Un jour comme un autre, en Tirgoval

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C’était une matinée comme les autres en Tirgoval, cette contrée bucolique, à l’écart de tout, en Alinora. Il faisait un soleil radieux, les oisillons chantaient leur douce mélodie, et la récolte qui arrivait s’annonçait bonne et prometteuse. Les Tirgalions s’affairaient à leurs tâches quotidiennes, tout en chantant et plaisantant, et blablabla. Stop. Si vous croyez que je vais m’étaler en banalité à deux pièces d’or quatre sous, vous n’en aurez pas pour votre argent. Cependant, il faut bien présenter les choses, notre bon roi ayant un œil omniprésent sur la tâche qu’il ma confiée. Désolé donc, si par moment vous verrez quelques banalités romanesques, elles sont cependant nécessaires.

Je me dois donc de présenter cette contrée et ses habitants atypiques, longtemps oubliés de la mémoire d’Alinora. Tirgoval était un havre de paix. Ses habitants, les Tirgalions, étaient des êtres joyeux, et leur mot d’ordre était de s’amuser, de croquer la vie à pleines dents. Petits êtres farceurs, ils adoraient faire des bonnes blagues à leur entourage. Et lorsque je dis petit, ils le sont bel et bien : un Tirgalion moyen mesure en moyenne une quarantaine de centimètres. Les plus grands jamais recensés n’ont jamais dépassé le demi-mètre, et cela reste exceptionnel. Pour vous aider à bien visualiser ces petits êtres, un étrange voyageur d’une contrée appelée “Terre” nous a dit que les Tirgalions ressemblaient dans leur contrée à des petites statues décoratives créées à partir d’une matière appelée plastique qu’ils nomment “Nains de jardin”.

Sighdur s’étira devant le porche de sa maisonnette, taillée dans un arbre centenaire et regardait tout la populace du bourg principal, Tirgaville, se mettre en mouvement : Cailldur amenait les bouteilles de lait aux portes des maisonnettes, Blédori servait les petits pains aux fermiers qui se mettaient en route vers les champs. Sighdur aimait regarder toute cette agitation. Voir ses camarades s’affairer comme des petites fourmis le faisait sourire, et il s’imaginait déjà, tout en tirant sa petite barbe encore bien brune, les farces qu’il pourrait leur faire subir une fois rentré du labeur, en fin de journée.

Il alluma sa pipe, la première du jour, et se mit à penser à ce qu’il ferait aujourd’hui. Tout en aspirant quelques bouffées, il titillait sa petite barbe. Elle n’était pas bien grande et formait une petite boucle à hauteur du menton. Cela ne voulait dire qu’une chose : il devait avoisiner une quarantaine d’années. Oui, j’ai oublié de le mentionner : les Tirgalions deviennent adulte vers l’âge de 50 ans, et vivent jusqu’aux environ de la cent-cinquantaine. Il est assez aisé, pour quelqu’un connaissant bien ces petits êtres, de justement deviner leur âge par cette petite barbe bien caractéristique, qu’ils laissaient pousser en ne faisant que la tailler. Ces barbes étaient tressées d’une manière qui était régie par un code. Grâce à cette convention sociale, un Tirgalion savait exactement ce que faisait son interlocuteur, sans même le connaître.

Son regard se tourna vers l’horizon, se détournant de l’activité journalière de Tirgaville. Il se posa au loin, vers cette forêt, celle que l’on ne peut traverser, et qui définit la frontière de Tirgoval. Il ne comprenait pas pourquoi il était interdit de s’y promener. L’Ancêtre, gardien du savoir des Tirgalions, refusait d’expliquer pourquoi on avait posé ce genre de règles il y a tant d’années. Cette règle remontait à tellement longtemps, que le père du père de Sighdur n’avait pas connu la période où cette loi avait été promulguée. D’ailleurs, personne ne traversait cette forêt pour venir en Tirgoval, hormis un géant toujours mal rasé. Il était le seul étranger qui venait visiter cette contrée. On ne savait pas trop qui il était, mais il passait de temps à autre en Tirgoval. Il venait écouter les histoires des Tirgalions, les farces, les petites anecdotes, et souriait toujours, avec un air paternel envers ces petits êtres. Pourtant, cela faisait longtemps qu’il n’était plus apparu, bien facilement un dizaine d’années, alors qu’il venait environ tous les six mois auparavant. Il était peut-être mort, se disait Sighdur. Il avait d’ailleurs du mal à se rappeler de son nom : Radiel ? Mardiel ? C’était quelque-chose en iel avec un A, c’était la seule certitude qui habitait Sighdur. Il demanderait ce soir à l’ancêtre.

Il se décida. Aujourd’hui, comme déjà mainte fois par le passé, il irait se promener dans cette forêt. Sighdur aimait bien s’y promener, elle était si jolie et tranquille. De temps à autre, il ramenait des fleurs qui y poussaient, car on n’en trouvait d’aussi belles nulle part ailleurs dans le pays. Par contre, il ne l’avait jamais traversée entièrement, et comme bien souvent, il se demandait ce qu’il y avait de l’autre côté de celle-ci. Peut-être qu’en ce jour il franchirait ce pas, mais à chaque fois qu’il y pensait, il ressentait une forte appréhension à braver un tel interdit.

