Un plan et un trousseau de clefs !
20 mai 1886,
Je suis allée rendre visite à Monsieur Jean pour le saluer et lui demander un plan plus détaillé de la partie souterraine du château, afin de poursuivre mes investigations. J'ai aperçu l'employé, assis entre deux piles de documents administratifs, inscrivant sur un cahier, de sa petite écriture droite, d'interminables lignes de chiffres.
- Bonjour Monsieur Jean. Vous êtes bien occupé, ce matin !
- Bonjour mademoiselle Emma. Je suis en train de faire le bilan comptable de cette saison touristique et cela me prend beaucoup de temps.
- Vous êtes polyvalent, alors !
- Vous ne croyez pas si bien dire ! A une époque, quand j'étais encore valide, j'accompagnais les touristes dans des randonnées un peu périlleuses. Mais depuis mon accident, j'ai dû accepter bon gré mal gré mes nouvelles fonctions.
- Que vous est-il arrivé ?
- Je suis tombé dans une crevasse où j'ai failli y laisser la vie, et depuis cet accident, j'ai un pied bot ! Mais la relève est assurée. Julien guide les randonneurs en haute montagne quand son travail de jardinier lui laisse un peu de temps devant lui. C'est un alpiniste chevronné. Il a même escaladé la haute muraille de la forteresse avec force attirail : chaussures à clous, pitons, piolets, cordes... et agile avec ça ! Un véritable acrobate des hauteurs ! Au fait ! Qu'est-ce qui vous amène, ma petite demoiselle ?
- Je voudrais un plan détaillé des souterrains, s'il vous plait. J'ai l'espoir de découvrir des indices, des inscriptions ou des objets datant du 16e siècle.
- J'ai un plan qui date de 1550 ! Depuis, le château a subi quelques transformations ! J'en ai un autre plus récent, si vous voulez.
- Donnez-moi donc les deux, s'il vous plait !
- Faites quand même attention, mademoiselle ! Si vous voulez aller à la découverte des souterrains, des geôles et des oubliettes, ne perdez pas les plans ! Et puis, certains endroits peuvent être dangereux, munissez vous d'un bon éclairage. Ce château a été occupé un temps par une famille protestante, et selon la légende, il y aurait un temple quelque part. Mais on ne l'a jamais trouvé. A cette époque, les protestants devaient se cacher pour pratiquer leur religion sans dogme, considérée comme hérétique par les catholiques.
- Et savez vous ce qu'est devenu le marquis de Mancy après ce terrible massacre ?
- Il est mort de chagrin peu de temps après. Le château n'a pu être vendu car il était considéré comme maudit et hanté par les âmes des défunts. Les gens des villages environnants ne se hasardaient pas dans les parages, surtout la nuit. Des clameurs, des cris horribles se faisaient entendre parfois des donjons où une partie de la famille de Mancy avait résidé. Du moins, c'est ce qui se rapporte de bouche à oreille.
L'Eglise catholique s'est appropriée ces lieux vers 1760 et on a commencé à restaurer le château qui menaçait de tomber en ruines. Pendant un temps, il est devenu un couvent qui abritait des soeurs cisterciennes. Mais les conditions de vie étaient tellement difficiles pour ces femmes que le cloître a été déserté. Il a été racheté en 1830 ensuite par un riche industriel qui en a fait un hôtel.
- Et qui était cet ermite qui a occupé les lieux sous la Révolution ?
- Un aristocrate fortuné qui a surtout fui Paris pour ne pas être raccourci par le peuple, en révolte contre tout ce qui portait particule.
- Pourquoi s'est-il jeté du haut d'un donjon ?
- Quand il a vu, à travers les meurtrières, la horde de populace sauvage, munie de bâtons, de pioches et de fourches, venir le supplicier, il a mis fin à ses jours, échappant ainsi à la torture et à une mort lente, affreuse.
- Il est mort en martyr !
- Contre son gré, à mon avis !
- Merci beaucoup, vous êtes un puits de savoir.
- Une crevasse , mademoiselle, une crevasse !
Il m'a donné tout un trousseau de clefs et m'a chuchoté à l'oreille :
- De nombreux accès sont fermés à clef ! Il pourrait vous être utile.
Monsieur Jean m'a raccompagnée en claudiquant jusqu'à la porte. Je l'ai salué et l'ai remercié chaleureusement !
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