15 MINUTES PLUS TARD

La tête dans le flou, ils avançaient dans les rues de Filandia, la maison derrière eux abandonnée à la morsure des flammes. Ils cheminaient, un pas devant l’autre, d’un regard inexpressif, sous la curiosité et les regards chargés de haine des villageois amassés dans la rue. Pourtant, bien trop absorbés par ce qu’ils venaient de vivre, ils n’y prêtèrent attention et poursuivirent leur lente marche titubante, perdus dans des pensées qui s’immergeaient jusque dans le tréfonds de leur subconscient. Sur eux, plus l’ombre de la moindre égratignure ni même d’une quelconque brûlure, en dépit de leurs vêtements et autres parties du corps non protégées, recouverts par les retombées de suie. Et plus ils y repensaient, plus ils se souvenaient :

Lorsqu’ils se trouvaient encore dans la demeure, après avoir perdu connaissance, un autre phénomène s’était imposé à eux, plus étrange encore que la présence de l’inconnue aux regards perçants. Le temps s’était arrêté et une lueur, d’un léger bleu pâle, les avait enveloppés en un instant, avant qu’ils ne se sentent soulevés du sol, sans nulle présence à leur côté, pour les laisser voltiger hors de la bâtisse, comme soufflés par une faible brise à la force inexplicable, jusqu’à les déposer délicatement à terre, bien en retrait de tous dangers potentiels.

Aramis, lui, avait mystérieusement disparu après l’attaque du Capitaine. Était-il retourné en Enfer ? Avait-il péri dans les flammes de Loukïan sans qu’aucun d’eux ne s’en aperçoive ? Seule certitude, ils ignoraient ce qui s’était réellement passé dans la tourelle de ce manoir. Tout ce qu’ils pouvaient en tirer restait qu’un soupçon de magie avait opéré pour les soustraire au désastre devenu inévitable. Mais la quel ? Celle de qui ? Cela restait une véritable énigme.

Certes, le plus important restait que tous trois s’en étaient sortis indemnes. Mieux encore ! Leurs blessures avaient disparu et plus aucune trace de lutte n’était visible sur leur corps. Comme si tous trois s’étaient embourbés dans un seul et même rêve avec, pour antagoniste, un même malfrat. Seule trace de leur mésaventure, cette bâtisse derrière eux qui flamboyait encore, preuve que leur rêve détenait une part, au moins infime, de réalité.

• C’est… peut… peut-être l’œuvre de Kalionna ? expédia la Navigatrice, faisant face à ses deux amis.

• Non… j’en doute fort ! Kalionna est réputée pour exaucer les vœux, elle ne peut entreprendre un de tel agissement de son propre chef. Elle ne possède pas de volonté propre et encore moins d’empathie, tu comprends ? expliqua calmement la jeune démone.

• Oui mais… certains phénomènes météorologiques qui, depuis la nuit des temps, prennent des régions entières prouvent que c'est précisément Kalionna qui se veut à l’origine de ces intempéries changeantes. C’est probablement ce qui s’est passé ? Elle a dû nous survoler et créer ce maigre instant d’intemporalité, spécula Jasmine tout en marchant à reculons.

• Jasm, Jasm… JASM ! tu t’entends parler ? chercha à s’immiscer Rifuzuka.

• Ma théorie n’est sans doute pas si à côté de la plaque que ça, si tu y réfléchis bien. Et toi, Loukïan, tu en penses quoi ?

• En toute franchise, j’en sais rien ! souffla-t-il pensif. Et si… c’était cette femme ? Cette apparition, cette illusion… et si elle était réelle ? Cette silhouette… J’arrive plus à savoir ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas ! J’ai l’impression de devenir fou ! Était-elle là, ou était-ce juste une hallucination ? Et si… si je l’avais vraiment vue… aurait-elle eu le pouvoir nécessaire pour nous sauver ? Serait-elle capable de jouer avec le temps à sa guise ? Ou du moins, suffisamment longtemps pour nous arracher une mort certaine ? Et même si c’était le cas… pourquoi l’avoir fait pour nous, alors que nous ne nous connaissons pas ?