La petite chronique ordinaire du shooté au like virtuel (social)
— Menu monologue (face au miroir).
Quand tu n’es plus que deux yeux plantés dans les confins de ton écran sitôt la machine allumée, cloués, vissés, verrouillés sur le tableau des notifications de ton compte chéri favori (celui où tu es le plus aimé, voire adoré, voire adulé, voire réclamé), les pouces bleus ou verts ou vers le haut de Facebook, YouTube, Twitter, Instagram & co en injection intraveineuse quotidienne sur ton lit blanc de junkie qui n’a jamais sa dose :
tu es mûr pour te passer du Drucker et du Patrick Sébastien, sinon un bon vieux Fort Boyard en boucle jusqu’à ce que sommeil s’en suive, pour tenter de ne pas sombrer dans la déprime abyssale du mal-aimé éternel qui ne voit plus que la corde autour du cou pour stopper le supplice et renaître à la vie.
Quand j’ai enfin vu dans le tain du miroir ma face burinée de shooté aux likes en phase terminale, après le chapelet kilométrique des nuits blanches et des journées entières jetées dans ce gouffre sans fond, j’ai compris que je ne serai jamais l’auteur du best-seller qui vend tout le stock de l’éditeur en un seul mois, dans sa villa avec vue sur la mer, ni celui qui écrit les horoscopes des magazines pour femmes qui n’ont rien compris à l’astrologie véritable, dans son studio de gratte-ciel avec vue sur la tour Eiffel. Et encore moins l’un des membres de la très prisée académie des lettres qui nous honore de son accueil en son sein.
On se fait alors une raison de notre désert mérité de médiocre et on apprend à bondir de joie au moindre micro commentaire revêtu de l'air lointain du contentement, du semblant d’encouragement et du simulacre de bravos. Puis, au butoir du renoncement inéluctable – à moins de s’appeler Hugo, Maupassant, Baudelaire, Rimbaud ou Stephen King pour une retraite en or massif – le simple fait d’avoir été lu ou visité en silence nous procure une extase orgasmique inoubliable.
À ce stade toutefois il est temps d’aller consulter.
Petit monologue écrit par un ex shooté de Facebook (R.I.P 2012-2016),
puis Wattpad (R.I.P 2015-2019)
puis Scribay (jusqu’à ce que mort s’en suive).
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