La belle-famille

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J’attendis Hide toute la soirée. Il fit son apparition tard dans la nuit, et se laissa tomber dans le futon à côté de moi sans allumer la lumière. Je le laissai me tirer contre lui sans montrer que j’étais réveillée. Il sentait l’alcool, le tabac, et même, la poudre de riz, qu’une de ces geishas avait dû frotter un peu trop près de lui.

— Comment s’appelle l’épouse de l’oyabun ? finis-je par lui demander dans le noir. Elle ne m’a même pas dit son nom.

Loin de s’étonner, Hide frotta sa grande main sur mon ventre.

— Saeko. C’est une femme très classe, hein ?

— Elle m’a plus ou moins dit que son mari avait des maîtresses, et que comme toute bonne épouse de yakuza, elle fermait les yeux dessus.

— Le boss est en pleine force de l’âge. Par respect pour sa femme, il ne lui impose plus certaines choses.

Je me retournai pour faire face à Hide. Ce dernier reposait sur son bras replié, les yeux à demi-fermés. Il les ouvrit en m’entendant me retourner, comme un chat. Les reflets de la pleine lune dehors, en soulignant les reliefs de son visage, leur donnaient un éclat métallique.

— Hide... tu penses vraiment ce que tu viens de dire ? Qu’il est normal qu’un homme prenne des maîtresses, parce qu’il ne peut plus — ou ne veut plus — faire l’amour à sa femme, qui a au minimum dix ans de moins que lui ?

Cette Saeko, sous ses dehors guindés et son échine raide, avait peut-être encore des désirs. Mais c’était son mari qui les satisfaisait à sa place... avec d’autres femmes beaucoup plus jeunes. Et cela n’avait pas l’air de choquer Hide.

— Mhm... tu m’as l’air bien en colère, observa-t-il.

— Ne détourne pas la conversation. Réponds-moi, s’il te plaît.

Il roula sur le dos en soupirant.

— J’en sais rien Lola, je ne suis pas conseiller matrimonial. Tout ce que je sais, c’est que la famille du boss est comme ça, que c’est leur équilibre. Ce n’est pas à moi de venir mettre mon nez dans l’intimité des gens. Surtout pas dans celle de mon patron.

— Je voudrais juste que tu me jures que tu ne feras pas la même chose.

Hide repoussa ses cheveux en arrière.

— Je t’ai déjà dit cent fois qu’une seule femme me suffisait, m’assura-t-il en gardant les yeux fixés sur le plafond.

— Mais quand j’aurais cinquante ans, comme Saeko ?

— Évitons de nous projeter trop loin.

— Mais t’auras l’âge de ton boss. Et Saeko dit que tu vas continuer à t’élever dans l’organisation...

— Elle a dit ça ?

— Ne deviens pas comme lui, Hide !

— Pourquoi pas ? Il a bien réussi. Il est parti de rien, et il a réussi à s’élever grâce à sa compréhension des gens et son intelligence.

— Je ne l’aime pas. Un type qui entretient plusieurs femmes, qui pond un gosse dans le dos de la sienne, et qui fait des remarques graveleuses sur les épouses des autres...

— Ah, désolé pour ça. Il ne recommencera pas, je peux te l’assurer. Mais je voudrais que tu évites d’entretenir de mauvaises pensées à son égard. Considère-le comme ton beau-père.

Je me redressai sur le futon.

— Mon beau-père ? Ce vieux vicieux ?

Hide me lança un regard coupant comme un rasoir. Il ne rigolait plus.

— Oui, ton beau-père. C’est lui et Saeko qui représenteront mes parents pendant la cérémonie, Lola. Le boss a été comme un père pour moi, et Saeko, comme une mère. Je leur dois tout.

— Tu leur dois dix ans à l’ombre, surtout ! ne pus-je m’empêcher de dire. Yûji m’a tout raconté. Ton « père » t’a fait entrer dans l’organisation au moment où tu étais le plus vulnérable pour que tu le débarrasses du chef du Gwangju... en gros, il t’a sacrifié !

Hide prit une grande inspiration. Je ne voyais pas bien ses yeux, mais la petite crispation de mâchoire qu’il tentait de dissimuler ne m’avait pas échappé.

— C’est faux. Il a tout fait pour me dissuader, au contraire. Il suivait ma carrière sportive depuis le début et ne voulait pas que je plaque tout pour devenir gokudô : il a même essayé de me faire avoir un job régulier. Mais je ne l’ai pas écouté.

— T’as dit toi-même qu’il était particulièrement malin. Pourquoi t’aurait-il repéré tout jeune, si ce n’était pas pour s’assurer d’avoir un gros bras bien reconnaissant à son service ? Les types d’un mètre quatre-vingt-huit, ça ne court pas les rues, dans ce pays ! Surtout ceux qui n’ont pas de famille derrière eux pour les protéger des mauvaises influences.

Hide rompit le contact visuel.

— Allez, j’en ai assez entendu. Arrête de parler de ce que tu ne sais pas et rendors-toi. On a des choses à faire demain.

Tu as des choses à faire, explosai-je dans un chuchotement aigri. Moi, je vais encore passer la journée enfermée dans le quartier des femmes, pendant que mon mari se fait servir à boire par des geishas !

