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Bonjour à tous, voici une petite histoire sans prétention écrite en 5 jours. La narration est un peu alambiquée mais j'espère que ce sera compréhensible. Sur ce, bonne lecture :) Et pensez à la mettre dans une liste de lecture si ça vous plaît !
Écrit en écoutant notamment : DJ Mad Dog – Take It Easy
Il se releva péniblement après plusieurs spasmes. Il était penché au-dessus des toilettes depuis cinq minutes et malgré le fait que tout le repas de midi y fût déjà passé, il continuait à trembler. L’acidité lui brûlait la gorge et l’œsophage. Il tira un paquet de feuilles du rouleau de papier toilette et entreprit de nettoyer d’abord le pourtour de sa bouche, puis les dégâts collatéraux.
La voix de la femme de ménage résonna derrière la porte de la cabine :
— Monsieur ? Tout va bien ?
— Oui… merci… il n’y a pas de souci.
Il attendit encore une longue minute que l’employée quitte les lieux pour oser ouvrir la porte. Il jeta un coup d’œil furtif en sortant des toilettes et fonça vers l’escalier de service. Heureusement, il avait encore tout sur lui : son manteau, ses clés, son téléphone, son portefeuille. Normalement, il ne croiserait personne ici. Arrivé au rez-de-chaussée, il marcha tête baissée sur le parking jusqu’à sa voiture. Toujours personne.
Il se sentit légèrement moins mal après deux kilomètres. Enfin… il était plutôt passé d’une angoisse incontrôlable à un état de pilote automatique, dans lequel la moindre émotion avait été chassée. Il ne restait plus qu’un brouillard lourd et épais. Il fixait les marques blanches défilant à vive allure sur le côté droit de la nationale.
Il releva son regard et continua encore plusieurs secondes avant de réagir aux feux de détresse qui s’illuminaient devant lui. Il faut sûrement agir… Il pilla de toutes ses forces un quart de seconde plus tard. Malgré tous ses efforts, le véhicule de devant, à l’arrêt, se rapprochait dangereusement. Son compteur indiquait encore soixante-cinq kilomètres à l’heure. Ça ne suffirait pas… ou peut-être ? Le système de freinage d’urgence le secoua violemment, faisant glisser son pied de la pédale. Il ferma les yeux… puis les rouvrit avec surprise. Il était miraculeusement parvenu à stopper la voiture à une vingtaine de centimètres de la plaque d’immatriculation devant lui.
Il souffla profondément. Puis sentit un choc puissant à l’arrière. Et merde : il se retrouvait maintenant pris en sandwich. La voie de gauche n’avait pas été épargnée par le ralentissement brutal : plusieurs voitures s’étaient mises de travers, certaines avaient tapé la glissière de sécurité. Il hésita à sortir pour constater les dégâts.
***
À quelques kilomètres de là...
On alluma le grand écran de la salle réunion et une grille de visages plus ou moins pixelisés apparut sur l’interface de visioconférence.
- Bienvenue à tous pour cette restitution de projet. Je vois que vous êtes au complet. De notre côté, nous attendons M. Lavandier, en charge de la réalisation technique dans le cadre de ce projet de refonte de votre application mobile. Il devrait nous rejoindre d’ici un instant… Tenez, Lionel, allez faire un tour dans l’open space pour voir si vous le trouvez. Nous nous excusons pour ce contretemps.
10 minutes plus tard.
Le directeur s’impatientait en tâchant de rester calme. Depuis plusieurs années, Aymeric Lavandier était un de ses meilleurs éléments. Toujours à l’heure, toujours dans les délais, des gestions de projet irréprochables et un engagement sans limite.
***
Une fois que celui qui s’était encastré contre son coffre put reculer, Aymeric manœuvra à son tour pour s’extraire de la zone. Tant pis si normalement, il aurait fallu attendre l’arrivée de la police pour constater les dégâts.
Il arriva chez lui un quart d’heure plus tard. Bizarrement, l’accident lui paraissait déjà un souvenir vieux de plusieurs mois. Idem pour le travail, c’était comme si un voile opaque s’était abattu sur son quotidien.