Sighdur prit un petit déjeuner copieux. Il lui faudrait trois bonnes heures de marche pour atteindre la forêt interdite et ne se permettrait pas de pause. Il se prépara un casse-croûte, bien que les quelques champignons qu’il avait goûtés sur place étaient particulièrement savoureux. Une fois son paquetage prêt, il se mit en route.

Le cœur léger, notre petit Tirgalion se mit à parcourir les sentiers du Val en poussant la chansonnette. Ce chant, bien qu’appris par tous les Tirgalions, était rarement déclamé. Destinée à se donner du courage pour les grands voyages, les rares occasions où l’on pouvait l’entendre étaient lorsque les petits-hommes venaient des quatre coins de Tirgoval pour assister au Grand Conseil de Tirgaville. Les Tirgalions avaient depuis longtemps arrêté de voyager.

Encore une fois, en ce si beau jour,
Je prendrai la route, sous ce soleil radieux,
Prenant mille chemins et cent détours,
Mais je reviendrai, ceci n’est pas un adieu.

J’irai revoir la douce clarté de la Ghlisbar,
La traverserai en sautant sur ses nénuphars,
J’irai cueillir les fleurs des grandes vallées,
Je marcherai partout, m’éloignerai des sentiers.

Je pars, sans m’encombrer de superflu,
La route m’appelle, en place je ne tiens plus,
Avec mon bâton pour seul compagnon…

Il s’arrêta net de chanter. Une énorme masse noire était apparue dans le ciel. Celle-ci grossissait à vue d’œil et se rapprochait de plus en plus. Une horde de corbacks, des oiseaux de mauvais augures. Lorsqu’ils survolaient le val, ils apportaient dans leurs sillages de biens tristes nouvelles, des grandes catastrophes ou le décès de quelqu’un de bien important. Mais là, c’était différent. Ils étaient nettement plus nombreux qu’à l’accoutumée. Leur cri sinistre résonna dans toute la vallée.

Sighdur stoppa sa marche. Il se mit à trembler de peur. Qu’est-ce qui allait bien se passer cette fois ? La dernière fois qu’une horde de corbeaux avait traversé la contrée, le barrage du Bas-Val avait cédé et le village à côté fut entièrement sous eaux. De nombreux Tirgalions avaient perdu la vie, noyés par les flots tumultueux. Les oiseaux, qui maintenant étaient beaucoup plus nombreux, annonçaient-ils une catastrophe pire encore ?

Il reprit ses esprits et rassembla tout son courage. Non, ces oiseaux de malheurs ne gâcheraient pas sa journée ! Il ramassa son petit baluchon et se remit en route. Mais son engouement était entaché, il ne reprit point la chansonnette qu’il avait entonnée à gorge déployée.

Au bout d’une bonne trotte, il vit au loin ces bois si magnifiques mais interdits. Il ne lui restait plus qu’à traverser la Ghlisbar, cette petite rivière à l’eau si limpide et si claire, sillonner la dernière vallée remplie de champs et prés. Une fois la Ghlisbar derrière lui, il s’éloigna du chemin. En effet, la route continuait dans les bois, mais une petite « garnison » de Tirgalions y résidait, toujours au cas où des intrus arriveraient et sonner l’alarme en cas de danger. Ils l’appelaient la garnison par moquerie, s’y retrouver n’était autre que la peine que subissaient les Tirgalions en cas de grosses bêtises, car sincèrement, y séjourner n’avait rien d’amusant : il n’y avait rien à faire à part regarder cette forêt d’où rien ne sortait. C’était le pire châtiment, la honte suprême pour un Tirgalion, être farceur par son essence, mais privé justement de cette partie de lui-même.

Il commença donc à s’aventurer dans les prés, évitant soigneusement d’être vu par un autre de ses compères. Il évita la dernière bâtisse, celle de Harengdur, l’ancien pêcheur puant le poisson pourri, reconverti en vieux fermier grincheux. Il lui fera une bonne blague au retour, il se faisait chaque fois avoir et cela amusait tous les Tirgalions de le voir jurer à tout bout de champ !

Il arriva sans trop de difficulté à éviter les terres de cette vieille ferme, se cachant dans les champs de blés, tel une petite souris. S’il se faisait attraper, le vieux fermier n’hésiterait pas à lui piquer le derrière avec sa fourche toute rouillée.

Hors de la vue de la bâtisse, il se releva et se trouva face à cette forêt, silencieuse et inconnue depuis des millénaires. Il ne put s’empêcher de ressentir le frisson du danger, de l’interdit et sourit. Les arbres l’attendaient, semblaient lui murmurer de venir jusqu’à eux. D’un pas décidé, il franchit la lisière pour se retrouver dans ce lieu si mystérieux et enchanteur.

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