La nuit de noces
Hide n’était pas à la maison lorsque je rentrai chez moi, le soir de mon mariage. J’étais seule : Yûji avait eu sa soirée, et Hanako, qui avait plus ou moins passé ses vacances d’hiver chez nous, était à l’hôtel Hyatt avec ma famille et ses parents adoptifs. Je me retrouvai donc dans un appartement totalement vide, sans aucune trace de mon mari. Il était deux heures et demie du matin.
Je pris une longue douche, résignée à me mettre au lit sans Hide. J’étais en train de sortir lorsque j’entendis la porte s’ouvrir. Enfin... il rentrait.
— Hide ? T’abuses, sérieux. Tu m’avais promis que tu serais là...
Mes mots moururent dans ma gorge. Kiriyama Reizei était debout dans le couloir, soutenant mon mari ivre mort.
— Kazu-chan a bu un peu trop ce soir, m’annonça-t-il avec son sourire de serpent.
Je restai immobile, ne sachant comment réagir. Je ne portais qu’une petite serviette pour couvrir ma nudité, et Kiriyama ne se gêna pas pour faire couler son regard reptilien le long de mon corps, des pieds à la tête. En le voyant passer la pointe de sa langue sur ses lèvres, je décidai de réagir.
— Merci de l’avoir ramené. Tu peux le laisser là, je m’en occupe.
— Tu déconnes, ma belle. Il pèse presque quatre-vingt-dix kilos, tu ne vas pas le porter toute seule. Je vais le mettre au lit : je connais le chemin de la chambre.
Et, sans que je puisse dire quoi que ce soit, Kiriyama s’engouffra au fond de l’appartement. Il posa Hide sur le lit, qui ouvrit les yeux à ce moment-là.
— Laisse... l’entendis-je murmurer. Lola est là ?
Ouf. Il était réveillé. Je grimpai sur le lit de l’autre côté et posai ma main sur son front.
— Je suis là, mon ange. Je t’avais dit d’y aller mollo sur l’alcool...
Il prit ma main.
— Je suis vraiment désolé. Je ne voulais pas rentrer si tard...
Je lui embrassai le front.
— C’est pas grave.
On en parlera plus tard, songeai-je alors qu’il refermait les yeux.
Je relevai les miens sur Kiriyama.
— Merci, je vais m’occuper de lui.
Rentre chez toi, maintenant.
Mais Kiriyama ne semblait pas pressé. Il inspectait la chambre sans vergogne, et ses yeux se posèrent sur les sous-vêtements en dentelle blanche que j’avais laissés là avant de prendre ma douche.
— Eh... grinça-t-il avec un rictus salace. Dommage pour la petite partie de cul que tu lui réservais... ! Il est con, non ? Préférer se mettre une miurge avec ses potes que de rentrer baiser sa jolie femme... Il a toujours été comme ça, en plus. J’avoue que je ne comprends pas trop... Il te nique bien, au moins ?
Je fixai Kiriyama, interdite. Qu’est-ce qu’il me racontait ?
— Toi aussi t’as trop bu, Kiriyama, lui dis-je d’une voix que je voulais autoritaire. Tu devrais rentrer chez toi et te reposer.
— Tu m’offres pas un verre avant ? Y a personne qui m’attend à la maison, moi. Je suis pas comme Kazu, avec toutes les bitch de Tokyo qui me courent après.
Je le regardai. Pourtant, objectivement, Kiriyama était beau gosse. Il était grand, bien bâti, classe, avec un visage racé qui évoquait les princes impériaux de l’époque Heian. Mais il dégageait quelque chose de foncièrement malsain, d’extrêmement dérangeant.
— Si tu traites les femmes de « bitch », c’est normal qu’elles ne te courent pas après, Kiriyama. Hide, lui, n’utilise jamais ce genre de mots.
