Sur un p'tit bout de papier

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J’voudrais pouvoir te dire “Je t’aime”, mais je ne sais plus comment faire. Aujourd’hui, l’amour, c’est rendu compliqué avouer ses sentiments. Il y a des façons de le dire, des choses à ne plus faire. Je m’ennuie d’avant, quand c’était simple.

Je m’ennuie du temps où je pouvais juste dire : « Hey toi, viens, on va s’embrasser derrière les poubelles dans la cour de récréation » (real fact). J’étais tellement fière de dire à ma mère que MOI, je savais comment me faire un chum, que j’allais lui apprendre. Je ris en l’imaginant, debout derrière les poubelles industrielles brunes, attirer un homme près d’elle avec la simplicité d’une enfant de 4 ans qui ne connaît rien, au fond, au véritable amour. Mais ce serait tu beau un peu que ça fonctionne encore, ce trick-là!

On ne peut plus l’écrire sur une feuille déchirée qui provient d’un cahier Canada : « Veux-tu sortir avec moi ? Oui / Non ». Ce petit bout de papier, on ne pourrait plus de toute façon le faire passer par sa meilleure amie. Dans ce temps-là, c’est elle qui recevait le choc du non, la joie du oui et qui nous partageait ça. On avait une épaule sur laquelle pleurer, ou des bras dans lesquels se jeter, le bonheur jusqu’au bout des orteils. Aujourd’hui, il faut se débrouiller seule, vivre le choc sans bouclier, se dénuder de sa carapace en vrai, en LIVE.

Pourtant, ça ne peut pas toujours fonctionner comme ça. Une fois qu’on comprend qu’il n’y a d’autre choix que de se tenir debout (ou assis, selon la circonstance, mais bon, on se comprend hein ?) pour se révéler à l’être aimé, y’a encore des choses à savoir. On ne peut plus dire « je t’aime », c’est interdit. Paraît que ça fait peur, paraît que ça fait fuir. Mais c’est chiant quand tu es quelqu’un qui vit toutes ses émotions à 100%. Voici ce que tu peux dire :

Je pense que j’ai des sentiments pour toi

Tu m’intéresses, pas comme un ami

Qu’est-ce que tu dirais si je te disais que je suis sans doute en train de commencer à développer des…

Ah pis ta gueule.

Un oiseau, c’est un oiseau criss. Pis de l’amour, ben c’est de l’amour. Comment peux-tu juste penser aimer quelqu’un ? Ça ne fait pas de sens. C’est sûr que c’est effrayant. La personne qui se confesse est en train de chier dans ses culottes en attendant que l’autre réponde. On a passé des jours, des semaines à s’imaginer ce moment-là, on les a toute écrits, les scénarios et les fins possibles. On est passé du drame de notre vie où on se tire une balle au moment fatidique, sur son lit de mort, qu’on regarde l’amour de notre vie nous sourire pour la dernière fois. Parce qu’on veut se préparer, tsé, à toutes les possibilités. Comme à chaque fois par exemple, c’est LE scénario auquel tu t’attendais pas, auquel tu n’avais pas pensée, que tu te disais « c’est peu probable, c’est impossible » qui survient. Et tu restes figée.

Quand j’y pense qu’un jour, va falloir que je te le dise, que je vais être obligée de déverrouiller mes 50 serrures, enlever mon armure, baisser les poings et retenir mes coups de pieds d’enfant, que je vais devoir sortir de mon cœur magané ces mots-là… Que je te le dise, qu’un oiseau c’est un oiseau pis que j’aimerais ça, que tu sois mon oiseau à moi… Je meurs en dedans, un peu. Car je ne voulais pas être amoureuse de toi, moi. Je me suis battue et je me bats encore contre ça. Je refuse que ce soit vrai. Car l’amour que j’ai pour toi, il m’a rentré dedans par le flanc, un sneak attack pervers auquel je ne m’attendais pas. Du jour au lendemain, j’étais prise avec des ostis de papillons dans le ventre, pis des gros à part de tsa. Je les aimais, moi, mes chenilles. À chaque fois que je te vois, je me donne des coups par en dedans. J’essaie d’être l’amie que j’ai envie d’être avec toi, de vivre l’amitié que j’ai vraiment envie de vivre. Mais, dès que je pars, qu’on se quitte, je me retrouve le cœur en sanglot, la tête en bouilli et les papillons se meurent, se flétrissent. Comment je suis censée te dire ça, asteur que j’ai laissé l’amitié avoir des ailes, des rêves, des attentes, des envies, des désirs, des besoins ?

(Mon plus gros soulagement, c’est de savoir que ça, tu ne le liras pas. C’est ben trop long. Pis c’est cave, la poésie, écrire ce qu’on ressent, la litanie épuisante de ses sentiments).

À soir, je me fou des conventions. J’ai pris mon cahier Canada jaune (mon préféré, parce qu’il est jaune) et j’ai déchiré la première page (pas la page couverture, là, l’autre. Come on !). Je l’ai écrit, ma déclaration, sur mon bout de papier et j’ai mis les deux cases, le oui, le non. J’ai attendu, en la regardant traîner sur la table. J’ai repris mon crayon de plomb (un 2B, pour être exacte) et j’ai tracé un très gros X dans la case du non.

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