Lawrence Foster
Je poinçonnais au Ministère, comme à mes habitudes, et entrai dans l'immense salle de travail commune. Large d'une cinquantaine de mètres, peut-être cinq ou six fois plus longue. C'était plus une sorte de hangar dans lequel des rangées de bureaux individuels étaient alignés plutôt qu'un open-space. Rangé vingt-sept, troisième colonne, c'était l'emplacement de mon bureau. A ma droite se trouvait Laura Faal, une de mes collègues. Elle était petite et portait d'épaisse lunettes rondes. On ne parlait que rarement, à la pause de midi, et encore. A ma gauche, il n'y avait personne, pour le moment, du moins. En temps normal, le bureau était occupé par Lorenzo Fontini, il n'arrivait jamais à l'heure et pour ne rien arranger partait toujours le premier, était insupportablement solitaire et semblait cacher quelque chose. En claire, c'était un boulet pour notre société. Je ne parvenais pas à comprendre comment les directeurs permettait encore à cet imbécile de travailler dans ce lieu si important pour la Nation. Il finit par arriver au bout de plusieurs minutes, débraillé, les cheveux en pétard, la cravate de travers. Quel gland. Mince, mot interdit. Je suis impardonnable. Peu êtres pas autant que lui, toutefois. Enfin Bref, la journée pouvait commencer. C'est à peu près à ce moment que les haut-parleurs dispersés aux quatre coins de la pièce annoncèrent le début du travail, il était 8h00.
La matinée se déroula sans accro. Le travail ici était simple, nous recevions un paquet de dossier ou chacun d'eux précisait le résumé, l'auteur, sa nationalité et les antécédents de celui-ci ainsi que l'année de parution d'une œuvre littéraire ou cinématographique. Notre travail était d'étudier ces dossiers, nous étions aidés au besoin par nos ordinateurs, nous fournissant un accès a la base de données du Ministère. Par la suite, nous devions décider si oui ou non ces œuvres pouvait être lues ou vues par la population sans risques. La journée était bercée par le doux bruits des tampons apposés sur les fiches, presque en cadence, ainsi que par celui du papier que l'on remue. Oui, cette journée sembla être identiques aux autres, et cela me plaisait. J'étais fier de savoir que je participais à la grandeur de la Nation. Finalement, à 12h30 précise, les haut-parleurs annoncèrent la pause de midi. Je me suis levé comme mes collègues et nous nous sommes tous dirigés comme un seul vers le réfectoire. Faal me parlait de sa famille, sa fille venait d'obtenir son examen d'école intermédiaire et allait entrer au Ministère, son père était fier d'elle. Je reçu également des nouvelles du reste de sa petite famille à l'exception de son fils aîné.
C'est alors que je l'ai vu. Fontini se dirigeait vers les toilettes, il semblait vérifier que personne ne le suivait. Je me sentis comme pris d'une poussé de devoir patriotique et me dirigea à mon tour vers les toilettes. Ce que je vis en entrant m'emplis d'horreur. Fontini était debout sur le siège des cabinets et descendait du réservoir un livre, plus précisément un livre interdit. Et ce n'était pas n'importe quel livre interdit, il s'agissait de 1984 de George Orwell, le posséder chez soi est un acte de dissidence et est sévèrement punit. C'est alors qu'il me vit, je ne crois pas avoir eu dans ma vie le visage aussi sévère, même avec mes enfants. Nous nous sommes regardé pendants plusieurs longues minutes, dans le silence. Il finit par souffler et s'est laisser tomber sur le siège des toilettes, je l'entendais sangloter et me contentai de lui rappeler la gravité de l'acte qu'il venait de commettre. C'est alors qu'il me regarda, les yeux suppliants, il me parla de son fils malade et me dit que le seul moyen qu'il ai de payer ses soins était d'aider au trafic de livres interdit. Puis il me parla de mes enfants, du bonheur, de la liberté, du futur, du passé aussi. Il tentait de m'embrouiller, c'était évident, mais pour la première fois depuis longtemps, je commençai à douter. Il s'éclipsa et rejoignit les autres, je suis resté là à me regarder dans le miroir pendant plusieurs minutes. Finalement, je pris le livre qu'il avait laissé au pied des toilettes et alla l'apporter a mon supérieur, lui racontant tout de A-à-Z. Les forces de l'Ordre arrivèrent assez rapidement et emmenèrent Fontini. Je ressenti un pincement au cœur au moment où celui-ci me regarda, le regard plein d'un mélange de tristesse et de colère, alors qu'il était emmené. Pourtant, j'avais fait mon devoir, Non ?
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