13 février 2359, 06h30 – Paris.
— Lili
— Mmh …
— Lili il est l’heure de vous lever, vous aller être en retard …
Lili c’est moi : je suis une jolie petite rousse célibataire, d’un mètre cinquante, de quarante-cinq kilo qui travaille dans un petit café comme serveuse.
Celui qui essaie de me réveiller c’est J-X, un très vieux prototype de cyborg conçu pour obéir et servir l’humain – je l’avais acheté lors d’un marché aux puces ; jamais cette expression n’avait aussi bien porté son nom : depuis les années 2250 ce type de marché était devenu exclusivement réservé aux machines – Son seul défaut de fabrication : il m’insulte parfois en anglais quand il arrive en fin de batterie.
— Eh ! Bitch !
Et notamment, quand il s’énerve !
— J’arrive, j’arrive, murmurais-je en sortant lentement de ma couette pour m’asseoir sur le bord du lit.
Je m’étirais alors avant de demander :
— Tu peux me passer mes vêtements s’il te plaît ?
Je lui souris. C’était l’un des seuls hommes à ne pas regarder mon corps comme un objet de convoitise. Non pas que je fus la plus belle entre toutes non, mais il était rare, de nos jours, de trouver une personne sans un brin de chirurgie esthétique !
Enfin … était-ce vraiment un homme ? Si ! C’en était un, de métal certes, mais il restait un homme ! Il n’avait pas de conscience propre mais il parlait, il avait des pouces préhenseurs, ce qui faisait de lui un homme ; même si les chercheurs n’arrêtaint pas de créer de nouvelles espèces animales parfois bizarres telle que le lapinoard : un lapin au pelage de léopard qui se nourrit de viande. J’enfilais mon uniforme sous le regard bienveillant de mon robot.
— Je vous ai préparé un en-cas. Reprit-il en me tendant un casse-croûte.
Je lui souris, J-X savait faire les sandwiches au saumon et au chèvre mieux que personne. Je me levais, mettant mes bottines dans l’élan, pour venir déposer un baiser sur sa joue de métal tout en prenant le petit repas.
— Que ferais-je sans toi ? lui dis-je alors en me dirigeant vers la salle de bain.
— Probablement des bêtises. murmura-t-il avant de me dire plus haut, j’ai pris la liberté de préparer vos Spongit et de régler l’auto-coiffant !
Le Spongit était une sorte d’éponge impressionnante : il vous suffisait de la mettre en contact avec l’un de vos produits de beauté pour qu’elle aspire la dose nécessaire à chaque parcelle de peau. Ensuite, vous deviez juste appliquer la petite éponge contre votre épiderme et elle régulait d’elle-même le produit. Le Spongit se déclinait sous diverses formes : pinceaux, masque, gant de toilette … Bon certes c’était un peu cher mais, au prix du produit, on y gagnait beaucoup !
Quant à l’auto-coiffant, c’était une machine révolutionnaire ! Un petit bijou que je m’étais payé il y a trois ans. Cet engin était composé d’un casque et d’un écran : vous vous contentiez de brancher la capilliculture, d’allumer l’écran, d’acheter la coiffure, la coloration et la longueur de cheveux désirées, de mettre le casque et cette petite merveille vous faisait le tout en quinze minutes ! Vous pouviez nommer et enregistrer pas moins de dix modèles.
Je m’emparais du premier Spongit sous forme de pinceau, destiné à mes yeux, pour le tremper délicatement dans un petit pot d’eye-liner noir et fit un tracé fin, je fis de même pour mes lèvres avec la couleur “Rouge Sanglante”. Je me dirigeais ensuite vers mon coiffeur perso’, comme j’avais l’habitude de l’appeler et je vis l’écran m’afficher :
Boulot - queue de cheval - rousse - mi-longue montante
OUI ? NON ?
Je me coiffais du casque, touchais l’icône oui et me laissais faire durant le temps prévu.
— J’y vais, ne m’attends pas pour ton bain d’huile ce soir, j’ai ma visite médicale ! À toute à l’heure, et je claquais la porte.
Jamais Paris n’avait aussi bien porté son surnom qu’aujourd’hui. La ville lumière attirait l’oeil de partout, surtout la nuit. Que ce soit par les énormes éclairages sous formes de bulles qu’étaient les lampadaires, les devantures ou par les publicités aux couleurs criardes qui défilaient sur les stop-trottoirs, vous pouviez être sûr de ne jamais être dans le noir complet.
