Le soleil commence à se coucher à l'horizon. J'ai passé tout l'après-midi allongée dans l'herbe, parmi les fleurs mais, à présent, il est temps de rentrer. Sinon les parents vont s'inquiéter. Je me lève, époussette ma jupe et ramasse mon livre. J'en ai déjà lu toutes les pages, et pourtant, papa l'a acheté pas plus tôt qu'hier. Il sait que j'aime lire au point que je peux y passer des heures, des jours entiers sans m'en lasser ! Tout le monde dans mon entourage s'étonne que j'aime autant les livres alors que j'ai à peine huit ans, sauf papa. Il dit qu'au contraire, c'est une bonne chose, car ainsi, je me cultive et réfléchis par moi-même.

"Salut Éléonore !"

Je lève la tête pour voir un soldat de la garnison me faire un signe de la main en me souriant. Je lui rends son sourire car ce n'est pas n'importe quel soldat. C'est Hannes, un ami de papa. J'aime bien Hannes car, malgré son penchant pour l'alcool, c'est un homme gentil et loyal, toujours souriant sous sa légère moustache blonde.

Je lui rends son salut mais ne m'arrête pas pour discuter. Il faut que je rentre à la maison avant la tombée de la nuit et il me reste encore un petit bout de chemin à faire.

Mes pieds se posent l'un après l'autre sur les pavés de pierre de la rue pendant que j'avance. Même si la nuit approche, il y a encore pas mal de monde dehors. Les commerçants vendent les dernières marchandises de leur étal, des femmes avec des paniers remplis de provisions au bras prennent le chemin de leur maison, des enfants terminent une partie de balle avant de s'en retourner chez eux.

Je tourne au coin de la rue et aperçois ma maison en haut de cette dernière. Je monte les petits escaliers de pierre et pousse la porte en bois. Je me retrouve à présent dans la pièce à vivre. La chaleur de l'âtre m'enveloppe aussitôt, c'est une sensation agréable. Je retire ma veste et l'accroche à l'entrée. Puis je pose mon livre sur la table à laquelle est assis papa. Belle-maman est assise tout près de lui. Ils ont tout deux un grand sourire sur le visage. Ils doivent être perdus dans leurs pensées car ils ne se sont même pas tournés vers moi. Je dis donc :

- Bonsoir ! Je suis rentrée.

Papa lève les yeux vers moi le premier. Il me sourit et répond :

- Bonsoir ma chérie ! Comment vas-tu ?

- Je vais bien, merci. Et vous ?

- Nous allons très bien ! répond papa d'une voix enthousiaste en se tournant vers belle-maman. D'ailleurs, nous avons quelque chose à t'annoncer, reprend-il en se tournant à nouveau vers moi.

- Qu'est-ce donc ? lui demandé-je, emplie de curiosité.

C'est belle-maman qui répond cette fois :

- Nous attendons un enfant, Éléonore. Tu vas bientôt avoir un petit frère !

- Ou une petite soeur ! renchérit papa.

Je reste debout devant eux, interdite, pendant quelques secondes. Ils ne disent rien, ils semblent attendre ma réaction. De toute façon, même s'ils avaient dit quelque chose, je ne les aurai pas entendus. La seule chose que je pouvais entendre, c'est le mot "frère", résonnant dans ma tête. Tout à coup, je suis prise de tremblements. J'ai soudain très froid malgré le feu qui continue de crépiter dans la cheminée.

Papa et belle-maman m'observent avec un regard inquiet. Mon père ouvre la bouche pour parler mais je ne lui en laisse pas le temps. Je cours me réfugier dans ma chambre.