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Écrit en écoutant notamment : CMH – Sexxx Tape
Quelques instants plus tard, Aymeric passa devant un imposant bâtiment indiqué comme étant l’abbaye du village. Le portail était ouvert et il s’engagea dans la cour. Peut-être qu’ici, quelqu’un pourrait lui indiquer une adresse pour la nuit. Il poussa prudemment la porte, avant qu’une dame d’une cinquantaine d’années l’accueillît.
- Bien sûr que vous trouverez un toit pour la nuit, dit-elle avec un sourire pour répondre à sa question.
Elle retourna derrière son bureau et déverrouilla le PC.
- Deuxième étage, vue sur la baie, ça vous convient ? Nous ne sommes pas submergés de réservations, en ce moment…
- Je crois que c’est parfait.
- Tenez, remplissez-moi ce papier et je vais chercher votre clé. Pour ce soir, le repas sera servi à sept heures et quart dans la salle qui se trouve à notre gauche. Vous pouvez venir un quart d’heure avant pour la prière si ça vous intéresse.
Aymeric repartit d’abord à pied pour ramener sa voiture et ses affaires à l’abbaye. Tu m’étonnes qu’il y ait de la place, le parking est complètement vide. Il fut encore plus convaincu de sa thèse en notant que le thermomètre de sa chambre, une antiquité fonctionnant au mercure, indiquait seize degrés. Ou bien c’est la vie de moine normale. À côté, l’aiguille du baromètre montrait une pression de neuf-cent-quatre-vingt-quinze hectopascals. « Pluie ou vent » , le cadran disait à peu près la vérité.
Au moins, les moines avaient le wifi. Aymeric sortit son ordinateur et cliqua sur la barre de recherche internet. Il sentait l’excitation dans ses doigts à chaque touche frappée. Est-ce que le forum existait encore seulement après toutes ces années ? 11 ans, précisément, si son calcul était bon.
Les couleurs avaient légèrement changé par rapport à ses souvenirs, lors de ses études, mais l’interface n’avait pas tant évolué que ça. Il cliqua sur le lien « Récits érotiques » et constata avec surprise que le site paraissait encore très actif. Les sujets de la première page ne remontaient qu’à deux jours au maximum. La manière de présenter les textes n’avait pas tellement changé non plus : le classique [récit gay, en cours] ou bien [terminé] complétait toujours les titres d’œuvres. Il jeta également un coup d’œil aux statistiques. Quelques textes cumulaient plus de cinquante mille vues, une barre déjà honorable.
Il remonta une par une les pages afin de retrouver son œuvre principale, écrite l’été de ses dix-huit ans. Page 5, 10, 15, 25… page 27 ! C’est ça !
« Alors, tu l’as eu ? » [gay, réel, lycée]
Il rigola gentiment de lui-même : c’est vrai que son titre était atrocement banal. Mais c’était le sien et il se l’était approprié au fil des chapitres. Il ne l’aurait changé pour rien au monde. 414.857 lectures… c'était pas mal !
Il hésita à cliquer et à afficher le premier chapitre. L'histoire n’était pas des plus joyeuses.
Chapitre 1
Vendredi 19 avril 2013
Ce soir, les vacances de Pâques commencent ! Et toute notre classe de Terminale est invitée pour la soirée de l’année. Enfin, quand je dis soirée de l’année, je ne pense pas à celle qui suivra la fin des épreuves du bac, ce sera encore bien autre chose !
Pour ce soir, Antonin s’est proposé de nous accueillir dans l’immense maison de ses parents. C’est sûr que c’est un avantage, mais je sais surtout qu’il en profitera pour sortir ses platines et s’improviser DJ pour la soirée. Il aime trop jouer à la star (le pire est que ça marche super bien avec les filles), mais bon, je ne vais pas m’en plaindre, on va passer un bon moment.
D’ailleurs, je ne me suis même pas présenté : je m’appelle Aymeric, j’ai encore dix-sept ans (même si ça ne m’empêchera pas de faire la fête et de boire de l’alcool). Je pourrais dire que je suis un lycéen lambda, mis à part le fait que je suis gay. Je l’ai déjà dit à quelques amis proches, mais pour le révéler publiquement… ça reste une autre paire de manches. Et surtout, je n’ai encore rien fait avec un garçon.
En sortant de ma douche, je m’observe quelques instants dans le miroir. Avec mes soixante-et-onze kilos pour un mètre soixante-dix-neuf, je ne suis pas le mec le plus musclé de la classe, mais je suis certain de plaire quand même. Je passe quelques minutes à coiffer mes cheveux noirs, bien assortis à mes yeux très sombres.
[...]
Aymeric soupira. La classique présentation du personnage principal dans sa salle de bain, qui s’apprête pour une soirée de classe… pourquoi est-ce que tout le monde a exactement la même idée au moment d’écrire sa première romance ? Il sauta la fin du premier chapitre, pour l’instant pas très passionnant. Il reprit sa lecture plus loin, au cœur de cette fameuse soirée :
Chapitre 2
[...]
J’observe avec envie mon meilleur ami Loïc enfin embrasser la fille sur laquelle il a des vues depuis le début de l’année. Pourquoi est-ce que moi, je n’ai jamais eu droit à ce plaisir ? J'essuie les quelques larmes naissantes autour de mes yeux, me sers un mélange vodka/limonade très fortement dosé et emmène mon verre dans la salle de bain avant de m’y enfermer.
Pourquoi est-ce que je n’en suis pas capable ? Putain…
D’un coup, je me sens encore plus jaloux d’Alek et Benjamin. Ah oui, je ne vous ai pas encore parlé de ces deux-là. Ils sont en première, enfin, Benjamin est en première dans notre lycée, et Alek est son correspondant russe pour un échange linguistique de trois mois. Ils ont tous les deux réussi la prouesse de devenir le couple star du lycée. Faut dire qu’un coming-out en plein cours, c’est magistral. Je crois qu’on en parlera encore dans cinq ans dans le lycée.
Ils ont l’air tellement heureux l’un avec l’autre… Je les ai déjà vus s’embrasser sur les rives de l’Escaut, devant la sortie du lycée. Et je suis sûr qu’ils ont déjà souvent fait l’amour.
Une fois de plus, mon verre est vide, mais je ne parviens pas à trouver le moindre réconfort. Même la mélodie de Levels ne parvient pas à me redonner le sourire lorsque je redescends, tel un zombie, dans le jardin.
[...]
Aymeric grimaça en se souvenant de la suite de la soirée. C’était là que les ennuis avaient commencé… Dehors, le brouillard s’était levé, mais les nuages s’effilochaient et le vent claquait par intermittence. Le baromètre était descendu à neuf-cent-quatre-vingt-douze. L’aiguille frôlait la zone marquée « Tempête » .
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