Ce qu’il y avait de pratique quand on habitait dans cette grande ville, c’est qu’il y avait le Carcompoz’ : pourvu d’un GPS et d’une intelligence artificielle qui vous évitait les bouchons et les ralentissements, le Carcompoz’ était un car électrique qui se décomposait en plusieurs parties selon où vous vouliez allez. C’était comme un co-voiturage, il favorisait les rencontres. Il était payant : cinq Pates.
Ce dernier faisait concurrence au Carol’ : un bus, qui grâce à un petit moteur et un ballon, vous faisait flotter dans les airs. L’avantage du Carol’ était que l’on voyageait confortablement mais l’ennui, c’est qu’il s’arrêtait à chaque station. Sachant que Paris en comptait actuellement plus de onze-mille, il n’était pas facile d’arriver à l’heure au boulot, mais le prix était attractif : une Pate.
Mon trajet durait cinq minutes avec le Carcompoz’, ce qui ne me laissait pas le temps de faire connaissance avec le beau mec qui s’était assis à ma gauche.
J’aimais bien la rue où je travaillais : Rue Henri-Charle-Paul De la Hotte, l’inventeur de la première machine à laver intelligente. J’avais parcouru certaines des boutiques : ”le LAVE-AU-TEAU-MATIQUE” qui, avec sa belle devanture bleu ciel, faisait honneur à Monsieur De la Hotte ; j’adorais celle de l’esthéticienne ”Beauté pour Tous” où humains et cyborgs, ainsi que leur compagnon à quatre – ou dix – pattes, s’y retrouvais pour se faire faire les ongles, des massages et toutes sortes de soins détentes. Le jaune d’or et le rose pastel de la vitrine égayaient les pompes funèbres voisines qui, malgré tout, avait fait un effort : une porte couleur bordeaux avec un gris comme façade. Celle-ci j’espère l’expérimenter le plus tard possible.
Dans la continuité de ces trois commerces se situait ”Vêt’ 4000”, un magasin de vêtements bio dégradables, fraîchement implanté ici et qui offrait de très bons rapports qualité prix. Plus loin, il y avait ”Res-top” un restaurant plutôt pas mal : le service était lent mais la décoration superbe ! Juste à côté : ”Restau-4-pattes” qui, comme son nom l’indique était réservé aux animaux. Je n’avais jamais eu l’occasion de le tester, n’ayant pas d’animal de compagnie, mais l’énorme trace de patte dessinée en noir sur blanc rendait bien. Enfin il y avait le ”90’s Coffees” composé d’une équipe 100% humaine avec sa grande devanture à deux couleurs : crème et chocolat : mon lieu de travail.
Je saluais mes collègues et mon patron qui me répondirent de concert : le 90’s Coffees était une petite famille constituée de Jack, le cuisinier qui préparait des burgers, des sandwiches, des croques-monsieur, bref tout ce qui pouvait se déguster comme plat avec deux morceaux de pain ; Luigi, le patron, au bar – qui faisait de somptueux cocktails – Amélie et moi, en salle. Ce petit café ouvrait six jours sur sept, de sept heures à dix-neuf heures, sans interruption. C’étaient les hommes qui l’ouvrait et nous qui le fermions.
— Ça va ma rouquine ?
— Très bien et toi Luigi ? J’adorais Luigi, non pas pour son physique mais pour sa joie de vivre contagieuse. Il m’arrivait souvent de penser que c’était grâce à sa bonne humeur que le commerce tourne encore.
— Ça va, ça va !
La journée s’organisait de telle façon que le matin, c’était Amélie qui servait les boissons et moi les repas, et l’après-midi nous inversions. La première cliente était généralement pour Amélie : Madame Rose, une personne âgée de quatre-vingt-quatorze ans qui venait chaque mardi à sept heures tapantes depuis ses soixante-dix ans.
— Il n’y a qu’ici où je puisse boire mon thé tranquille, se plaisaît-elle à nous répéter, enfin surtout à Amélie.
Amélie était la seconde, après Luigi, à être venue travailler au 90’s Coffees. En troisième position Jack et en toute dernière : moi. Cela allait bientôt faire six ans. Six ans que le Chef de la marque ”Spatio-Eat” m’avait viré pour sur-effectif et cinq qu’il avait mis la clé sous la porte.
