Chapitre 9
La maison était silencieuse, plongée dans l’obscurité. Timmy, profondément endormi dans son fauteuil, s’agitait légèrement, ses mains serrant le tissu du siège. Des images floues défilaient dans son esprit, comme si la série qu’il avait regardée plus tôt avait infiltré son subconscient. Mais ce rêve était différent. Ce n’était pas une simple projection des épisodes, mais quelque chose de plus ancien, de plus viscéral.
Dans son rêve, il se trouvait dans un champ immense, baigné par une lumière blafarde. Le ciel était gris, sans soleil ni nuages, et le vent portait une odeur de terre humide. Des villageois s’activaient autour de lui, leurs vêtements sales et usés trahissant leur pauvreté. Ils creusaient frénétiquement dans le sol avec des outils rudimentaires, arrachant des pommes de terre et des carottes de la terre meuble. Leurs gestes étaient rapides, presque désespérés, comme s’ils redoutaient d’être surpris.
Un homme surgit soudainement du brouillard, vêtu d’une chemise en lin usée et d’un pantalon de toile. Son visage était dur, marqué par le soleil et les années de labeur. Ses mains calleuses serraient un bâton, qu’il pointa vers les villageois en criant d’une voix rauque :
« Arrêtez ! C’est mon champ ! Vous n’avez pas le droit de toucher à ce qui m’appartient ! »
Un des villageois, un homme plus âgé à la barbe grise, se redressa en tenant une poignée de carottes dans ses mains. Son regard était froid, plein de défi.
« Ton champ peut nourrir tout le village, » dit-il d’un ton accusateur. « Ne fais pas l’égoïste. »
Un autre, plus jeune, se tourna vers le fermier, les bras chargés de pommes de terre. « Je suis bien d’accord. Il paraît même que tu ensorcelles ton champ pour qu’il soit prolifique. Tous les autres sont détruits, et toi, tu prospères. Ce n’est pas naturel. »
Les murmures d’approbation fusèrent parmi les villageois. Le fermier serra les poings, ses traits se durcissant.
« Je ne dois rien à personne ! J’ai travaillé cette terre de mes mains, pendant que vous faisiez la fête et dilapidiez vos récoltes ! Et maintenant, vous voulez voler ce qui m’appartient ? »
Un silence pesant s’installa, brisé soudainement par un geste brutal. Le fermier arracha une pomme de terre de la main d’un jeune homme et, dans un mouvement rapide et violent, l’enfonça dans sa bouche. Les doigts du fermier poussaient si fort que le jeune homme bascula en arrière, s’étouffant sous la force de l’acte. Ses yeux s’écarquillèrent, et il tenta de cracher, mais la pomme de terre obstruait sa gorge.
« Mange ! » rugit le fermier, son visage déformé par la colère. « Tu veux ma récolte ? Alors mange-la jusqu’à t’étouffer ! »
Le jeune homme s’écroula au sol, toussant et suffoquant. Un autre villageois, furieux, se précipita sur le fermier et piétina plusieurs plantes, écrasant les tiges et les légumes sous ses pieds.
« Voilà pour ton champ maudit ! » cria-t-il, son regard flamboyant de haine.
Le jeune homme recracha finalement la pomme de terre dans un haut-le-cœur, ses yeux pleins de larmes. Mais les villageois qui avaient assisté à la scène étaient outrés. Une femme, serrant un enfant contre elle, hurla :
« Sorcier ! Il s’est servi de ses pouvoirs pour faire prospérer ses champs, et maintenant il tue les nôtres ! »
Un autre cria : « Au bûcher ! Sorcier ! »
Les mots résonnèrent dans l’air comme une sentence irrévocable. Les villageois s’attroupèrent autour du fermier, leurs visages déformés par la peur et la haine. Certains brandissaient des torches, d’autres des fourches. Le fermier, malgré sa stature imposante, semblait minuscule face à cette foule enragée.
« Vous ne comprenez rien ! » cria-t-il, sa voix brisée par la panique. « Je ne suis pas un sorcier ! Je voulais seulement survivre, comme vous tous ! »
Mais ses supplications tombèrent dans l’oreille d’un sourd. Deux hommes le saisirent par les bras, l’entraînant de force vers un grand poteau planté au milieu du champ. Le vent se leva soudainement, portant une odeur de bois brûlé et de fumée. Les villageois attachaient déjà des branches autour du poteau, préparant le bûcher.
Le fermier se débattait, ses cris devenant de plus en plus désespérés.
« Vous allez regretter ça ! Si vous me tuez, je reviendrai ! Je réclamerai ce qui m’appartient, et je maudirai vos terres pour toujours ! »
Les torches furent abaissées, et le feu s’éleva rapidement, illuminant les visages des villageois dans un mélange de satisfaction et d’horreur. Le fermier, attaché au poteau, disparut bientôt dans les flammes, mais ses derniers mots résonnèrent, portés par le vent :
« Vous paierez pour vos crimes… Je reviendrai ! »
Le champ, autrefois prospère, se vida de toute vie, les plantes se fanant sous l’effet de la malédiction.
Timmy se réveilla en sursaut, son souffle court et son cœur battant à tout rompre. Sa chemise était collée à sa peau par la sueur, et ses mains tremblaient. Le rêve semblait si réel qu’il pouvait encore sentir la chaleur des flammes et entendre les cris du fermier.
Il se redressa lentement, passant une main sur son visage. Ce n’était pas un rêve ordinaire. C’était comme s’il avait été témoin d’un souvenir, d’un fragment d’histoire oublié. Il se tourna vers la fenêtre, et ses yeux se posèrent instinctivement sur les champs de maïs.
Au loin, sous la lumière de la lune, il crut apercevoir une silhouette. Immobile. Silencieuse. Une ombre parmi les rangées.
Timmy ferma les yeux, secouant la tête pour chasser cette vision. Mais il savait que quelque chose n’allait pas. Et il savait aussi que le rêve n’en était peut-être pas vraiment un.
Annotations