Un passé douloureux.

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16 mai 1886,

Cette nuit encore, la tempête a fait rage. Un vent sinistre est venu du creux de la gorge, s'est élevé jusqu'au sommet du piton rocheux, a modulé ses hurlements, d'abord graves, puis allant crescendo jusqu'aux gémissements les plus aigus, imitant à la perfection la voix humaine. C'est alors qu'il est devenu hideux, lugubre, comme le dernier râle d'un pendu. Presque toute la nuit, la forteresse a subi les assauts répétés du vent comme autant de meurtrissures.

Je l'ai de nouveau perçue, cette longue plainte, parmi les bourrasques et les tourbillons. Puis tout ce vacarme a fait place au silence. Je me suis endormie, épuisée.

Au matin, j'ai été réveillée par des bruits de pas et de froissement d'étoffe qui provenaient du couloir. J'ai pensé que Marcelline voulait peut-être m'informer d'un événement important. Pourtant ce n'est pas dans ses habitudes de venir s'exiler de si bon matin aussi loin de sa zone d'influence : sa cuisine. Je me suis précipitée hors de ma chambre pour comprendre de quoi il retournait. Mais il n'y avait personne. L'immense couloir, à peine éclairé à ses extrémités, par deux petites fenêtres donnant sur le précipice, était désert. Plus tard, j'ai interrogé Marcelline à ce sujet mais elle m'a certifié qu'elle n'était pas venue dans l'aile où je réside. Je suis perplexe. Elle a ri, suggérant que ce pouvait être un fantôme :

- Il y en a tellement ici, paraît-il, mais je n'en ai jamais aperçus !

Sa bonne humeur communicative m'a fait oublier la nuit mouvementée que je venais de passer. Je n'ai pas osé évoquer avec elle ce que j'avais vu, hier, à la bibliothèque, de peur d'être ridicule.

Après avoir pris mon petit-déjeuner, je me suis plongée à nouveau dans mon livre. Tant d'événements tragiques se sont déroulés ici. Dans la deuxième moitié du XVIe siècle, les guerres de religion faisaient rage dans le royaume. La bâtisse était encore une fière forteresse flanquée de deux donjons. (Aujourd'hui, ceux-ci ont disparu, sans doute érodés peu à peu, faute d'entretien, par les intempéries.) L'édifice a été le siège de batailles sanglantes opposant les catholiques et les protestants. A cette époque, le château appartenait à une ancienne et puissante famille qui tirait sa fortune de négoces d'huiles et d'épices. De confession protestante, la lignée a été décimée par les catholiques.

Certains souterrains de la bâtisse, dont les issues sont condamnées, doivent peut-être receler les traces de ce passé douloureux. Je les imagine jonchés de squelettes démembrés, de pendus au bout de leur corde, ou de restes momifiés de soldats de Dieu jetés dans les oubliettes du temps.

J'ai posé mon livre sur mes genoux, songeuse. Ce lieu chargé d'Histoire n'avait peut-être pas révélé tout ce qu'il renfermait. Bientôt, je retournerai à la bibliothèque pour en savoir davantage.


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