À dix heure régnait une bonne ambiance, si l’on faisait abstraction du Coléreux qui venait d’arriver. Le Coléreux avait un jour débarqué dans cette petite entreprise et, sans rien dire, était allé s’asseoir à une table du fond. Amélie l’avait alors rejoint pour prendre sa commande et ce dernier l’avait « limite envoyée péter », nous avait-elle dit. Effectivement, j’en avais fait les frais, sans raisons non plus.
— C’est à toi d’y aller ! me glissa-t-elle à l’oreille.
— Hein ? Quoi ? T’es sûre ?
— Certaine !
Je soupirais et pour cause : se faire enguirlander alors que l’on avait rien fait a quelque chose d’agaçant. Je me postais devant lui, le visage fermé :
— Vous désirez ?
Je le regardais m’observer dans le moindre détail, comme s’il cherchait quelque chose à critiquer. Soudain il aboya :
— Et ben vous au moins on vous paye pas pour sourire !
En mon fort intérieur je mourraus d’envie de lui cracher ses quatre vérités mais, ayant été doté d’un self-contrôle hors-normes pour ce genre d’abrutis, je lâchais calmement :
— Ah bon ? Et bien vous non-plus. Bien que vous soyez client, cela ne vous donne pas le droit de venir ici pour passer vos nerfs sur moi, ce n’est pas un défouloir ici mais un café ! Aussi, Monsieur, vous demanderai-je de m’appeler lorsque vous aurez fait votre choix … Je terminais ma tirade par un bref rictus avant de tourner les talons et de le planter là. Amélie me regarda bouche bée.
— Mademoiselle !
Je me crispais d’un coup en percevant le ton impérieux de l’homme assit, je fermais les yeux pour souffler un bon coup, puis je retournais à sa table :
— Un café s’il vous plaît.
Je restai là, le regard fixe, et il esquissa un sourire ironique :
— Vous voulez que je répète ?
— Non non ! Je fis volte-face et allais me pavaner au bar avant d’apporter sa boisson au client, un sourire narquois accroché au coin des lèvres.
— Bien joué ma p’tite ! me chuchota Luigi avec un signe de connivence.
En fin d’après-midi, Monsieur Rippier, le médecin, arriva et nous expliqua que, comme chaque année, il allait nous prendre par ordre d’ancienneté car c’était l’éthique qui voulait que cela se passe comme cela et pas autrement, puis il nous rappela la durée de la consultation qui serai de dix à trente minutes, comme à chaque fois qu’il passait.
Luigi accompagna l’individu jusqu’à son bureau où ce dernier avait pris pour habitude de nous faire passer l’examen.
Amélie vint alors me tapoter l’épaule pour me dire toute rouge :
— Euh … Dis, Lili … ça te dérangerait de faire la fermeture toute seule ce soir ? Tu sais … Y a Robin qui vient me rendre visite.
J’adorais Amélie dans ces moments-là, on croiyait vraiment voir une petite fille demander la permission d’inviter son amoureux.
— Évidemment que non ça ne me dérange pas ! lui dis-je en nettoyant le bar pendant qu’elle essuyait les verres avec un chiffon Absorb’-tout.
— Merci, merci beaucoup. Je te le rendrai !
Au bout d’une heure le docteur m’appela pour me dire que c’était mon tour.
— Mmm, j’arrive ! fis-je en mettant la main devant ma bouche pour finir ma bouchée.
Une fois mon sandwich terminé, je me levais pour saluer Jack qui sort tout juste de sa visite ; je devinais à son air heureux et à son grand sourire que tout allait bien.
— À demain !
— À demain, repris-je en souriant pour me diriger vers le bureau à pas lent. Une fois la porte passée, je me retrouvais dans ce bureau aux murs couleur bordeaux et aux étagères rouges : depuis que Luigi avait visité le très grand musée historique de l’art – des années mille à nos jours – il était tombé fou amoureux du fauvisme. Au centre de la pièce siégeaient le secrétaire vert émeraude ainsi que les deux fauteuils jaune soleil où s’était installé le docteur et où j’allai m’asseoir.
— Vous allez bien ?
— Ça c’est vous qui allez me le dire, lui souris-je, amusée.
Il me présenta alors un long tube de tissus et d’acier.
