3. À cause d'un magazine
Le matin est aussi chaotique pour mon crâne que le paysage dehors. Un seul verre de rhum a eu raison de moi ; disons que je ne buvais déjà pas beaucoup avant, mais je n’ai rien bu depuis cinq ans. Alors que j’émerge péniblement, descendant les escaliers, une odeur de pain grillé et de crêpe envahit mes narines. Érick est dans la cuisine à faire à manger, je m’approche de lui, intrigué.
— Salut, il y a de l’électricité pour la cuisine ?
— Salut ! Non, c’est du gaz.
Quel idiot, évidement ! Je m’assieds à la table à manger en me frottant le crâne. Le blond glousse, posant devant moi un verre d’eau et un cachet pour la douleur. Je soupire et avale le tout avant qu’il ne dépose cette fois le petit déjeuner au milieu de la table. Je le remercie et mange en silence le temps que les cachets fassent effet.
— J’ai une autre question bête… Tu les as trouvés où les œufs pour les crêpes et le gâteau ? demandé-je intrigué.
— Y’en a pas, j’ai des recettes sans œufs. Ma petite sœur est allergique donc j’ai appris à les faire sans œufs.
Il a parlé au présent de sa sœur, comme si celle-ci pouvait être en vie, mais je ne vais pas relever et lui poser de questions sur sa vie d’avant. Je me doute bien que son histoire doit sûrement être dans le même genre que moi. Tant qu’il ne me pose pas de questions sur ma vie, je ne lui en poserai pas sur la sienne. Je préfère ne pas m’étaler, même s’il est le dernier mec en vie sur cette planète.
Une fois le repas avalé, je me rafraîchis dans la salle de bains, puis je me pose dans le salon avec mon sac à dos pour attendre mon compagnon de route. Dix minutes plus tard, il apparaît avec un sac à dos militaire légèrement plus gros que le mien, il me fait alors un magnifique sourire.
— On y va, Ethan ? Tu as une idée en tête ?
— Non pas plus que ça. Tu viens d’où pour qu’on ne revienne pas sur tes pas ?
— Du Sud, murmure-t-il.
— OK, je viens de l’Est, on va aller au Nord. C’est bien, non ?
— Yes ! Allez, go !
Je me lève et mets mon sac sur une épaule, et sors dehors, suivi du grand blond. Les premiers kilomètres se font en silence, puis, comme s’il ne tenait plus, Érick le rompt pour me parler. Il commence par me poser des questions anodines, genre la musique que j’aime, les films que je regarde, les plats que j’adore et qui me manquent. Ce sont des questions personnelles, mais pas du tout invasives.
Arrivé vers midi, nous traversons une petite ville où il n’y aqu’une supérette minuscule qui fait tabac-presse en même temps. Fouillant dans les clopes, je réussis à dénicher des menthols, et en allume une directement, comme un drogué en manque. Érick, lui, fouine dans les magazines.
— Tu sais qu’il est interdit de fumer dans un bâtiment public ?
Je me mets à ricaner, comme si les lois du pays étaient encore de rigueur.
— Tu es de la police ? Tu vas m’arrêter et me mettre les menottes ?
Mon sourire est un peu provocant ; je m’attends à une réplique, mais le blond reste quelques instants silencieux, avant de glousser en revenant vers moi et de poser sur le comptoir un magazine porno sur le thème du BDSM.
— Ne me dis pas ce genre de chose quand j’ai ça dans les mains, glousse-t-il.
— Ah, mais merde ! Ch’uis tombé sur un pervers !
— Mais non, juste un mec qui n’a pas vu de meuf depuis cinq ans. T’inquiète, je vais pas te sauter dessus.
— J’espère bien, je ne suis pas du genre à me laisser faire, le menacé-je.
Je me mets alors à ricaner. L’hétéro, ça ne m’intéresse pas, et le sexe ne me manque pas plus que ça. De toute façon je n’ai encore que ton visage en tête et je n’ai pas envie de tourner la page. Surtout avec un mec comme lui qui n’appartient pas à mon monde ; il ne sera que mon compagnon de route, rien de plus.
Je me dirige alors vers le rayon des boîtes de conserve. Tiens, des raviolis, ça fait longtemps que je n’en ai pas mangés. J’attrape une boîte et l’agite en l’air pour qu’Érick la voie, mais celui-ci a le nez plongé dans le fameux magazine. Ah… il est vraiment en manque le type.
— Hey, tu veux manger quoi ?
— Hein ? Ah, euh… comme toi ça me va, me répond-il, absent.
— OK…
Je rapporte une boîte pour lui, et pour le faire chier, je la pose sous son nez, pile-poil sur la photo de la nana avec les pattes écartées.
— Tu te masturberas plus tard.
— Mais non, c’est pas ce que tu crois, je m’instruisais juste sur ce genre de pratique.
— Le BDSM c’est sympa cinq minutes, mais on chope vite des crampes si on est attaché.
— Oh ! Genre tu as déjà fait ce genre de chose ? Genre avec une dominatrice et tout ?
— Ch'uis gay… donc avec un dominant ouais, avoué-je.
Érick semble buguer face à ma révélation, je ne sais pas trop si c’était à cause du fait que je lui dise que j’ai déjà fait des trucs avec du cuir ou si c’est le fait que je sois gay. Je me mets à glousser face à sa tête avant de sortir de la supérette. Il me rejoint une bonne minute plus tard alors que j’ai trouvé un coin à l’ombre pour manger. Il s’assit à côté de moi, mais reste étrangement silencieux alors qu’il ouvre sa boîte lui aussi.
— Crache le morceau, gondé-je, je vois bien que j’ai foutu un malaise. T’inquiète, je vais pas te sauter dessus et te violer après t’avoir saucissonné.
— Dommage…
Je manque de m’étouffer. Avalant ma bouchée, je le regarde avec des yeux écarquillés. Ce type est si en manque qu’il était prêt à changer de bord. Je ne peux retenir un fou rire, ce qui ne semble pas vraiment lui plaire vu sa grimace, mais cela accentue mon fou rire.
— Tu es si en manque que ça que tu es prêt à passer de l’autre bord ?
— Bah… toi, ça ne te manque pas ?
— Non… Je m’en passe très bien, dis-je en agitant la main.
— OK… Alors changeons de sujet… On campe où ce soir ? On devrait arriver dans une ville d’ici trois heures.
— C’est bien ça, on se trouve un appart’ et on s’y posera.
Un malaise s’est tout de même installé entre nous. Et les trois heures qui suivent sont assez silencieuses. Une fois en ville et un appartement potable trouvé, je me vautre dans le canapé, et lâche mon sac à côté. En quelques secondes je pique déjà du nez.
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