Déjà ce matin, il avait senti que quelque chose avait changé. Pourtant, son réveil avait sonné à la même heure, il avait bu le même thé que d’habitude, pris la même route en écoutant son podcast du moment. Arrivé au bureau, il avait répété et peaufiné la restitution prévue en début d’après-midi. Plusieurs mois de travail dont il était fier, en dépit des longues journées, jusqu’à minuit passé, qui s’étaient multipliées pour tenir les délais.
Lorsqu’il avait relancé la démonstration encore une fois pour s’assurer que tout se déroulerait à la perfection, un bloc d’erreur rouge vif s’était affiché en plein milieu de son écran, avec pour titre « Database : Request Fatal Error » en gras. Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Il avait jeté un regard à l’heure : encore une bonne heure et demie avant la réunion avec le client. Pas de panique, il suffisait sûrement de redémarrer la base de données ; le problème était déjà arrivé.
Mais cette fois-ci, rien à faire. Pris par une bouffée de chaleur, Aymeric avait inspecté l’erreur en détails et ouvert plusieurs fichiers de code. Mais merde ! C’est quoi cette vieille version ? Normal que l’appli plante ! Tremblant, il s’était mis à la recherche de la dernière version correcte en date.
Il avait découvert avec horreur que des versions instables avaient été fusionnées au projet par son équipe il y a deux semaines et avaient cassé des dépendances critiques. Il serait absolument impossible de récupérer une version correcte de l’application rapidement. C’était la catastrophe annoncée pour les délais, et il en serait responsable.
Un vide vertigineux l’avait ébranlé et aspiré toutes ses pensées. Il avait fixé son écran d’ordinateur pendant dix minutes. Il ne comprenait plus rien à la manière dont il devait interagir avec sa machine et n’était même pas sûr d’avoir pensé à cligner une seule fois des yeux. Après s’être retirées, toutes ses émotions revinrent en un tsunami dévastateur. Il allait vomir dans les trente secondes. Des acouphènes stridents lui perçaient le crâne.
Aymeric récupéra son ordinateur personnel et prépara en vitesse une valise sans connaître la quantité d’affaires dont il aurait besoin. Il repartit aussitôt et prit l’autoroute vers l’ouest. Avait-il fait un bon choix ou bien une énorme connerie ? Difficile à dire pour l’instant. Il roula pendant quatre heures sans s’arrêter, passant successivement Le Mans, Laval, Rennes, puis il bifurqua vers le nord. La route lui était encore familière par endroits : il acquiesça en repérant le panneau indiquant l’usine marémotrice de la Rance. Dans une demi-heure, il serait arrivé. En aval du barrage, l’eau bouillonnait férocement, tandis que quelques voiliers et zodiacs se reposaient, amarrés près des plages, en dehors des zones de turbulence.
Voilà. Il retrouvait le village côtier de ses feus grands-parents. Il se demandait si celui-ci avait changé depuis les quatre ans qui le séparaient de son dernier « pèlerinage » . Il n’était surtout pas habitué à le découvrir dans sa tenue hivernale. En été, les routes et chemins étaient envahis de touristes en maillot sur leur bicyclette ; les pêcheurs à pied se comptaient par dizaines à marée basse. Aujourd’hui, le bourg et ses vieilles maisons de pierre était déserté. L’ambiance était même… morbide. Il ne pleuvait pas réellement, mais la brume épaisse mouillait autant. La mer, grise, se confondait avec les nuages bas.
Il se gara face à la baie et se posta sur la promenade qui surplombait le rivage. En contrebas, une compagnie d’oies bernaches était occupée à piétiner le sable mouillé en quête de nourriture, tout en jacassant bruyamment. Aymeric laissa finalement sa voiture sur place et se mit en chemin. L’ambiance ne lui déplaisait pas. Le calme et la solitude étaient vraiment les bienvenus.
Il se rendit tout d’un coup compte qu’il aurait beaucoup de mal à trouver un hébergement ici : hors-saison, ceux-ci devaient être aussi rares que la neige sur la Côte d’Azur. Tant pis, on verrait bien sur le moment. Il poursuivit son chemin le long de côte, alternant entre la plage au sable compact, les formations rocheuses et certains chemins sinueux. Arrivé à la pointe de la presqu’île, il remonta par un mince escalier taillé dans la roche et déboucha sur la lande qui servait de parking pendant l’été. C’était ici qu’ils s’étaient embrassés, il y a douze ans. Une preuve que même dans les moments les plus difficiles, le bonheur pouvait toujours émerger.
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