Avec son écran, ses parois en tissus et ses fines tiges métalliques qui s’emboîtaient et se déboîtaient, le Scan était une machine pliable qui regroupait IRM, encéphalogramme, radiologie, scanner et d’autres techniques médicales grâce auquel les patients n’avaient plus à se déplacer. J’y entrais pour me déshabiller. Une fois nue à l’intérieur, je vois ces mêmes rayons bleus scanner mon corps.
— Merveilleuse invention que cette machine ! remarquais-je à l’intérieur de l’engin.
— Mmh mmh, me répondit-il d’un air absent.
— Quelque chose ne va pas ?
— Vous fumez ?
— Non pourquoi, je devrais ? il y avait eu tout récemment, un débat sur les bienfaits de fumer des fleurs.
— Vous avez un emphysème pulmonaire.
— Euh c’est grave ?
— Vos poumons sont très gravement touchés par la pollution atmosphérique, depuis combien de temps vivez-vous en ville ?
— Vingt-huit ans …
Le docteur fit une tête d’enterrement, comme si il venait d’avaler une arête.
— Oh ! Cris-je, ça veut dire quoi ce silence ? demandais-je en remettant mon chemisier blanc, toujours à l’intérieur de la machine.
Le médecin qui s’était levé pour voir l’écran de contrôle, retourne alors derrière le bureau, s’assied dans le beau fauteuil jaune d’or en imitation cuir, prend le temps d’enlever ses lunettes, de les inspecter, de les remettre, de s’accouder puis de joindre ses mains avant d’enfin me révéler le pourquoi de cette tête.
— Un emphysème pulmonaire est une maladie incurable mademoiselle. Il vous reste moins d’un an …
Je reste là, bloquée, les mains figées sur le bouton de mon vêtement avant de rire nerveusement : le toubib qui prend le temps de dire à son patient qu’il va mourir, très ironique et très drôle, aussi je l’interrogeais :
— C’est une blague ?
— Je crains bien que non mademoiselle, me répondit-t-il avec le plus grand sérieux – toujours dans la même position.
— C’est pas une blague … dis-je alors à demi-voix, mon sourire s’effaçant d’un seul coup, tandis que mes mains lâchaient le bouton pour laisser mes bras tomber. De longues minutes passèrent avant que je ne me mette à sortir du cylindre pour marcher sur un mètre avant de m’écrouler chemise à moitié boutonnée et fesses nues.
Je vis de façon très floue, le docteur accourir vers moi.
— Mademoiselle ! … Mademoiselle vous m’entendez ?
Après m’être pris une paire de claques, je répondis alors un son qui ressemblait à un oui. Il me pris sous les bras pour m’installer sur l’un des deux fauteuils avant de vérifier mes constantes.
— Huit six, une belle chute de tension! Je vais vous orienter vers un collègue, vous faire un Stop-Work et vous implanter une puce qui vous donnera une dose ponctuelle d’Altrimalniaxium : un petit mélange de vitamines et d’un anti-dépresseur. Il met entre deux à quarante-huit heures à agir. Vous l’évacuerez par les voies naturelles une fois que votre cortex n’en éprouvera plus le besoin.
J’étais effondrée si bien que je ne sent pas l’aiguille se planter dans mon bras, ni la puce passer. Pourquoi ? Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi pas un pourri ?
Alors que je fixais le doc’ envoyer mon arrêt de travail à mon boss sur son Pocket-Computer, mon esprit lui était dans les vapes.
— C’est tout bon ! Je vous ai orienté vers un confrère – sa secrétaire vous appellera demain, ai envoyé votre Stop-Work à votre patron et mis à jour votre carte IVP (Identité Vital Payement) !
Je me réveillais à ses mots et me levais d’un bond pour crier :
— Tout bon ! Vous appelez ça tout bon ! Je vais crever dans un an et vous, vous osez me dire que c’est tout bon !?
J’entendis Monsieur Rippier me héler quand j’allais sortir.
— Quoi ? Je l’observais faire un mouvement de tête vers mon entre-cuisse, je baissais la tête avant de la remonter et la redescendre pour m’apercevoir que j’étais à demi-nue. Rouge de honte, je courrys alors dans le tube pour finir de m’habiller. Quand j’en ressortie, je fus seule.
