1 - Un repas
– Tartiflette lardon-fromage, reblochon, tranches de lard et petites tomates-cerises pour garder la santé !
– Dommage que la bonne santé soit réduite à quelques petites tomates…
– Oh, c’est la nouvelle année, faut se faire plaisir !
– Parle pour toi, je mangerai rien de tout ça moi.
– Il y a un peu de salade je crois, enfin, il y a un sachet dans le frigo. De la mâche, un truc comme ça.
– Belle attention ! Mais j’en connais quelques un en tout cas qui ne fêteront pas la nouvelle année. Richard le cochon, Marie la vache et ses fils : Pierre, Tho…
– Anthropomorphisme. Ça c’est de l’anthropomorphisme culpabilisant d’enfant de douze ans. Pas sûr que ça serve ton propos.
– Remarque d’enfant à laquelle les adultes ne se donnent jamais la peine de répondre sans infantilisation. Le peuvent-ils autrement ? Dis-moi, tu les aurais tué ces animaux ?
– Ouais, si je suis dans le besoin et qu’il faut le faire, bien sur, oui.
– Parce que là tu es dans le besoin vital où tu as juste préféré mettre dix balles pour de la mauvaise viande que cinq dans de bons légumes ?
– Tes légumes, je m’en fiche un peu, j’ai besoin de viande rouge. Les protéines, ça te rappelle quelque chose ? Les légumes, ça ne fait pas les os.
– Dit-il en mangeant de pleine dent la chaire grasse d’un robuste herbivore.
– Oui, oui, c’est pas le problème. A force de sacrifice pour des principes, on devient esclave du principe des sacrifices. Médicalement, on appelle ça de l’automutilation. Moi, je reste défenseur du goût avant tout, du plaisir.
– Le sel, le gras, le sucre : les trois seules mesures gustatives présentes en supermarché, qui sont aussi réputées pour être de puissants et vilains narcotiques. Mieux vaut prétendre à d’autres choses quand on aime manger ! Le goût est subtil, c’est un art : toi, tu me parles de viande comme un toxico de cocaïne. Tu en es d’ailleurs la victime : c’est une drogue ce truc, ça surexcite et rend incontrôlable. Ce serait un narcotique parfait pour une société de consommation non ? Oh, attends…
– Bien sûr et toi tu t’en es échappé, en remplaçant le mauvais narcotique capitaliste par le bon narcotique moralement accepté par ta petite bande d’écolos. Le bien, le mal, on y revient. On se prive pour prétendre à la vertu. On crée le diable puis le pécher et nous voilà avec le droit de mépriser l’autre, premier moyen pour se projeter et s’identifier facilement.
– Alors reste où tu es, dans ta petite économie d’âme, que veux-tu…
– Et j’en suis fière, par opposition à ton mode de vie. Voilà au moins quelque chose que l’on partage mon ami !
– Un jour, on mangera des carottes au clair de lune. Et ce sera beau, surtout quand une famille de lapins viendra partager le repas.
– Oh, mieux vaut qu’ils ne s’approchent pas trop !
– Barbare !
– Ascétiste !
– Consommant !
– Moraliste !
– Allons, qu’as-tu prévu ce soir ?
– À la télé, sur Canal, il y…
– Vraiment ? La boite à image ? Mais tu ne sais pas que…
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