2. Un verre de rhum
Je suis, là, dans les bras d’un total inconnu, à lui faire un câlin comme si tout est normal. Il finit par s’écarter de moi, lui aussi a les larmes aux yeux, ses mains tâtent mes épaules comme pour se rassurer que je suis bien là. Il me dévisage sans aucune gêne, détaillant mon visage, ce qui me fait légèrement rougir.
— Merde, tu es bien réel, un mec bien vivant ! Je n’y crois pas, je cherche des survivants depuis la fin du monde, je désespérais complètement.
Sa voix vibre d’émotion, il n’hésite pas à montrer son sentiment de joie face à moi. Il y a cinq ans je l’aurais pris pour un pervers à me mater comme ça.
— C’est sympa la première impression avec une arme pointée sur moi, lâché-je avec une certaine froideur.
— Ouais pardon, mais j’ai eu peur que tu sois un zombie ou une bestiole du genre.
J’éclate de rire, ce qui me provoque une autre crise de toux. Mon premier rire depuis ta mort, je ne pensais pas que cela pourrait être possible à vrai dire.
— Ce n’est pas ce genre de fin du monde, gloussé-je, ça aurait été plus sympa, on aurait au moins croisé des trucs qui bougent, car là…
— Ouais, c’est clair. Je m’appelle Érick.
— Ethan.
— Hey, je te paie un verre pour fêter notre rencontre ? J’ai débusqué un rhum arrangé super sympa.
— Ouais, vas-y ! Je n’ai pas bu depuis la fin du monde par contre.
Il se met à rire, un rire cristallin doux à entendre et rassurant, un peu comme le tien, mais légèrement plus grave. Il me fait signe de le suivre jusqu’au salon où il ouvre une des commodes. Il y a tout un tas de bouteilles d’alcool en tout genre, il en prend une et sort deux verres en cristal qui sont normalement utilisés pour le whisky.
— Ouais, ce ne sont pas les bons verres, mais on ne va pas faire les difficiles, hein ?
Je lui souris et attrape le verre qu’il me tend pour le remplir. L’odeur du rhum me fait frissonner, et lorsqu’on trinque et que la première gorgée coule dans ma gorge, je me sens comme libéré. Je réalise enfin qu’en face de moi il y a un mec bien vivant, que je ne suis plus tout seul. Je lui souris alors sincèrement et me décontracte, laissant encore échapper une larme. Lui aussi a les yeux embués, je crois bien qu’il est dans le même état que moi.
— Tu sais ce qui s’est passé ? demande-t-il en faisant rouler le rhum dans son verre.
— Non… juste que ça a emporté tout le monde… et que moi j’ai survécu pour x raison…
— Pourquoi nous ? On a quoi de plus que les autres pour avoir survécu ? Ça a été si soudain, pourquoi on résiste àcette chaleur sans mourir ?
— Je me suis posé la même question en boucle…
Je baisse alors la tête, je me demande pourquoi moi, pourquoi on t’a enlevé à moi de cette façon si atroce. Pourquoi je dois te survivre alors que ma seule raison de vivre a disparu ? En relevant les yeux, je vois qu’Érick est sûrement dans le même tourment que moi étant donné son regard lointain alors qu’il fixe le fond de son verre.
— Je suis content d’être tombé sur toi. Enfin, que tu ne m’ais pas fait exploser la cervelle comme un zombie, ricané-je.
— Ch'uis désolé. J’ai vu trop de films d’horreur et j’imaginais la fin du monde autrement. Genre zombie, aliens, bombe nucléaire… Pas le genre où on a l’impression d’être dans un four en mode pyrolyse.
— Oui moi aussi, c’est moins badass que dans les films.
Il se met à rire de nouveau et ses yeux verts semblent pétiller. Je sens que la troisième gorgée de rhum fait déjà effet, j’ai la tête qui tourne.
— Comment tu as atterri ici ?
— Je voulais voir la mer.
— Alors tu aimes la vue ?
Cette fois c’est moi qui rigole, ça fait du bien de parler à quelqu’un sans réel but de conversation. À vrai dire, ça fait du bien de parler à quelqu’un tout court, on est tous les deux tellement en manque de compagnie que la timidité n’existe plus. On se parle comme si on se connaissait depuis longtemps et ça fait vraiment du bien. Si nous nous étions croisés dans la rue avant la fin du monde, on ne se serait sûrement pas calculés. Lui avec son look de surfeur, le mec populaire qui doit se balader avec une fille à chaque bras… et moi avec mon look de rockeur ténébreux et inaccessible, gay jusqu’au bout des ongles, on pourrait appartenir à deux mondes différents.
— Tu bouges beaucoup ou tu as élu domicile ici ?
— Je me suis posé ici depuis six mois, j’étais militaire avant et je bougeais tout le temps, j’en ai eu marre et j’étais désespéré de ne trouver personne. Toi, j’imagine que tu bouges beaucoup ?
— Ouais, mais je savais plus où aller.
— On fait la route ensemble ? Si finalement on a réussi à se trouver, il doit bien y avoir d’autres survivants quelque part.
— Ouais, carrément ! M’enfin là, je vais t’avouer que je ne vais pas marcher droit si on y va maintenant, gloussé-je, un peu pompette.
Son rire si plaisant retentit de nouveau. J’ai un compagnon de route, les jours vont me paraître moins longs. Le soleil commence déjà à décliner, donnant au ciel un aspect encore plus rouge qu’il ne l’est. Avant on aurait pu être captivés par cette couleur, mais moi c’est la couleur de ses yeux qui me captive. Même si les tiens me manquent.
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