Une fois le restaurant fermé, les clés misent dans la boite aux lettres, je déverrouillais ma carte au moyen de mes empreintes digitales et de mon oeil droit. Il fallait juste appuyer son pouce sur l’emplacement prévu à cet effet et faire scanner son oeil, sans ça impossible de voir les inscriptions. On avait renforcé la sécurité en ajoutant le scanner rétinien depuis qu’elle était aussi devenue la carte de payement et surtout depuis qu’un certain “Collectionneur de pouces”, comme l’avait appelé les journalistes, avait sévi dans toute la France. On parlait à présent de rajouter la reconnaissance vocale.
Je vis alors un message d’erreur s’afficher sous le scanne. J’essuyais la larme qui floutait mon oeil pour la machine et ma carte affiche mon nom, prénom, date de naissance, adresse, lieu de naissance, lieu de travail, salaire ainsi que mon statut familial.
Un énorme coup de blues me tomba dessus en voyant ma pathologie se rajouter automatiquement. La pluie se mit à tomber. Un peu plus et je me serai sentie le personnage principal d’un livre ou d’un film ... un film sacrément pourri non parce que pour infliger un tel châtiment à une nana qui n’a rien fait de mal, faut être sacrément cruel ! Ou complètement con …
Je n’ai vraiment pas les moyens de me payer un clone !
Depuis deux mille cent cinquante sept, pour avoir de beaux organes tous neufs on vous prélevait du sang et un microscopique bout de vos organes vitaux, de vos muscles, bref des fibres de votre ADN et la science ainsi que la médecine faisait le reste. Le prix de cette police d’assurance s’élevait à sept cent cinquante milliards de Pâtes et est fabriquée par les laboratoires Siryd. Leurs publicités affirmait que ces organes de substitution ne ressentaient ni sentiments ni souffrances mais cela me laissait sceptique ...
A l’inverse, la société Friove fabriquait des copies d’êtres humains pour le côté relationnel, afin d’aider les personnes en réinsertion, telles que les relâchés de prison ou simplement les individus souffrant d’un handicap relationnel – comme les sourds-muets.
Je décidais de rentrer chez moi à pied.
C’était étrange comme les couleurs me paraissent fades et comme le mur des pompes funèbres ainsi que leur porte flashaient par rapport à l’aller.
Je me remémorais les reportages sur la pollution, les journaux informatisés sur les gaz rejetés par les usines qui produisait les substances chimiques servant à donner du goût à nos aliments dont il n’y avait plus une fibre organique. Je n’y avais pas prêté attention. Cela me semblait trop énorme pour porter ces mini-masques à gaz que la publicité intelligente nous vendait après chacune de ces émissions. Etait-ce trop gros pour que j’y crois ou bien était-ce moi qui ne voulait pas voir la vérité en face ? Le nombre de personnes portant ces protections n’étaient pourtant pas énorme, pas au point que je remarque le besoin d’en porter un.
C’était de petits filtres transparents que l’on vous implantait dans les narines et qui, pour le coup, filtrait tout : les odeurs comprises si bien que vous ne sentiez que l’oxygène.
Perdue dans mes pensées, j’errais sans but dans la rue. Mes cheveux commençaient à être trempés mais je n’en ai pas conscience ; j’ai froid, la tristesse et la pluie n’aidant pas jeme mis à penser ironiquement : je suis peut-être en train de raccourcir mon espérance de vie.
Je décidais alors de prendre un autre chemin.
Je n’avais pas d’amis, à part J-X et Cassandra ; ma seule famille était mes collègues de boulot : triste bilan, pensais-je.
Je gardais un très bon souvenir de mon enfance ou tout du moins avant mon entrée au collège. De nature timide et plutôt renfermée, j’avais toujours eu du mal à aller vers les autres et l’entrée dans ce nouvel établissement où je ne connaissais personne fut pour moi une épreuve. Vu que je n’étais pas jolie à l’adolescence, les autres ne venaient pas vers moi, certains même se moquaient en m’appelant la calculette. Je me revois encore dans la glace en train d’éclater mes boutons d’acné. Puis le vilain petit canard s’était petit à petit transformé en un cygne somptueux. Mais mon orgueil et mon côté rancunier me poussaient à snober les nouvelles personnes qui venaient à moi.
Peu à peu je m’ouvris aux autres, ça n’était pas facile loin de là – moi qui m’était forgé une armure – surtout quand je me rendis compte que mon petit ami de l’époque me trompais avec une autre. Heureusement j’avais eu le temps de nouer une solide amitié avec Cassandra qui allait très vite devenir ma meilleure amie. Elle dut malheureusement partir à la fin du collège pour suivre ses parents en Inde – son père travaillait dans les affaires. Je vécu cette nouvelle comme un traumatisme : ma seule vraie amie partait.
