Cassandre
— Salut, c'est Lise. Tu sais, la fille bizarre de la bibliothèque.
Je sentis mon pouls s'accélérer. Il y eut un court silence, puis le jeune homme répondit d'une voix chaleureuse :
— Lise ! Comment vas-tu ?
Ce garçon était étrange. Il agissait comme si l'on se connaissait depuis toujours, alors que je ne savais même pas son nom. Ce n'était pas désagréable, j'avais presque l'impression de parler à une oreille amie.
— Bien et toi ? je déglutis.
Pourquoi j'étais stressée comme ça ? Je mordillais l'intérieur de ma joue.
— Très bien, j'étais en train de lire The Butterfly's Death.
Encore ce livre. Il était vraiment obsédé par lui. Étant moi-même addict à mes bouquins, je me retins de le juger.
— Alors, c'est quoi ton nom ? C'est pour ça que je t'ai appelé à la base.
— À bon ? Je vois clair dans ton jeu Lise...
Je sentis un sourire percer à sa voix. Ce jeune homme commençait à m'exaspérer. Peu importe ce qu'il insinuait, j'étais seulement curieuse.
— Je rigole, souffla-t-il. Essaye de deviner.
Je soupirai. Je n'avais pas que ça à faire, Achille réclamait mon attention. Puis il y avait ce livre qui m'attendait sur mon lit... C'était comme s'il me tendait les bras.
— Alexandre ? j'essayai.
Avec ses mèches blondes bouclées et ses yeux bruns, je trouvais qu'il avait une tête d'Alexandre.
— Raté, rigola-t-il.
J'essayai plusieurs prénoms. Louis, Hugo, Simon... Rien de tout cela. Pourquoi ne pouvait-il pas simplement me dire son maudit nom ? Ce n'était quand même pas une excuse pour me donner son numéro ?!
— J'abandonne, je dis en me laissant tomber sur mon lit.
— Alors rappelle-moi demain.
Hein ?! Il avait raccroché. Laissant tomber mon téléphone à mes côtés, je fixais le plafond, ne sachant que penser de cet échange. C'est étrange, ce garçon m'exaspérait, mais j'avais quand même envie de le rappeler le lendemain. Surement de la curiosité. J'attrapai mon téléphone et renommai son contact Butterfly boy.
J'avais l'habitude de lire chaque soir avant de me coucher, pour vider ma tête de tous les souvenirs qui y affluaient. Cette nuit-là, je ne l'ai pas fait.
***
— Lise, tu vas être en retard !
Je me réveillai en grognant et repoussai Achille qui s'était endormi sur moi. Était-ce vraiment nécessaire de se lever chaque matin pour aller en cours ? Je marchai avec effort jusqu'à la cuisine, où je me servis un bol de céréales. Maman se préparait pour partir à son cabinet d'avocat.
— Bonne journée ma chérie ! Dépêche-toi...
Je relevai difficilement la tête de mon bol.
— Bonne journée...
Je vérifiai l'heure. Presque sept heures et demie ! Il fallait que je me dépêche, ou j'allais être en retard. Tant pis pour le petit déjeuner, je le terminerai ce midi.
Je remplis la gamelle d'eau d'Achille en me brossant les dents puis me débattis pour enfiler mon sweat en courant derrière mon bus.
— Attendez ! Je m'écris.
Le chauffeur avait dû m'entendre, car il m'attendait à l'arrêt. Essoufflée, je le remercia d'un signe de la main en entrant et me posa dans un coin. Je mis du Taylor Swift à fond dans mes écouteurs pour essayer de me détendre un peu avant cette journée de cours. C'était aussi pour tenter d'oublier un instant que dans deux semaines, je devrais le revoir. Ma psy avait dit que ça me ferait du bien, Maman allait même m'accompagner. Elle disait que ça ne la dérangeait pas, que ce serait bénéfique pour elle aussi. Je l'avais pourtant entendu pleurer ce soir-là, quand elle pensait que sa porte était bien fermée. Pourquoi ne nous laissaient-ils pas simplement oublier tout ça ?
Le bus s'arrêta devant le lycée, et une troupe d'élèves en jaillit en s'amusant. J'attendis qu'ils soient tout partis pour sortir à mon tour. Ce jour-là, on commençait par SVT. Je me dirigeai vers le laboratoire et m'installa à ma place. Les autres arrivaient par grappes.
Cassandre s'installa à côté de moi. Le prof l'avait déplacé ici au dernier cours, car elle n'arrivait pas à se concentrer à côté d'Agathe. Je me souviens que j'avais été un peu gênée, vu ce que je lui avais dit la dernière fois que l'on s'était vraiment parlé. C'était il y a quelques années, mais je me sentais toujours coupable. Cassandre est une des seules qui savait ce qui était arrivé à mon père. Elle m'avait tendu la main et je n'avais pas su l'attraper.
Cassandre s'en était remise. Désormais, elle trainait avec ceux que l'on critiquait ensemble. Je ne pouvais pas lui en vouloir, je l'avais lâchement abandonnée du jour au lendemain. Cela ne m'empêchait pas de ressentir ce petit pincement au cœur quand je l'entendais rire avec ces filles.
J'essayai de me concentrer sur les propos du professeur, mais comme d'habitude, mon esprit divaguait.
— Maintenant que vous avez toutes les consignes, on va passer au TP noté. Vous vous mettrez par groupe de deux, avec votre voisin.
Mince, je n'avais pas écouté les consignes. Je voulus interroger Cassandre du regard, mais elle était en pleine discussion avec Agathe et Victor.
— Je ne sais pas, disait-elle. Mes parents ne voudront pas...
Cassandre attacha ses courts cheveux blonds en petite queue de cheval. Avec sa salopette et ses bracelets colorés, elle avait un style plutôt original. Elle avait toujours été ainsi, libre et elle-même. La jeune fille n'avait pas beaucoup changé depuis que nous nous étions éloignés, c'était plutôt moi qui n'étais plus la même.
— Oh, râla Victor. Tu t'en fous de tes parents ! Tu ne vas pas louper ma soirée quand même ?
- C'est vrai, rajoutait Agathe. Ça va être cool...
Cassandre jouait avec ses nombreux bracelets. Elle avait l'air de réfléchir, légèrement gênée. Je voyais bien qu'elle ne savait pas trop que répondre à cela.
— Eh, Cassandre ? Il faudrait que l'on commence le travail, il est noté.
La jeune fille se tourna vers moi et me regarda d'un air reconnaissant.
— Oui, tu as raison. On s'y met.
Lors du TP, je n'avais pas pu m'empêcher de jeter des regards en coin à Cassandre. Je me demandais si elle me détestait toujours ou si elle avait réussi à me pardonner.
On s'était quand bien même amusée pendant ce travail de groupe. On a ri, des rires un peu tristes, comme des échos du passé.
Mais surtout, on s'était vraiment parlée pour la première fois depuis deux ans. Elle m'avait même demandé si je venais au parc après les cours.
— Je ne sais pas Cassandre... Je verrai.
Elle avait levé ses yeux sur moi.
— On se retrouve devant l'école si tu veux, proposa-t-elle timidement. Et on ira ensemble.
J'y avais réfléchi toute la journée. Après les cours, les élèves de Sainte-Marie des Oiseaux avaient pour habitude de se retrouver au parc en face du collège. Cela faisait longtemps que je n'y étais pas allé.
Ce jour-là, quand j'étais sorti des cours, mon ancienne meilleure amie m'attendait. On s'était souri et quelque part, ça avait rallumé quelque chose en moi.
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