Chapitre 6
Chapitre 6 : Les champs du doute
Le lendemain matin, les champs de maïs s'étendaient sous un ciel clair, baignés par la lumière dorée d'un soleil timide. Une brise légère faisait onduler les tiges, les faisant ressembler à une mer sans fin. Pour beaucoup, ce paysage était apaisant, mais pour Timmy, il était devenu une source d'angoisse sourde, un rappel constant de la silhouette qu’il croyait avoir vue.
Emy, Horor, Gracie, Clement, et Henry avaient décidé de passer la journée à explorer les champs, motivés par l’envie de se dégourdir les jambes et de profiter de leur dernier jour ensemble. Timmy, malgré sa réticence, n’avait pas eu la force de refuser. Il avait simplement suivi, la mâchoire serrée et le regard fuyant, espérant que le mouvement dissiperaient ses pensées troublées.
Les amis traversaient les rangées de maïs en riant, leur bonne humeur contrastant avec l’atmosphère pesante que Timmy ressentait. Les tiges étaient hautes, dépassant la tête de chacun, et leur frottement constant contre les vêtements produisait un bruissement continu. Emy menait la marche, son énergie débordante l’amenant à s’éloigner légèrement du groupe. Elle s’arrêtait de temps en temps pour tendre la main vers une épi particulièrement haut ou pour plaisanter sur les champs interminables.
« Sérieusement, Timmy, ton père vit au bout du monde ! C’est quoi ces champs qui n’en finissent jamais ? » lança-t-elle en se retournant.
Timmy haussa les épaules, un sourire forcé sur les lèvres. « Il dit que c’est la tranquillité qui compte. »
Gracie, marchant juste derrière, observa les rangées avec un mélange de curiosité et de méfiance. « Je comprends pourquoi c’est calme. Qui viendrait ici, à part nous ? Ça a un côté… isolé. »
Horor, toujours prompt à plaisanter, ajouta : « Isolé, ou parfait pour cacher des secrets terrifiants ? Genre… un épouvantail tueur. »
Il éclata de rire, mais le silence qui suivit fut lourd. Timmy évita leurs regards, gardant les yeux rivés sur le sol. Clement, marchant à ses côtés, lui donna un coup de coude discret. « Ça va ? »
Timmy hocha la tête, mais il n’en pensait pas un mot. Chaque pas qu’il faisait dans ces champs le rapprochait de cette peur viscérale, de ce souvenir obsédant. Il ne pouvait s’empêcher de jeter des coups d’œil autour de lui, cherchant un signe, une silhouette, quelque chose qui confirmerait ou nierait ce qu’il avait vu.
Après une heure de marche, ils arrivèrent à une petite clairière au centre des champs, un espace dégagé où l’herbe haute prenait le relais sur le maïs. Ils s’assirent en cercle, partageant des sandwiches et des bouteilles d’eau. Emy s’allongea dans l’herbe, les bras derrière la tête, son regard tourné vers le ciel.
« Tu sais, » dit-elle après un moment, « il y a quelque chose de vraiment étrange avec ces champs. »
Gracie lui lança un regard sceptique. « C’est toi qui dis ça ? Toi qui te moques toujours de Timmy et de ses théories ? »
Emy haussa les épaules, un sourire amusé sur les lèvres. « Je plaisante, mais avoue que c’est… spécial. On dirait que le temps s’arrête ici. »
Henry, silencieux jusqu’ici, observa les tiges de maïs qui dansaient sous le vent. « Parfois, je me demande si les lieux peuvent garder des souvenirs. Comme si les choses qui se sont passées avant restaient gravées. »
Clement fronça les sourcils, son regard passant de Timmy à Henry. « Qu’est-ce que tu veux dire ? »
Henry hésita, jouant avec une tige d’herbe entre ses doigts. « Juste que… certains endroits ont une énergie. Comme si tu pouvais sentir ce qui s’y est passé, même sans le savoir. »
Timmy frissonna. Cette idée faisait écho à quelque chose qu’il ressentait, mais qu’il n’avait jamais osé verbaliser. Les champs avaient une présence, une mémoire, et il ne pouvait s’en défaire.
Lorsque le soleil commença à descendre, les amis décidèrent de rentrer à la maison. Le chemin du retour fut plus silencieux, la fatigue et l’étrangeté de la journée pesant sur chacun. De retour, ils se séparèrent rapidement pour rassembler leurs affaires, et peu après le dîner, les voitures disparurent dans le crépuscule, emportant Emy, Horor, Gracie, Clement, et Henry.
Pour la première fois depuis des jours, Timmy était seul. Seul dans cette maison entourée de champs.
La nuit tomba rapidement, et avec elle, une obscurité presque oppressante. Timmy se tenait devant la fenêtre de sa chambre, les bras croisés, observant les champs illuminés par la lumière pâle de la lune. Le silence était total, seulement troublé par le bruissement du vent dans les tiges de maïs. Une partie de lui voulait fermer les rideaux, tourner le dos à ce paysage, mais il ne pouvait pas. Quelque chose le retenait, une fascination mêlée de peur.
Sa pensée obsédante revint : l’épouvantail. Était-il vraiment là, dans ces champs, ou son esprit lui jouait-il des tours ? Incapable de trouver une réponse, il se détourna finalement de la fenêtre et s’assit sur le lit.
Après une hésitation, il alluma la télévision et inséra un disque de L’Épouvantail. Le générique retentit, aussi oppressant qu’il l’avait toujours été, mais Timmy ne détourna pas les yeux. Il voulait comprendre. Chaque épisode semblait apporter un détail de plus, une pièce du puzzle qui le hantait.
Cette fois, l’épisode montrait une scène de nuit. L’épouvantail se tenait au milieu d’un champ, la lune illuminant son visage cousu. Une voix off, grave et monocorde, récitait un poème :
« Pendus sous la lune,
Les secrets s’enfument.
Ma vengeance grandit,
Quand le vent me maudit. »
Puis, lentement, il tourna la tête. Ce fut subtil, presque imperceptible, mais Timmy sentit un frisson parcourir sa colonne vertébrale. Dans l’épisode, la caméra pivota pour montrer les rangées de maïs derrière l’épouvantail. Quelque chose bougeait. Une silhouette humaine s’avançait, tremblante, tenant une lampe à huile. L’homme semblait murmurer une prière, mais l’épouvantail ne bougeait pas. Pas encore.
Timmy éteignit brutalement la télévision, incapable de supporter plus longtemps la tension. Il se laissa tomber sur son lit, le cœur battant. Les champs étaient dehors, juste au-delà des murs de cette maison. Et quelque chose, il en était sûr maintenant, s’y cachait.
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