Je me disais qu’elle se ferai d’autres amis et m’oublierai. Mais non, le premier mail que je reçu d’elle me combla de bonheur. Je lui répondais bien évidemment. Nous ne nous écrivions jamais plus d’une fois par mois sans quoi je n’aurais rien eu à lui raconter.
Je m’arrêtais soudain un bref instant en voyant quelqu’un me parler. Je voyais ses lèvres bouger mais je n’entendais pas ce qu’il me disait. Il m’abritait avec son parapluie, il avait l’air inquiet. Je sentis qu’il me donnais son accessoire.
– Non merci, murmurais-je en essayant de sourire sans succès tout en le lui rendant. Je contournais l’homme.
Comme j’aurais aimé qu’il insiste, qu’il me propose d’aller boire quelque chose de chaud dans un bar. T’en demandes un peu trop ! me fis-je comme réflexion. Après tout ça n’était qu’un inconnu, un inconnu qui m’avait offert son parapluie pour que je ne tombe pas malade. Oui sauf que trop tard ! Dans un autre jour, j’aurais peut-être accepté mais là non.
C’est fou comme ma nature est contradictoire : c’est quand je vais bien que j’accepte les coups de mains mais quand je vais mal je refuse puis je me surprends à espérer que la personne insiste.
Je commençais sérieusement à avoir froid aussi j’entre dans le premier bar que je vois : “ La Fumeuse ”.
La première chose que je remarquais est le plafond de fumée multicolore. On dirait du coton. La seconde était que la clientèle est composée à 75% de femmes. D’où le nom ! Je me dirigeais vers le bar, attirant tous les regards sur mon passage, commande puis réglais le chocolat chaud et me posait à l’une des tables marron rougeâtre près d’un des radiateurs. La serveuse m’amena la consommation et augmenta un peu le chauffage.
— Vous avez l’air d’en avoir besoin, se justifia-t-elle avec un sourire.
Je me regardais alors et compris soudainement pourquoi je faisais tourner des tête, ma chemise transparaissait ! Je rougis tout en défaisant ma queue de cheval pour plaquer mes cheveux sur mes tétons apparents.
Tandis que je buvais mon cacao, je pensais à ma vie. Je n’avais pas accompli de très grandes choses. J’avais réussi mon concours de serveuse, savoir faire tenir un total de six assiettes sur ses bras, servir diverses boissons et pouvoir retenir plus de dix commandes et, évidemment, attribuer les bons plats aux bons clients, mais en dehors de ça rien de bien extravaguant.
Mes parents nous avaient choyé, mon frère, ma soeur et moi de tout leur amour, même si celui de ma mère avait été plus démonstratif que celui de mon père.
J’avais perdu le contact avec ma famille le jour de l’enterrement de notre père : je n’étais pas venue. Non pas parce que je ne l’aimais pas mais parce que je ne voulais ni ne pouvais le voir mort. J’avais besoin de le voir vivant dans mes souvenirs, or je savais que le fait de le voir décédé balaierait toutes les belles images. Ce qui ne m’empêcha pas de le pleurer durant de longues semaines.
Chacun son ressenti face à la mort, moi je préférais l’ignorer, faire comme si la personne disparue était partie en vacances dans un pays lointain sans aucun moyen de communication, même si je savais très bien que la vérité était toute autre. Oui mais comment faire pour ignorer sa propre mort ? C’était impossible, tout simplement.
Par la suite plus aucune nouvelles de ma famille, cela m’avait profondément blessée qu’aucun d’entre eux n’essaye de comprendre mon point de vue. Il était hors de question que je fasse le premier pas, s’ils ne voulaient faire l’effort d’inclure ma vision des choses dans la leur alors tant pis. C’était comme ça que j’avais coupé les ponts et que j’avais trouvé mon job chez Spatio-Eat, une chaîne de restauration ne qui ne servait que des plats surgelés.
— Le temps c’est de l’argent ! m’avait dit mon ancien chef.
J’en avais conclu que je devais lui coûter trop de Pates vue que je fus la première à être dégagée “ pour le bien de l’entreprise ”. Ma petite victoire fut quand je vis, cinq ans après, qu’ils avaient dut mettre la clé sous la porte.