C’était vrai. Hide s’était montré dominateur avec moi au début de notre relation — et il l’était encore en lit, la plupart du temps —, mais jamais il ne m’avait manqué de respect. C’était d’ailleurs ce qui m’avait fait accepter si facilement d’être dominée par lui.
— Ah, tu me donnes des leçons de séduction ? Pourquoi pas... mais devant un verre, alors.
Et il se dirigea d’office vers la cuisine.
Putain de merde, grognai-je entre mes dents, avant d’enfiler un sweat et un jean en quatrième vitesse. Si j’avais eu une armure de kendô, je l’aurais mise. Mais on n’avait pas ça chez nous. Avant de quitter la pièce, je jetai un œil sur le coffre dans le placard... puis me ravisai.
Kiriyama s’était déjà installé dans le salon, les pieds sur la table basse. La main sur la télécommande, une clope entre les dents, il zappait sur le bouquet numérique, avant de switcher pour Porn Hub.
— Avec Kazu, à l’époque où on vivait ensemble, on louait souvent des films de cul... il me cachait les siens, mais je me souviens qu’il kiffait pas mal les vidéos de blondes en train de se faire enculer. Le bukkake, aussi, il aimait bien.
Je lui arrachai la télécommande des mains et éteignis la télé.
— Eh, c’est comme ça que tu traites tes invités ? se plaignit-il en relevant les yeux sur moi.
— Oui, parce que tu as un comportement grossier. Je veux que tu sortes de chez moi, Kiriyama.
— C’est surtout chez ton mari, grognasse, siffla-t-il. Et ton mari, c’est mon meilleur pote, mon frère juré. On partageait tout avant. Même les femmes.
C’en était trop. Je me dirigeai à grands pas vers le couloir pour lui ouvrir la porte, mais il m’intercepta au passage. Il me ceintura, me collant contre son corps dur.
— Je pourrais t’enculer, moi aussi, souffla-t-il en descendant sa main le long de ma cuisse. Je suis sûr que ça te ferait autant de bien que quand c’est lui.
— Lâche-moi... lâche-moi ! hurlai-je en lui donnant un coup de coude dans les côtes.
Il me lâcha, et j’attrapai le couteau de mariage posé sur le buffet. Je n’imaginai pas qu’il me servirait si tôt.
— Si tu approches, menaçai-je en le dégainant, je te coupe les couilles !
Kiriyama leva les deux mains.
— Oh là... quelle tigresse !
Je brandis de nouveau la lame vers lui, pour le forcer à reculer.
— Je suis sérieuse, Kiriyama... Je veux que tu sortes de chez moi.
— Pourquoi tu le prends comme ça ? On aurait pu devenir amis...
Amis ? C’était lui qui avait tout gâché, d’entrée de jeu.
— Si tu dégages pas tout de suite, je vais chercher le flingue dans le coffre de la chambre. Va-t’en... tout de suite !
— Un flingue ? Ben dis donc... Ok, je m’en vais. Relax, fit-il en reculant vers la porte.
J’attrapai sa veste au passage et la lui lançai. Il renfila ses chaussures en moins de deux, puis ouvrit la porte, toujours sans me quitter des yeux. En fait, il se méfiait... mais il gardait ce sourire insolent et condescendant sur les lèvres.
— Tu sais, c’est pas moi qui ai monopolisé ton mari toute la nuit, dit-il en s’engouffrant dans l’ouverture. C’est le boss qui avait organisé une petite soirée à son attention, avec ses protégés de l’époque du Onitzuka-gumi. Faut pas m’en vouloir... Moi, j’ai fait que lui servir de chauffeur !
— Dégage ! hurlai-je une dernière fois.
Il gloussa, puis disparut dans le couloir. Je claquai la porte derrière lui, verrouillai toutes les serrures. Mon cœur battait à fond. Je pouvais encore entendre son rire dément.
Ce type avait un sérieux problème. Je le haïssais... mais surtout, je le craignais.
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