"Sola fide". (Seule la foi compte.)
22 mai 1886,
A la lueur de ma lampe, j'ai regardé le plan et j'ai constaté avec soulagement que j'étais bien au deuxième sous-sol du château. A chaque niveau, un emblème :
- Au premier, les armoiries léonines de la famille du marquis de Mancy.
- Au deuxième, la devise du Sieur Gilles : "Sola fide" (seule la foi compte).
- Au troisième, le sceau royal du roi Henry II, gravé dans la pierre.
D'autres inscriptions, cà et là, presque effacées témoignaient de l'empreinte du protestantisme : "Sola scriptura" (par l'Ecriture seule), "Solus Christus" ( Jésus Christ seul intercesseur entre Dieu et les humains).
Cette section secrète, utilisée par les huguenots, permettaient de tenir un siège de plusieurs semaines contre les assauts des catholiques. Sur le plan, il est fait mention d'un passage qui permettait d'accéder à la partie habitable de ces caves. Mais il n'est pas précisé où il se trouve exactement, sans doute pour éviter que les protestants, vivant reclus, pendant les innombrables périodes de guerres, ne tombent aux mains des ennemis.
Tout à coup, j'ai senti sur mon épaule une pression douce, comme si quelqu'un posait sa main sur moi afin d' attirer mon attention. Je me suis retournée et j'ai perçu un halo diaphane. Alors que j'étais plongée dans mes réflexions, celles-ci ont été annihilées. Je ne pouvais plus réfléchir, ma conscience était comme annexée à une force inconnue, subordonnée à une volonté supérieure à la mienne. J'avais l'impression que mon cerveau s'était scindé en deux : une partie pour moi et l'autre.... Pour qui ? Peu à peu, j'ai retrouvé l'usage de mes facultés, mais des pensées parasites qui ne m'appartenaient pas, s'inscrivaient dans mon esprit. J'ai compris alors qu'on voulait communiquer avec moi :
-N'ayez pas peur ! Je suis là pour vous guider.
Ces mots s'imprimaient en moi. Ils n'étaient ni audibles, ni visibles et pourtant je les comprenais. J'ai essayé de rassembler mes idées et j'ai commencé à échanger des propos avec ce que j'identifiais comme un fantôme.
- Qui êtes vous ? ai-je demandé sans état d'âme aucun, spectatrice de ma propre personne.
- Une essence bienveillante, pure, délivrée de ses péchés. Ma mort a racheté mes fautes passées.
La forme mouvante s'est figée tout à coup, s'est épaissie, puis s'est matérialisée. A quelques pas, devant moi, un moine, vêtu d'un scapulaire noir serré à la taille par une cordelette blanche, un capuchon relevé sur la tête, me fixait de son regard doux.
- Comment êtes vous mort ? lui ai-demandé ?
- Je me suis jeté du haut d'un donjon de cette forteresse pour échapper à la vindicte populaire sous la Révolution. J'étais un ermite cistercien, cherchant à élever mon âme, dans la prière, les privations, la charité.
Voilà que j'étais en train de communiquer par la pensée avec le fantôme du suicidé et tout cela me paraissait normal ! Il me semblait être à la frontière de deux mondes, celui des vivants et des morts.
- Je sais lire dans vos pensées. Suivez moi, me dit-il. Je vais vous conduire au passage secret qui mène au temple protestant, celui que vous cherchez. Une porte surmontée d'une arcade donne accès à une crypte également. Mais attention, ce conduit ne reste ouvert que pendant une certaine durée. Avec les années, le mécanisme s'est un peu enrayé. A moins que ce ne soit l'oeuvre d'esprits malins...
Je frissonnais, inquiète.
- Combien de temps reste-il accessible, lui ai-je demandé ?
- Vous avez quelques heures devant vous... Après, il sera trop tard !
- je compte rester une demi-heure, tout au plus, pour noter sur mes feuillets ce qu'il y a d'intéressant à observer, lui ai-je répondu, comme si je parlais à un ami.
D'un signe de la main, il m'a invitée à le suivre dans une pièce que j'identifiais sur le plan comme étant une ancienne cuisine et où se trouvait une cheminée en briques. L'homme a imprimé une légère pression sur les parois de l'avaloir. Puis j'ai vu, avec stupéfaction, le fond du foyer pivoter sur lui-même. Le moine m'a encouragé du regard à avancer. J'ai envisagé la possibilité que ce pouvait être un piège !
L'entité a senti mon angoisse et m'a rassurée :
- Cependant, prenez garde a-t-il précisé ! Parfois des êtres malfaisants, des apparitions non incarnées peuvent rôder. Ce qui veut dire qu'ils n'ont jamais eu d'existence sur terre. Ce sont les plus dangereux ! Ils sont tyranniques et peuvent être violents, jaloux de n'avoir pu jouir de tous les bienfaits que procure une vie terrestre. Mais leur présence est rare, car pour hanter ces lieux, ils ont besoin d'une énergie qu'ils n'ont pas. Ils la puisent dans les reflets de la lune, le scintillement des étoiles ! Ils ne sortent que la nuit et aiment se repaître de la pureté des âmes comme la vôtre ! Ils savent qui vous êtes, s'imposent à votre esprit, non pas pour communiquer avec vous, mais pour s'approprier la quintessence de votre être, et faire de vous un pantin qu'ils manipulent selon leur bon vouloir ! Mais soyez sans crainte. Je ne sens nulle présence spectrale dangereuse pour le moment.
J'ai remercié mon guide. Avant de m'engager à l'intérieur du boyau obscur au bout duquel brillait une lumière, je me suis retournée. Le mur ne s'est pas refermé derrière moi, mais l'ermite débonnaire s'est comme dissipé dans l'air ! Une brume légère flottait devant la cheminée.
A mesure que j'avançais, le conduit étroit s'élargissait en un vaste corridor. Au bout de celui-ci, la lumière du jour s'agrandissait, rassurante. Soudain, j'ai entendu derrière moi comme un galop de cheval. Le martèlement sourd des sabots sur le sol en terre battue s'est fait de plus en plus net. Dans un nuage de poussière, j'ai vu apparaître deux chevaux à la robe grise, crinières et queues dressées, naseaux fumants. Leur allure était puissante et fière, leurs muscles bandés, saillants, brillaient d'une clarté surnaturelle. Deux cavaliers en armure, en suspension sur leurs étriers, rennes en mains, hurlaient, encourageant leur monture. Ils sont passés devant moi dans un coup de tonnerre. J'ai juste eu le temps de me plaquer contre la muraille pour ne pas être piétinée. Qui étaient-ils? Où allaient-t-ils ? Puis, parvenus au bout du tunnel, ils ont disparu. Le silence est redevenu pesant, exprimant tout l'abandon de ces lieux sinistres et désolés.
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