Bien fait ! avais-je pensé au comptoir en lisant les actualités, lors de ma pause au 90’s Coffees.
Je ne remercierai jamais assez Luigi de m’avoir repéré dans le Journal de l’Employeur. Ce petit journal électronique relatait et triait par lieu et par branche de métier les personnes en recherche d’emploi ; il suffisait au patron de toucher un nom pour que se développe son curriculum vitae se développe.
Puis le travail était devenu ma vie et mes collègues, ainsi que certains client, mes amis.
Comparé au Spatio-Eat où je ne pouvais pas me reposer plus de cinq minutes sans me faire injurier par mon boss, Luigi lui m’encourageait à bavarder avec les clients.
– C’est pas des bêtes les clients ici, regarde Amélie elle prend le temps avec chacun d’eux. C’est ça qui fait notre force.
Et effectivement cela marchait plutôt bien, qui plus est certaines personnes avaient besoin d’une oreille attentive, notamment les plus anciens qui nous invitaient parfois à s’asseoir à leur table.
Quand je revins dans le présent il était dix-neuf heures passées, je me levais et rentrais chez moi par le chemin habituel. Je notais alors qu’il ne pleuvait plus.
Passé le seuil de la porte, je vis mon cyborg rutilant me dire :
— J’ai appelé le docteur qui m’a dit que vous aviez un ...
Je le coupe en m’effondrant dans ses bras, en larmes, je ne veux pas entendre cet affreux nom ! Je sentis presque tout de suite sa main froide aller et venir contre mon dos. Il me redressa pour essuyer le ruissellement d’eau qui coulait le long de mes joues.
— Je suis sincèrement désolée Lili, même si mon visage ne peut l’exprimer, je suis triste pour vous ; il reprit un ton un peu plus guilleret, mais il vaut mieux voir le verre à moitié plein plutôt que totalement vide !
J-X avait toujours eu du mal à retranscrire nos expression, son système n’était simplement pas fait pour ça. Il vous reste toute une année.
— Oui seulement un an ! Un an dans une vie c’est quoi ? C’est rien, criais-je avant de m’excuser et de dire à demi-voix, la lèvre inférieure tremblante : je..je veux pas mourir.
— N’avez-vous jamais eu de rêve ?
Je relevais la tête pour toiser mon robot les larmes aux yeux ; à vrai dire je n’avais pas compris ce qu’il avait dit. Il répéta sa question à laquelle je réponds :
— J’ai toujours voulu faire le tour du monde.
— Peut-être est-il temps de le faire alors, me sourit-il.
J’acquiesçais en me défaisant de lui pour aller m’installer sur le lit dans la chambre. Je m’adossais contre la pile de coussins, la tête vide.
— Je vais vous faire une infusion, fit mon robot en me recouvrant de la couette.
— Et toi ?
Un long silence s’écoula durant lequel il se retourna lentement.
— Je suis un vieux cyborg, je n’ai pas la faculté de rêver, répond-t-il en me toisant.
— Mmh … et si je te libère ?
— Il est hors de question que je vous laisse dans cet état !
Je sourit doucement. J-X est le parfait prince charmant dommage qu’il soit fait de métal. Il revint au bout de cinq minutes, une tasse en main, l’odeur de l’infusion emplie bientôt la pièce. Je le remerciais en prenant le verre qui sentait bon la camomille.
— Tu pourras envoyer un mail à la banque s’il te plaît ?
— De quel nature ?
— Dis-leur que je souhaite convertir la moitié de mes Pates en P.P. Tu as raison … autant vivre son rêve quand on le peut encore.
Il y consentit, allant dans mon bureau pour sortir une plaque métallique, de format A5, pas plus épaisse qu’un cheveux : mon Pocket-Computer. Je le vis revenir avec l’outil et taper le message.
— C’est fait ! s’exclama J-X. Vous avez rendez-vous demain à dix-huit heures trente.
— Bien. Quelle heure est-il au fait ?
— Dix-neuve heures quarante sept, vous avez faim peut-être ?
— Non merci, je suis allée manger un petit truc avant de rentrer, mentis-je. Je n’avais vraiment pas faim, sûrement était-ce dut au fait que j’étais en train de digérer la nouvelle.
— Bon dans ce cas, je vais vous laisser vous reposer. Il sortit pour me laisser seule avec l’énorme poids à assimiler.
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