Chapitre 16

8 minutes de lecture

Timmy resta figé dans le noir, son souffle court, les yeux rivés sur l’écran éteint de son ordinateur. Son cœur battait à une vitesse folle, et il avait l’impression que l’air autour de lui s’était alourdi, comme si la pièce elle-même tentait de l’écraser.

Puis, quelque chose bougea dehors.

Un bruit de pas.

Lents.

Presque calculés.

Timmy déglutit difficilement et se força à se lever, le corps en alerte. Son téléphone gisait toujours sur le sol, et il se baissa lentement pour le ramasser. Ses mains tremblaient si fort qu’il eut du mal à déverrouiller l’écran.

Il ouvrit sa conversation avec Clement et tapa un message aussi vite que possible.

Timmy : "Tu es réveillé ?"

L’attente lui sembla interminable.

Puis, trois petits points apparurent.

Clement : "Oui. Tu as vu quelque chose toi aussi ?"

Timmy sentit son sang se glacer.

Timmy : "Attends… quoi ?"

Clement : "Quelqu’un a frappé à ma fenêtre."

Un frisson violent parcourut son échine.

Il ne réfléchit plus. Il attrapa son sac à dos, y fourra son téléphone, une lampe torche, un sweat et ses clés. Il ne pouvait pas rester ici.

Il devait voir Clement.

Il ouvrit la porte de sa chambre avec précaution, vérifiant le couloir plongé dans l’obscurité. Rien. Pas de mouvement. Pas de grattement. Il descendit les escaliers à pas feutrés, évitant soigneusement les marches qui grinçaient le plus.

Arrivé dans l’entrée, il hésita un instant. Son regard se posa sur la table de la cuisine, là où le bouquet de maïs reposait encore. Il ne savait pas pourquoi, mais il avait l’impression que l’épi du centre était un peu plus noirci qu’avant. Comme si quelque chose le consumait de l’intérieur.

Il secoua la tête. Ce n’était pas le moment de penser à ça.

Il prit une profonde inspiration, puis ouvrit la porte d’un coup sec.

Le vent nocturne s’engouffra dans la maison, faisant claquer les rideaux derrière lui. Les champs de maïs s’étendaient devant lui, sombres et menaçants sous la lueur argentée de la lune.

Timmy resserra son sweat autour de lui et se mit à courir.

Les rues étaient désertes, plongées dans un silence qui n’avait rien de naturel. Pas un chat dehors. Même les lampadaires semblaient diffuser une lumière plus faible qu’à l’ordinaire.

Timmy accéléra le pas. Clement habitait à dix minutes de là, dans une petite maison bordée de haies et d’arbres, un endroit normalement rassurant… sauf que ce soir, tout semblait différent.

Alors qu’il approchait de la maison de son ami, il ralentit.

La fenêtre de la chambre de Clement était ouverte.

Et une ombre se découpait derrière le rideau.

Son cœur faillit exploser dans sa poitrine.

Puis la silhouette bougea, et Clement apparut, le visage tendu. Il regardait fixement quelque chose dehors, comme s’il cherchait à comprendre ce qu’il venait de voir.

Timmy traversa rapidement la pelouse et tapa deux fois sur la vitre. Clement sursauta violemment avant de le reconnaître. Il s’empressa d’ouvrir.

« Bordel, Timmy… » souffla-t-il en le faisant entrer.

Timmy grimpa par la fenêtre et s’écroula sur le sol, le souffle encore court.

« Qu’est-ce qui s’est passé ? » demanda Clement en refermant la fenêtre.

Timmy prit un moment pour reprendre son souffle. Puis il lâcha :

« J’ai regardé un épisode qui n’existe pas. Et toi ? »

Clement pâlit.

« Moi… » Il hésita, cherchant ses mots. « J’ai vu quelqu’un devant ma fenêtre. Mais c’était pas un homme, Timmy. C’était… un truc. »

Il se frotta nerveusement les bras. « J’ai à peine eu le temps de voir, mais ses jambes… elles étaient tordues, comme si elles avaient été assemblées avec des morceaux de bois. Et sa tête… J’ai cru voir un sac en toile. »

Timmy sentit son estomac se retourner.

