Des pleurs dans la nuit

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— J’aurais dû me déguiser en geisha, pour avoir l’honneur de banqueter avec toi, dis-je à Hide en le voyant arriver dans notre chambre le soir. Une perruque, un kimono, et hop, le tour était joué ! Nous, les matrones, on n’a même pas eu droit aux Chippendales. Si je deviens femme de l’alpha suprême, la première chose que je ferais, c’est d’instituer une tradition de banquets servis par les plus beaux hosts de Kabuki-chô pour les femmes de mafieux. Strictement interdits à leurs maris, bien sûr.

Hide me montra ses canines, dans un de ses sourires à dents trop rares. Il avait fait l’effort de fausser compagnie à ses collègues avant minuit, mais il était rond comme un cul de pelle. Le regard brumeux et étrangement gentil, il m’enlaça et commença à embrasser ma gorge avec passion : le succès — et le saké — lui avait apparemment donné des ailes.

— Je leur ai dit que je voulais profiter des bains et de ma femme, murmura-t-il d’une voix rendue rauque par le désir. Alors, ils m’ont laissé partir. Certaines choses n’attendent pas.

— Alors là, je ne te crois pas. Je sais que tu ne parles jamais de moi. Je suis la femme de l’ombre, comme la grande épouse du sultan Mehmet II.

— C’est vrai. Je veux te garder pour moi tout seul, et je ne peux pas tolérer que ces sales types fantasment sur toi, grogna-t-il. Tu es à moi, Lola. Rien qu’à moi.

Il semblait très excité. Qu’est-ce qui avait pu le motiver comme ça ? Les geishas ? La réussite ?

Mais c’était sa soirée. Je pouvais bien faire un petit effort.

— Qu’est-ce que tu veux, ce soir ? lui murmurai-je d’une voix que j’espérais tentatrice — pas trop pute quand même, parce que je savais par expérience que ça pouvait vite refroidir les hommes japonais, qui préfèrent les femmes « innocentes » et très soumises. Tu peux tout me demander.

Je croisai son regard, aux pupilles très dilatées. La lumière leur conférait un éclat marron, et les faisait paraître comme ces lentilles « poney » affectionnées par les hôtesses, qui leur donnaient un air d’animal à la fois innocent et provocant. Il y avait ce côté-là également chez Hide, qui, je le sais, plaisait énormément aux filles ici. Et à moi aussi, évidemment.

— Tout ? Alors... Je veux que tu me suces, pour commencer. Et que t’avales.

Ce n’était pas bien original. Et pas bien compliqué non plus.

— À ton service... allonge-toi.

Il se laissa tomber sur le futon déplié en fermant les yeux. Je lui mis un petit coussin sous la tête, et déboutonnai sa chemise. Je desserrai un peu sa cravate, mais je la lui laissai. Et commençai par caresser sa gorge, sa pomme d’Adam. Il déglutit et gémit doucement lorsque j’y posai ma langue, à quatre pattes sur lui.

Sa peau hâlée avait le goût salé du saké au poisson qu’il avait bu plus tôt. Je pris mon temps sur ses tétons, sur son ventre de gymnaste et glissai ma langue dans son nombril. Pendant ce temps-là, il jouait négligemment avec mes cheveux, que j’avais détachés.

Cela faisait un bail que Hide ne se rasait plus en bas. Il avait les poils noirs et épais, plus drus que soyeux. Je libérai sa queue de sa prison de coton et la pris direct dans ma bouche : je l’entendis pousser un long soupir.

— Les couilles... murmura-t-il. Lèche aussi les couilles.

— C’est si joliment demandé...

Je lâchai son organe veineux et m’intéressai aux testicules, une partie sensible de l’anatomie masculine que j’avais tendance à éviter d’habitude. Mais si c’était ce qu’il voulait... Je mis un petit coup de langue dessus, avant de les gober comme des œufs, et de les faire rouler sous ma langue. Il écarta les cuisses plus largement, comme une femme qui s’offre. Avec ses yeux fermés aux longs cils bruns, la ligne virile de sa mâchoire et sa pomme d’Adam qui pointait — sans parler de son torse musclé et couvert de sueur, révélé par la chemise ouverte comme la peau d’un animal après la chasse —, il était irrésistible.

— Encore... gémit-il lorsque je le lâchai.

Je le repris dans ma bouche, et imprimai à sa queue un mouvement de succion, la langue fermement posée sur son gland humide. Son bas ventre était tendu, nerveux. Il commençait déjà à pousser les hanches en avant, et avait attrapé mes cheveux, pour me forcer à venir m’étrangler sur sa bite. Avec mes doigts, je jouai un peu avec ses bourses. Elles étaient dures et gonflées, apparemment dans le même état que sa verge, c’est-à-dire prêtes à exploser.

C’est le moment, me résolus-je.

