III
Le paradis des flambeurs se trouvait devant lui, composé d’innombrables machines à sous d’où tombaient et retombaient les jetons gagnants. Les leviers en cuir tanné l’ensorcelaient. Le tintement des pièces jouait une mélopée envoûtante. Tout autour de lui resplendissaient de nombreuses lanternes rouges.
Le néo-écrivain avait devant lui un décor de casino digne de Las Vegas. Les lampions projetaient de brillantes lumières qui laissaient des traces lancinantes sous les paupières des joueurs. Fermant les yeux, il se rappela ses road-trips dans le Nevada avec ses anciens amis et les trop nombreux arrêts à Las Vegas. Secouant la tête pour faire s’envoler ces souvenirs dont il n’était pas très fier, Peter rouvrit les yeux.
Une seule des machines était occupée par un homme portant un smoking bleu métallique. Ses boutons de manchettes représentaient des Phénix défraîchis sur le point de se consumer. Les oiseaux de feu semblaient vouloir s’extraire pour un dernier vol vers l’astre Solaire.
Il jurait, pianotant nerveusement sur sa hanche et sautillant d’excitation. La tension était palpable. Peter se dit qu’il devait certainement jouer ses dernières économies. Voyant qu’il avait enfin trouvé quelqu’un de « normal », il s’avança.
- Désolé de vous déranger, mais je cherche de l’aide. Ma voiture ne fonctionne plus et ce parc me donne la chair de poule.
L’homme se retourna, un brun ténébreux au regard profond. Il n’arrêtait pas de cligner des yeux. Engoncé dans son costume et perclus de nictation excessive, il suait abondamment. Ses mèches de cheveux gras collaient comiquement sur son front brillant.
- Attendez, je dois gagner, c’est ma dernière pièce, hoqueta-t-il.
L’inconnu mit difficilement sa pièce et tira sur le levier. Le premier rouleau dévoila un premier « 7 ». Un carillon émit plusieurs sons stridents et perçants. Le deuxième des rouleaux tourna harmonieusement jusqu’à faire apparaître un deuxième « 7 ». Un son de cloche se répercuta aux alentours. Enfin, le dernier rouleau, pianissimo, tourbillonnait puis s’arrêta lentement pour révéler le troisième « 7 ». C’était le jackpot !
Pourtant, aucune pièce ne tombait. Les lumignons clignotaient sporadiquement. Une mélodie triste et envoutante sortit de l’appareil. La chanson The Murderer d’Alesana retentissait dans le stand.
Are you ready to run ?
I’ve been waiting patiently for this…
Are you ready to run ?
I’ve been waiting patiently for this…
Are you ready to run ?
I’ve been waiting patiently for this…
Are you ready to die ?
Cause lately it seems i’m going insane !
L’obscurité tomba soudainement, la musique s’était arrêtée aussi vite qu’elle avait commencé. Un silence oppressant enrobait l’atmosphère déjà très morbide. Les machines s’éteignirent une à une puis disparurent dans une volute de fumée. Peter se retourna, terrorisé.
Une paroi opaque couleur héliotrope se matérialisa et remplaça l’entrée. Les cloisons semblaient se rapprocher pour les emmurer vivants. Peter n’était pas claustrophobe, mais l’idée de se faire enfermer ne le réjouissait guère.
Les deux infortunés se trouvaient maintenant dans une sorte de boîte qui rétrécissait à vue d’œil. Seuls de maigres filets de lumière sortaient de quelques fissures. L’écrivain regardait autour de lui. Nulle échappatoire possible. Il n’y avait aucune porte, aucune trappe. Ils étaient condamnés à rester séquestrés et à se faire écrabouiller.
Une brume remplissait petit à petit le stand. Transportée par les accords de la chanson Monster de Skillet.
It’s scratching on the wall, in the closer, in the halls
It comes awake and I can’t control it
Hiding under the bed, in my body, in my head
Why wont somebody come and save me from this, make it end ?
Les deux hommes se regardaient, nul mot ne franchissait leurs lèvres. La bouche sèche, et les mains tremblantes, la fuite était tout bonnement impossible. Adossés au mur, ils se présentaient non pas pour être fusillés mais pour être écrasés. Un discours muet naissait, une peur grandissante sourdait en eux.
Un cliquetis tonitruant résonna. Ce smog improvisé s’épaississait et glissait vers eux. De seconde en seconde, le brouillard prenait de l’ampleur.