« L’Épouvantail. »

Clement hocha la tête, les lèvres serrées.

« Il nous a vus, Timmy. Et il sait qu’on sait. »

Timmy et Clement restèrent assis un instant sur le sol de la chambre, l’esprit en ébullition, leurs pensées s’entrechoquant dans le silence pesant de la nuit.

Clement jeta un regard inquiet vers sa fenêtre. Il avait encore cette sensation d’être observé, comme si l’Épouvantail se tenait quelque part, tapi dans l’ombre, attendant le bon moment.

Timmy, lui, n’avait plus aucune envie de dormir. Tout ce qu’il voulait, c’était comprendre.

« On doit trouver des réponses, » souffla-t-il en brisant enfin le silence.

Clement lui lança un regard incertain. « Comment tu veux faire ça ? »

Timmy serra les poings. « Je refuse de rester ici à attendre qu’il revienne. Il y a forcément un moyen de comprendre pourquoi il nous cible. Peut-être qu’on peut fouiller le village, chercher des archives, voir si quelqu’un d’autre sait quelque chose. »

Clement pinça les lèvres, hésitant. « Tu veux vraiment sortir alors qu’un truc… nous traque ? »

Timmy hocha la tête. Il savait que c’était risqué, mais rester passif ne ferait qu’empirer les choses.

Après un moment de réflexion, Clement finit par soupirer et se leva. « Ok, mais si on croise un Épouvantail géant, c’est toi qui cours en premier. »

Un sourire nerveux passa sur les lèvres de Timmy. « Marché conclu. »

Ils quittèrent la maison de Clement par la fenêtre, avançant prudemment dans la rue silencieuse. Le vent nocturne faisait bruisser les feuilles des arbres, et chaque ombre projetée par les lampadaires semblait cacher quelque chose.

Leur première destination était la vieille mairie du village. Elle contenait encore des archives, des journaux, des documents que personne n’avait pris la peine de trier depuis des décennies. Si l’histoire de la famille de Timmy et celle du fermier condamné étaient liées, alors peut-être qu’ils trouveraient quelque chose là-bas.

Ils marchaient rapidement, évitant de faire trop de bruit sur le bitume craquelé.

« Et si on trouve rien ? » murmura Clement.

Timmy hésita. « Alors on trouvera quelqu’un qui sait. »

Clement soupira. « Ouais… sauf que toutes les personnes âgées du village ont cette tendance bizarre à se taire sur les trucs louches. »

Timmy savait qu’il avait raison. Mais il n’était plus question de reculer.

Ils arrivèrent enfin devant la mairie, un vieux bâtiment aux murs de briques et aux fenêtres sales. L’endroit était plongé dans l’obscurité.

« Ok, plan B, » souffla Clement. « On fait quoi si c’est fermé ? »

Timmy tira sur la poignée de la porte. Elle ne bougea pas.

Il lança un regard à Clement.

« On trouve une autre entrée. »

Après quelques minutes de recherche, ils trouvèrent une fenêtre mal fermée sur le côté du bâtiment. Clement grogna en essayant de la soulever, mais elle était bloquée par la rouille.

Timmy s’aida d’un bout de métal traînant sur le sol pour faire levier. Après un effort combiné, la fenêtre grinça et s’ouvrit enfin.

« Allez, entre, » murmura Timmy.

Clement passa en premier et atterrit dans une salle remplie d’armoires métalliques. Timmy le suivit, refermant la fenêtre derrière eux.

L’intérieur de la mairie était silencieux, presque oppressant. L’odeur du papier jauni flottait dans l’air, mêlée à la poussière accumulée par les années.

Timmy alluma sa lampe torche et balaya la pièce du regard.

« On cherche quoi ? » demanda Clement à voix basse.

Timmy s’approcha d’une des armoires et ouvrit un tiroir. Il y avait des vieux journaux, certains remontant aux années 1950.

« Quelque chose qui parle de la famille du fermier ou de mon grand-père, » murmura-t-il en fouillant.

Après quelques minutes, Clement s’arrêta net.