Et je glissai un doigt derrière, l’air de pas y toucher. Il ne se rendit compte de rien. Mais il râla lorsque je plantai mon index dans son périnée, ce qui était juste un test pour jauger sa réaction.

Je réappuyai un coup, pour voir. Il avait saisi mes cheveux dans son poing. Je ne contrôlais plus le rythme de la fellation, obligée de suivre le sien, mais mes mains, elles, faisaient ce qu’elles voulaient. Hide en avait refermé une sur la droite, m’empêchant ainsi de lâcher la sucette. La gauche continuait d’appuyer sur le muscle dur qui se tendait derrière ses gonades. Et lorsque par inadvertance, mon majeur glissa entre son sillon mouillé de sueur et salive, il explosa.

Kusô ! gronda-t-il en déchargeant une bonne lampée de jus dans ma bouche.

Il fit encore deux va-et-vient dans ma gorge, histoire d’être sûr que je n’en perde pas une goutte. J’avalai tout ça, pour lui faire plaisir. Ce n’était pas la meilleure crème du monde, mais comme c’était lui...

Hide me regarda, la tête un peu relevée et le regard de nouveau incisif. Il avait décuvé.

— C’était quoi, ça ?

— La meilleure fellation du monde, apparemment ? T’es jamais parti aussi vite, ni aussi fort, je crois.

— Non, je parlais pas de la pipe... qu’est-ce que t’as fait avec ton doigt ?

— J’ai appuyé sur ton périnée. Sur ta prostate, pour être plus exacte.

Il plissa les yeux.

— Ma quoi ?

— Ta prostate. Tu ne sais pas ce que c’est ?

C’était le point de départ d’une intéressante discussion.

— Non, et je ne veux pas le savoir. De toute façon, je ne pense pas que les Japonais aient une... porstate.

J’avais dit le mot en anglais, à défaut de connaître la terminologie japonaise.

— Une prostate, corrigeai-je. Et si, tous les hommes sur Terre en ont une. Sans ça, pas de sperme, ni d’éjaculation, mon grand !

— Qu’importe. Ne refais plus jamais ça... Viens contre moi.

Je me serrai contre lui, à la fois déçue et contente. La prostate était peut-être une découverte pour lui, mais qui ne l’avait pas laissé indifférent.

C’est normal, me dis-je en nichant ma tête dans le creux de son épaule. Les machos ne sont pas censés aimer qu’on leur touche le cul.

Je m’attendais à une telle réaction. Mais Hide n’était pas un macho ordinaire : à bien des égards, il était beaucoup plus ouvert qu’une grande majorité de ses compatriotes, et même, que la majorité des hommes que j’avais rencontrés, toutes nationalités confondues. J’étais sûre que je pouvais faire du chemin avec lui, sexuellement, et sortir du schéma habituel du mec viril qui domine sa femme en l’enculant, en l’entravant et en lui tirant les cheveux. Ces jeux là m’amusaient aussi, mais j’avais envie de voir si Hide, lui, était capable de challenger les normes et dépasser ses propres limites, comme je le faisais moi. J’en étais même sûre et certaine.

— Pourquoi tu ne te rases plus en bas ? lui demandai-je pour provoquer la discussion. C’est fini, la période étalon du porno ?

— Je m’étais rasé juste pour que ma bite te paraisse plus grosse, avoua-t-il sans honte.

— Tu déconnes ? Elle est déjà énorme !

— Pour le Japon. Mais je n’avais jamais couché avec une étrangère avant toi, et comme vos hommes sont réputés pour être montés comme des chevaux...

Je ne pus m’empêcher de pouffer de rire — ce qui était particulièrement hasardeux au moment où un homme vous parlait de sa bite.

— Je peux t’assurer que je n’ai jamais couché avec un type mieux pourvu que toi, lui jurai-je. C’est la vérité.

— Mhm. De toute façon, ce qui compte le plus, c’est la façon de s’en servir, répondit sombrement Hide.

Il ne me croyait pas.

— Certes. Mais bon, une bonne bite bien volumineuse, on ne crache pas dessus... moi, en tout cas. Je ne prétendrais pas parler pour toutes les femmes !

— Les filles ici n’aiment pas les queues trop grosses, m’apprit Hide. Elles disent que ça leur fait mal. Dans l’industrie du sexe, les professionnelles refusent les King Kong.

— Les King Kong ? fis-je, incrédule.

— Les types avec des trop grosses queues. C’est comme ça qu’elles disent.

Je le regardai, soudain prudente.

— Tu t’es déjà fait refuser d’un soapland, Hide... ?

— Ça m’est arrivé, avoua-t-il. Mais c’était plus à cause des tatouages, et des risques dus à l’hépatite C.

— Mais tu n’as pas l’hépatite C, pourtant ?

— Beaucoup de gokudô l’ont. À cause des aiguilles pas nettes, et du shabu.

La crystal meth.