L’auteur eut un mouvement de recul qui le sauva. La brumaille grandit d’un coup, recouvrit petit à petit l’homme en costume et s’immisça dans sa bouche et son nez. Ses pieds et ses jambes ne bougeaient plus. Il regardait Peter, l’implorant mais celui-ci était tétanisé. Alors que la brume happait totalement l’inconnu, il vit dans son regard que la peur l’avait entièrement consumé. Les traits tirés par la douleur et les yeux roulants dans leurs orbites, le malheureux souffrait mille maux.
L’homme hurla de tout son soûl. Peter détourna les yeux devant un tel supplice. Le vacarme assourdissant de gémissements et de sanglots lui donna la nausée. Scrutant la pièce qui rapetissait, il essaya de trouver quelque chose pour démolir le mur.
- Réfléchis, réfléchis, se dit-il. Qu’est-ce que tes héros feraient si tu leur écrivais une scène d’horreur comme celle-là ?
L’horreur croissante l’empêchait de cogiter. Des bruits de succions se firent entendre, comme si la brume se délectait du corps du malheureux. Les os craquèrent. Il se faisait tout simplement engloutir. Un cri qui hantera Peter jusqu’à la fin de sa vie sortit de sa bouche tordue. Puis… plus rien. La mort instantanée du malheureux lui glaça le sang.
Malgré lui, l’écrivain se retourna pour tout de suite le regretter. Une immense flaque pourpre inondait chaque centimètre du plancher. L’odeur métallique lui piqua le palais.
Paniqué, il recula jusqu’à atteindre l’ancienne porte d’entrée maintenant fermée d’un mur épais. L’ennemi volatile recracha un tas d’os dénué de peau, un squelette comme il était coutume de retrouver dans les classes de biologie. La brume tueuse glissa laidement jusqu’à Peter. Il sût que sa dernière heure était arrivée.
Il ferma les yeux et pleura sur sa vie qui allait se terminer aussi rapidement qu’elle avait commencée. De nombreux souvenirs pétillaient. Au lycée, sur le point de rentrer le panier à trois points, synonyme de victoire pour son équipe, ses ligaments croisés se rompirent. Il se rappela les bons plats de sa mère, lui faisant toujours ce qu’il voulait malgré le peu d’argent, sa première histoire terminée qui ne valait rien, son chien Ritch le léchant chaque matin pour le réveiller. Toutes ses réminiscences se chevauchaient, le flux de données mémorielles le fit vaciller.
Après des secondes qui semblaient être des heures, Peter se risqua à ouvrir les yeux. Stoppé à quelques millimètres de ses pieds, l’assassin brumeux ne bougeait plus.
Il martela le mur à s’en briser les phalanges, gratta à s’en décoller les ongles, dans l’espoir qu’on l’entende. La cloison était bien trop épaisse. L’artiste rampa maladroitement jusqu’à une petite alcôve et se retourna.
Ce qu’il aperçut le terrifia. Il voyait à travers la brume, plutôt il contemplait l’intérieur. Des milliers de corps déchirés et éviscérés marchaient malhabilement. Ces cadavres ambulants perdaient bout de peau sur bout de peau, leur os saillaient grossièrement. Du pus suintait de quelques pustules et furoncles. Leurs pieds déchirés raclaient le sol, laissant une traînée cinabre derrière eux. Leurs yeux bouffis étaient surplombés d’orgelets immondes.
Les visages dilacérés grimaçaient, leurs bouches nécrosées se tordaient en un rictus horrifique. Tous regardaient dans la même direction. Vers lui. Ils tendirent leurs bras filandreux et racornis, puis ouvrirent la bouche :
- Viens à nous Peter. Tu fais partie de nous, on fait partie de toi.
La hideur des abominations l’épouvantait. Leur façon de se mouvoir, traînant les pieds et trébuchant par moment terrifiait Peter. Des zombies parlants le voulaient. Leurs phrases litaniques obsédaient l’écrivain qui tenta plusieurs fois de fermer les yeux pour se soustraire à cette horreur.
L’écrivain s’arracha à cette vision morbide, le corps secoué de spasmes et la voix chevrotante. Sous ses paupières dansaient encore les corps démantibulés. L’air crépita brutalement, des flammèches bleutées voletaient et commencèrent à incendier le muret violet qui lui barrait la route.
Une porte en bois d’if se dessina devant lui. Le passage naissant se voyait encadrer de moulures safranées et poussiéreuses où l’on pouvait apercevoir des écritures indistinctes. Dans un effort surhumain et ne réfléchissant pas, il réussit à l’ouvrir.
La vue brouillée, Peter tituba, tomba à genoux et courut comme si les flammes même de l’Enfer le traquaient.
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