« Attends… regarde ça. »

Il tendit un vieux journal à Timmy. L’article était daté de 1967.

"Une tragédie dans les champs – Un fermier accusé de sorcellerie brûlé vif par les habitants."

Le sang de Timmy se glaça.

Avant qu’ils ne puissent approfondir leur lecture, le téléphone de Timmy vibra brutalement dans sa poche. Il sursauta et regarda l’écran.

Livia.

Il décrocha immédiatement.

« Tata ? »

La voix de sa tante était agitée, paniquée.

« Timmy, tu es où ? »

« À la mairie… On cherche des trucs sur l’histoire du village. »

Un silence.

Puis, d’une voix brisée, Livia souffla :

« Timmy… Vous devez partir. Maintenant. »

Timmy sentit son estomac se tordre. « Quoi ? Pourquoi ? »

« Timmy… ce n’est pas un monstre qui hante ces terres sans raison. Ce n’est pas une simple malédiction. »

Timmy serra plus fort son téléphone, un frisson parcourant son échine.

« Alors c’est quoi ? »

Il entendit Livia hésiter. Son silence était pire que les mots qu’elle s’apprêtait à prononcer. Puis, enfin, elle lâcha d’un souffle :

« C’est une vengeance. Une justice arrachée à la mort. »

Le silence tomba comme une chape de plomb.

« Justice ? » répéta Timmy, incrédule.

Livia soupira, comme si le poids d’un secret trop longtemps gardé lui pesait.

« Ce n’est pas un simple épouvantail, Timmy. Il était un homme. Un fermier, autrefois. Celui qui possédait ces terres avant que notre famille ne les réclame. Mais on l’a accusé de sorcellerie. De ruiner les récoltes, d’attirer la famine sur le village… Ils ont décidé qu’il devait disparaître. »

Timmy sentit un frisson glacé remonter le long de sa colonne vertébrale.

« Ils ? Qui ça, ils ? »

Livia hésita un instant, puis répondit, presque à contrecœur :

« Notre famille. Mais pas seulement. Tous ceux qui ont profité de sa disparition. Le village tout entier. Ils ont volé ses terres, brûlé sa maison, effacé jusqu’à son nom des registres… Et quand il a supplié pour qu’on lui laisse au moins un bout de terre pour survivre, on l’a… »

Sa voix se brisa légèrement.

« Ils l’ont attaché à un poteau au milieu de son champ. Ils l’ont couvert de paille. Et ils l’ont brûlé vif. »

Un silence assourdissant emplit la pièce.

Timmy ne bougeait plus. Son cœur battait si fort qu’il en avait mal à la poitrine.

« Et… il est revenu ? » souffla-t-il.

Livia reprit d’une voix plus grave.

« Il a juré, avant de mourir. Il a dit que les corbeaux chanteraient son retour. Que ceux qui avaient sali sa terre en paieraient le prix. Mais il ne veut pas juste tuer pour tuer, Timmy… Il veut être entendu. Il veut que la vérité soit connue. »

Timmy sentit ses mains trembler légèrement.

« Mais… alors pourquoi il a tué des gens ? »

Livia resta silencieuse un moment. Puis elle répondit, d’une voix plus sombre :

« Parce qu’ils ont menti. Parce qu’ils ont continué à faire comme si rien ne s’était passé. Il ne tue pas au hasard. Il tue ceux qui cachent encore son histoire. Ceux qui profitent encore de son crime. »

Timmy sentit son estomac se nouer.

« … Est-ce qu’il va me tuer ? »

Livia prit une inspiration profonde.

« Ça dépend. Est-ce que tu veux voir la vérité, ou la cacher comme les autres ? »

Un courant d’air froid parcourut la pièce.

Puis, un bruit.

Un léger toc-toc-toc contre la vitre.

Timmy releva lentement la tête.

Derrière la fenêtre, une silhouette haute et décharnée l’attendait dans l’obscurité.

Un sac de toile pour tête. Deux boutons noirs à la place des yeux.

L’Épouvantail était là.

Et il voulait une réponse.

Annotations

Vous aimez lire Podqueenly ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0