La source.

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Le 30 mai 1886,

A mesure que nous prenions de l'altitude, les chênes, les châtaigniers et les noisetiers se faisaient plus rares. Ils laissaient place aux épicéas et à toutes sortes d'essences capables de survivre à deux mille mètres. Au coeur de la forêt, l'atmosphère était plus fraîche et humide. Nous avons passé un gué dont les filets limpides se faufilaient jusque dans les herbes claire-semées.

- Le point d'eau est proche m'a dit Amaury en se tournant vers moi.

Il a sauté à terre, et m'a aidée à descendre de la jument en me prenant par la taille. Nous avons attaché nos bêtes à un arbre. Puis nous nous sommes dirigés vers la petite grotte où se trouvait la source. Elle coulait, abondante, d'une grande fissure, comme d'une blessure. Quand Amaury s'est accroupi pour boire, le flot a semblé jaillir d'entre ses doigts. Mon bien-aimé a formé une cuvette de ses mains, l'a remplie et m'a invitée à me désaltérer dans ce récipient improvisé. Puis il a absorbé un peu d'eau qu'il a gardé dans sa bouche et dans un baiser, a laissé le liquide couler doucement au fond de ma gorge. J'ai bu à ses lèvres comme on boit à la fontaine.

Le rêve était si beau ! Quand allait-il prendre fin ? Un voile triste a assombri mon regard. Amaury s'en est aperçu :

- Qu'as-tu Emma, pour être si songeuse ? Ne t'ai-je point assez montré les sentiments que je te porte ? Dois-je affronter Dieu lui-même pour te témoigner de ma fidélité ? a t-il demandé, soudain inquiet.

Puis, voyant que je restais muette, il m'a pris le menton doucement :

- Parle, n'aie crainte ! Tu peux tout me dire. Je suis épris de toi. Si tu étais le diable en personne, je renierais Dieu pour un seul de tes baisers !

Alors, je lui ai tout avoué : l'époque à laquelle je vivais, la mort de mes parents, le séjour à la forteresse afin d' apaiser mon chagrin, les souterrains, les fantômes, le temple, la crypte, Violetta, la confession à laquelle j'appartenais, et surtout l'angoisse qui me tenaillait de penser que les catholiques pouvaient, d'un jour à l'autre, prendre d'assaut le château fort...

- Crois-tu tout ce que je t'ai confessé ? lui ai-je demandé, essayant de trouver dans son regard une quelconque approbation.

En guise de réponse, il m'a croqué doucement l'épaule, le cou, les lèvres. Puis il m'a regardée tendrement et m'a confié :

- Tu aimes les chimères, damoiselle ! Mais afin de te plaire, dès ce soir, je demanderai aux soldats et aux archers d'être encore plus vigilants.

Après un silence, il a poursuivi :

- Mon âme...Tu as de l'ange et du diable ! Ta beauté n'a d'égale que celle de la Vierge Marie. Mais tes appas sont si délicieux qu'ils ne peuvent qu'émaner de la volonté du Malin. Mon vœu le plus cher serait de mourir dans tes bras !

Je l'ai remercié d'un sourire et d'un baiser, cachant avec peine mon désarroi. Ainsi, j'étais la belle affabulatrice dont on raille un peu les propos. Mais, le fait qu'il prenne des dispositions renforcées pour la sécurité des habitants du château me réconfortait.

Tout à coup, nous avons entendu une branche craquer, puis un souffle, comme un signe d'alerte, et enfin un claquement de dent a éveillé notre attention... Un animal était là, énorme, prêt à charger. Un sanglier, de ses yeux rouges, nous jaugeait, avant de s'élancer vers nous, pour nous empaler de ses défenses, aiguisées comme des poignards. Ses grognements emplissaient mes oreilles. J'étais paralysée de peur.

- C'est une femelle ! Elle vient d'avoir des petits. Elle est très agressive. Ne bouge pas, a crié Amaury !

Au moment où la laie a attaqué, il s'est élancé vers l'animal, a planté son couteau dans le flanc de celui-ci. Du sang vermeil s'est répandu sur le sol et s'est mêlé à l'eau de la source. La bête s'est affaissée comme une masse et a rendu son dernier soupir dans un gémissement rauque.

- Quelle horreur ! ai-je crié. Je ne veux pas rester ici ! Cet endroit est beau mais dangereux !

- Partons, a t-il répondu, en s'essuyant le front d'un revers de manche ! Le soleil décline ! Abreuvons nos chevaux !

Il a planté son couteau dans la terre pour en oter le sang et l'a remis à sa ceinture.

Je me suis appuyée contre le fût d'un sapin, pour reprendre mes esprits. C'est alors qu'il m'a pris la main et l'a serrée un peu plus fort.



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