafilade. Vald laissa échapper un cri et prit la fuite. Le vagabond lui sauta sur le dos et planta sa lame entre ses côtes. Le jeune homme hurla à s’en casser la voix. Les portes du silo, toutes proches, s’ouvrirent dans un grincement. Le mort-la-faim tâta le corps de Vald avec frénésie, à la recherche de la moindre richesse, le défit de son gilet et s’enfuit dans la nuit.
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