Amants De Minuit
Allongé sur l'herbe humide, le songeur observe l'étendue constellée qui le surplombe. Beauté obscure gardienne de rêves inaccessibles à qui il murmure ses quelques souhaits les plus secrets. Dans l'obscurité, il désire ce que personne ne peut lui offrir, hormis la nuit et son silence infini. Un peu de paix et de sérénité pour alléger son cœur abandonné.
Petit Prince à la peau tannée laisse échapper une goutte salée. C'est le long de sa tempe qu'elle suit son triste trajet, jusqu'à se confondre à l'humidité de ce tapis de verdure.
Un seul souhait pour apaiser l'effroi tempétueux qui souffle sur les fragments de son âme fêlée, c'est ce qu'il quémande à la lune en un soupir résigné.
La Solitude elle même se lasse du Prince abîmé, qui dans un moment d'égarement pense à sauter.
Les yeux mordorés du désespéré ne quittent pas le ciel étoilé. Entre les astres luminescents, il perçoit la porte d'entrée vers une nouvelle existence bien méritée. C'est une tristesse étouffante qui baigne son cœur esseulé depuis que son amant s'est égaré dans l'opaque brume de l'Au-Delà. Endeuillé, il erre la journée pour retrouver celui qu'il a aimé.
C'est quand le soleil décline qu'il se permet une trêve, un instant de calme durant lequel son esprit tourmenté brise le silence d'une nuit d'été. Les hurlements résonnent tandis que la déesse lunaire observe le petit Prince avec désespoir. Elle désire l'aider, lui apporter ce qui calmerait les battements acharnés de son cœur amoché. Alors, dans un souffle de paix, elle fait apparaître l'astre de son amour emprisonné.
Entre les nuages éparpillés, une traînée dorée s'élance et danse dans l'obscurité. Ébahi, le Prince contemple l'étoile filante de ses yeux humidifiés, puis son cœur chavire lorsqu'un visage familier apparaît. Des iris aussi brillants que deux comètes égarées, un sourire ourlant une bouche pulpeuse et des lèvres rosées telles les corolles d'un somptueux rosier. Beauté marmoréenne qui apaise instantanément le pauvre endeuillé. Cette peau d'albâtre il la connaît pour l'avoir si souvent effleurée.
Dans un souffle de vent serpentent les frissons de désir sur l'épiderme bronzé du rêveur ensorcelé. Étonné, il se laisse aller tandis que son plaisir s'érige entre ses cuisses ouvertes telles de magnifiques fleurs épanouies. Sur son corps frémissant glissent ses paumes alanguies. Son regard contemple le visage souriant de son défunt adoré. Il imagine les mains de son amant endormi, sa peau et quelques soupirs oniriques qui comblent le silence de son absence.
Le désir du Prince grandit, son plaisir s'accroît à mesure que ses caresses s'approfondissent, que le sourire chimérique s'étire et illumine le ciel nocturne. Il pourrait presque jurer respirer l'arôme de son amoureux imaginaire, sentir le grain délicat de sa peau humide sous la pulpe de ses doigts ou encore goûter la saveur de sa bouche lorsqu'il se lèche les lèvres avec gourmandise. Ces sensations divines, jamais il ne les oubliera, pas même lorsque le temps s'étirera, que les semaines passeront et que les mois s'écouleront loin de celui dont il sera éternellement épris.
Son cœur s'emporte, chavire et rompt sous le poids des délices qui le font frissonner, comme s'il tenait entre ses bras le seul capable de lui faire l'amour avec tendresse et dévotion. L'unique être qu'il a chéri et adorera jusqu'à ce que la mort, capricieuse, se décide à les réunir pour une éternité de douceur.
Sur un pied d'égalité parfait, une osmose invraisemblable et avec une sincérité débordante, ils se sont aimés, durant de longues années qui pourtant ne semblent pas assez pour le petit Prince abandonné.
Dans un gémissement de contentement, le corps du rêveur se cambre magnifiquement. Flammèche incandescente au creux des reins, la jouissance approche alors que ses doigts coulissent sur son plaisir palpitant.
Le regard toujours verrouillé à celui de son amant tragiquement disparu, il l'imagine lui murmurer des mots tendres et caressants, comme il le faisait chaque fois qu'ils s'unissaient. Des " Je t'aime " soufflés d'une voix rauque et envoûtante, quelques paroles coquines pour accroître le désir et laisser s'étendre l'agréable sensation d'être enchevêtrés, corps et âmes entrelacés.
Il n'en faut pas plus au rêveur amoureux pour que son orgasme explose, étalant le breuvage salin sur la peau dévêtue de son ventre tendu. Dans un dernier râle de plaisir surgissent ses larmes assassines, remplies de nostalgie, de rêves inaccessibles, d'amour anéanti dans un coup de tonnerre brûlant.
" Ce que tu peux manquer à ma vie, mon Roi Solaire, souffle-t-il entre deux sanglots. Ta beauté m'éblouit lorsque les astres dessinent ton image. Dans l'ombre de la nuit, je t'aimerai encore plus fort. "
Un courant d'air effleure la joue humide du petit Prince, puis comme une caresse, s'étend sur ses lèvres. Les paupières désormais closes, c'est avec certitude qu'il réalise qu'un doux baiser lui a été offert, de ceux qui l'ont fait sourire tant de fois dans un passé pas si lointain.
La lune, ravie, dépose un regard attendri sur l'être qui habite l'astre depuis peu. Si le corps du rêveur et celui de son amant endormi ne peuvent plus se rencontrer, leurs âmes seront à jamais reliées.
Lorsque le soleil s'effacera à nouveau, la déesse nébuleuse se promet d'unir les amoureux égarés. Dans l'obscurité de son ciel, elle fera apparaître l'étoile du défunt jusqu'à ce que le cœur meurtri du Prince finisse par guérir.
Et chaque nuit, les esprits épris seront réunis, pour que vive sans jamais se ternir, un amour d'une force inouïe, aussi grand que le monde et impérissable malgré la mort et l'oubli.
Le rêveur pleure encore, mais dans l'ombre du jour, il admire l'étoile qui file sur une étendue obscure, car en son centre se cache le cœur d'un homme amoureux.
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