— Ben écoute, tant mieux, fis-je en le serrant contre moi. Comme ça, tu n’as pas trouvé ton bonheur au soapland, et on s’est rencontrés. Si tu avais eu ton compte de sexe avec ces filles là, tu ne te serais jamais intéressé à moi !

Il y avait bien eu Noa, avant, mais je décidai de passer cet épisode sous silence. En outre, je savais qu’il ne s’était jamais agi d’une relation suivie. Hide couchait avec elle de temps à autre, comme il l’aurait fait avec une fille de soapland, justement. Et ça lui avait sans doute coûté moins cher.

— Ça coûte une fortune, de toute façon, bougonna fort à propos Hide, qui avait manifestement oublié les sommes astronomiques qu’il avait lâchées au club Tete pour attirer mon attention. Je connais des gens qui se sont endettés jusqu’au cou à cause des soaplands.

— Il paraît que les filles sont très douées, fis-je prudemment.

On disait même qu’elles étaient toutes canons. La prostitution était de très haut niveau au Japon, d’après ce qui se racontait.

— Moins douées que toi, répliqua Hide en m’attirant à lui. Et elles simulent, comme toutes les pros.

— Tu sembles en connaître un rayon...

— Pas tant que ça. Je te le répète : je n’ai pas été avec beaucoup de femmes.

— À l’échelle d’un yakuza, peut-être. Tu vois Hide, tu ne me crois pas quand je te dis que tu es le plus gros avec qui j’ai couché, ben moi, je ne te crois pas quand tu prétends ne pas avoir eu beaucoup de femmes.

— Crois ce que tu veux. Moi, je sais ce qui est vrai.

Nous nous glissâmes tous les deux sous la couette. Hide posa sa main sur mon avant-bras. Lentement mais sûrement, nous glissions vers le pays des rêves. Je tendis la main pour attraper le fil du plafonnier et éteignis la lumière.

— Au fait... finit-il par murmurer dans le noir. Tu as vu Kiriyama ?

J’hésitai un moment avant de lui répondre.

— Il est parti à la fin de la cérémonie, lui avouai-je. Juste avant le banquet.

Hide garda le silence. Il cala son front contre le mien et ferma les yeux. Il ne dit pas un mot à ce propos, mais je voyais bien qu’il était déçu.

Tant mieux. Ce Kiriyama était trop dangereux.

*

Je m’éveillai dans le noir, en sueur. Quelque chose m’avait tirée du sommeil.

Des bruits de sanglots. Je les entendais encore distinctement.

Prise d’une terreur aussi affreuse que soudaine, comme si une main venue des ténèbres étaient venue se poser sur moi, je tapotai pour localiser Hide. S’il s’était levé, était parti... j’allais paniquer. Mon cœur se mit à battre la chamade, alors que je retournais dans le lit, cherchant la présence de mon conjoint. Je finis par frapper son dos — pour une raison inconnue, il était à moitié sorti du futon — et soupirai de soulagement. Je lui attrapai l’épaule.

Hide... murmurai-je, terrorisée. Hide...

— Mhm... quoi ?

— J’ai l’impression qu’il y a quelqu’un dans la pièce...

Il se retourna. Je l’entendis trifouiller, se redresser... et allumer le plafonnier.

— T’as entendu quelque chose ?

— Comme des ... pleurs, répondis-je les bras croisés, osant à peine regarder autour de moi.

Hide fit un rapide tour de la chambre.

— Ces vieux hôtels sont parfois habités par des souvenirs de ce genre, dit-il très sérieusement. Mais tu ne crains rien avec moi.

— Tu es prêtre exorciste ?

— Je n’ai pas peur des fantômes.

— Moi, si. Ils me terrifient...

Au lycée, j’avais été traumatisée par Ring, le terrible film d’horreur japonais qui avait lancé la mode des spectres aux longs cheveux noirs et aux yeux révulsés.

— Ne t’inquiète pas. Ce sont justes de vieux souvenirs, des réminiscences. On s’en va demain, de toute façon.

— Je croyais que ça durerait trois jours ?

— Le boss nous invite à passer la veillée du passage de l’année chez lui.

Je retins une remarque acerbe. Je n’avais aucune envie de passer mon premier nouvel an avec Hide chez les Onitzuka.

Mais c’est ta belle-famille, maintenant, me persuadai-je. Il faut que tu t’habitues.

— Il n’y aura que nous, tenta Hide pour me réconforter. Ce sera bien, tu verras. Et ensuite, on repartira à Tokyo.

— Mouais.

— Et puis, Saeko doit te faire essayer ton kimono de mariage. Elle l’a reçu la semaine dernière... Tu dois être contente, non ?

— Oui, ravie, répondis-je en essayant d’avoir l’air enjoué.

Je doutais que ce kimono me plaise. J’avais du mal à faire complètement confiance à Saeko. Mais c’était la famille d’Hide : il fallait donc que je prenne sur moi.

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