Je pensai que Hide allait s’énerver. Mais un fin sourire apparut sur son visage.

— T’es jalouse, en fait... observa-t-il judicieusement.

— Wow, bravo, Sherlock ! C’est là tout mon propos. Je ne veux pas te partager avec une autre, que ce soit une geisha ou une hôtesse. Si tu introduis une telle fille dans notre intimité, comme tu dis... je lui crève les yeux !

Hide m’attrapa par la taille, me basculant sous lui.

— Une vraie tigresse, dis donc.

— Oh, pas la peine de me faire ton petit numéro. Tu n’obtiendras rien de moi cette nuit, Ôkami Hidekazu !

— Vraiment ? ronronna Hide en posant ses lèvres dans le creux de mon épaule. Saeko ne t’a pas dit que c’était le devoir d’une épouse de satisfaire son mari ?

— Espèce de connard, sifflai-je en lui collant une claque.

Mais j’étais déjà émoustillée. Ah, les lois de la chair ! Hide enferma ses mains dans les siennes. Ses lèvres se posèrent sur les miennes, et je lui ouvris la bouche. Il ne fallut que cinq secondes pour que je sente un liquide chaud couler entre mes cuisses. Hide, qui avait profité du baiser pour glisser sa main entre mes jambes, le sentit aussi.

— J’ai jamais vu une femme mouiller aussi vite, murmura-t-il calmement à mon oreille.

Je voulais le frapper, le repousser, mais je n’en avais plus la force. Son corps chaud pesait sur moi, et je n’avais plus qu’une envie : qu’il apaise ce désir brûlant qui couvait dans mon ventre.

— Qu’est-ce que tu veux, lui répondis-je avec cynisme. Les Occidentales sont insatiables...

— Et il faut que je me montre à la hauteur, apparemment, plaisanta Hide en me mordillant l’oreille. Surtout que ma femme fait partie de ces raretés aux tétons roses.

— Et ça t’excite ?

— Beaucoup, oui, avoua-t-il.

Je me demandais comment réagirait Hide en constatant que mes poils pubiens étaient bruns. Depuis que je couchais avec lui, je m’épilai intégralement. Il serait sans doute déçu.

— Je ne suis pas une vraie blonde, lui soufflai-je vicieusement au moment où il introduisit son membre en moi.

— C’est pas grave. Marilyn Monroe ne l’était pas non plus.

Marilyn Monroe comme référence... et c’était censé me rassurer.

D’une pression sur sa taille, je lui fis comprendre que je voulais le chevaucher. Il bascula sur le dos et me laissa prendre les rênes. J’en profitai pour rejeter la lourde couverture qu’il avait rabattue sur nous et m’assis d’autorité sur lui. Je mis ma main sur son cou puissant, les doigts posés sur sa pomme d’Adam.

— T’es peut-être le mâle alpha dans tes réunions de machos, mais au lit, c’est moi qui commande, lui rappelai-je en serrant sa gorge. Même quand tu m’encules ou que tu m’attaches, c’est moi qui ai le pouvoir.

— Il parait que c’est souvent comme ça, me concéda-t-il.

Ses yeux avaient pris cet éclat brumeux qu’il n’avait que dans ces moments-là, et seulement quand je prenais l’initiative. Encouragée, je collai ma main sur sa bouche, étouffant son gémissement rauque au moment où je m’empalai sur sa queue dressée. Il mordit le revers de ma paume avec le bout de ses dents, doucement. Les sourcils froncés, tout raide de désir, il avait à la fois l’air terriblement puissant et vulnérable. C’était irrésistible.

Un jour, faudrait que j’essaye de lui mettre un doigt, pour voir, me surpris-je à penser.

Je n’avais jamais fait ça de ma vie. Mais avec Hide, bizarrement, cela me paraissait être une possibilité plaisante... à condition qu’il se laisse faire. Pas sûr qu’un yakuza macho comme lui fantasme sur le pegging. Mais comment savoir ? Depuis le début, il ne cessait de me surprendre.

Lorsque l’aube pointa par la fenêtre, j’étais encore sur lui, satisfaite, mais épuisée, à remuer mollement du bassin. Sous mes jambes, Hide dormait à moitié. En voyant les premiers rayons du soleil, il me repoussa gentiment sur le côté.

— Faut qu’on arrête de baiser toute la nuit, marmonna-t-il en passant son bras sur moi. C’est dur, le lendemain.

— T’as qu’à te coucher plus tôt.

— Tu sais bien que je ne peux pas. J’ai des obligations.

— Oui, bah tu en as aussi envers moi. Et tant que je t’épuiserais la nuit, tu n’iras pas voir des geishas, des escorts ou des hôtesses de bar.

— Aucun risque... tu sais combien ça coûte d’avoir une relation avec ces femmes. Et je dois rembourser les frais de l’hélicoptère.

— On refera un tour avec l’année prochaine, alors, répliquai-je sur un ton pince-sans-rire.

Mais Hide s’était déjà endormi. Accroché à moi comme un singe à sa mère, il ressemblait à un petit garçon. Le fils de la maison, de cette Saeko et de son mari oyabun.

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