Chapitre 38

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Abasourdie par ce message inattendu, il lui fallut un moment avant d’en détourner le regard. Pour découvrir que Daphné, elle, n’avait pas perdu une once de son enthousiasme, la dévisageant avec intensité.

— Je sens qu’il va vous falloir du temps pour décrypter ce mystérieux message, déclara Anika d’une voix calme. Je vais aller me reposer… Vous me raconterez plus tard !

Elle se leva et s’arrêta au niveau d’Océane. Une main posée sur son épaule, elle plongea son regard gris dans l’azur de celui d’Océane.

— Quoi que tu décides, reste vigilante, mein Schatz, dit-elle avant de partir vers sa chambre.

Cette fois, Océane ne put repousser le sentiment que ce conseil était plus profond qu’il n’en avait l’air, mais quel qu’en soit le sens caché, il était bienveillant.

— Tu vas répondre quoi ? demanda Daphné, insensible au trouble de sa sœur.

La question se posait en effet. Qu’elle veuille l’admettre ou non, elle les avait attendues ces avances… À présent il fallait y apporter une réponse.

— Je ne sais pas… murmura-t-elle.

— Comment ça tu ne sais p…

Un bruit sourd interrompit soudainement leur conversation. Océane écarta aussitôt sa petite sœur de ses genoux et se précipita dans le couloir, suivie de Daphné.

Anika gisait par terre, étendue de tout son long. Le cœur battant à tout rompre, Océane se jeta à genoux aux côtés de sa grand-mère. Horrifiée à la vue de la tache sombre qui maculait lentement le sol.

— Qu’est-ce qu’elle a Oma ? questionna Diane en s’approchant.

— Daph’, occupe-toi d’elle, je m’occupe d’Oma.

Sa cadette s’exécuta aussitôt, ne cherchant pas à discuter, éloignant la benjamine avant qu’elle ne soit trop proche pour voir le sang.

— Oma, est-ce que ça va ?

La vieille femme semblait reprendre un peu connaissance, clignant des yeux.

— Je crois que je suis tombée…

Une vague de soulagement traversa la jeune femme en entendant la voix de sa grand-mère.

— Je crois aussi… Non, ne te redresse pas !

Anika tentait de s’appuyer sur ses bras pour se relever.

— Ne t’inquiète pas, ça va ! rassura Anika, les mains tremblantes. Plus de peur que de mal, je t’assure !

— Non ! Regarde, tu es blessée ! Et j’ai l’impression que tu as un peu perdu connaissance ! Il faut appeler les urgences !

Malgré son état de faiblesse, la vieille femme protesta, gardant les yeux baissés et se redressa, en dépit des efforts de sa petite-fille pour la maintenir allongée.

— Oma ! Ça suffit ! Tu es malade ! s’alarma Océane dont la peur faisait trembler la voix.

L’intéressée s’apprêtait à protester, mais la panique l’emporta sur Océane qui s’exprima avec plus de force.

— JE NE VEUX PAS TE PERDRE TOI AUSSI !

Les mots eurent l’effet d’une gifle sur l’aïeule qui se figea avant de lever les yeux et d’affronter le regard de sa petite-fille. Elle parut terrifiée.

Pensant s’être enfin fait entendre, Océane prit une profonde inspiration et expira lentement, son cœur continuait de battre la chamade.

— Ne bouge plus ! Je vais chercher mon téléphone et de quoi te nettoyer un peu.

La vieille femme, qui la dévisageait toujours avec terreur, se contenta de hocher la tête. En passant par la cuisine, Océane croisa le regard de sa cadette, elle aussi apeurée. Elle regretta d’avoir levé la voix et d’avoir osé exprimer cette peur taboue. S’arrêtant un instant, elle voulut serrer le bras de sa sœur et la rassurer, mais celle-ci sursauta, se mettant hors de sa portée.

— Je suis désolée de m’être énervée et d’avoir dit ça… Ne t’inquiète pas, ça va aller, d’accord ?

Ne la voyant pas réagir, elle prit la direction de la salle de bain tout en composant le 15. Rapidement, un opérateur lui répondit, posant diverses questions et prenant des informations, tandis qu’Océane s’emparait de cotons et d’un gant qu’elle humidifia dans le lavabo.

C’est là qu’elle les vit.

Ses yeux de dragon. Ceux-là mêmes que Maxime lui avait décrits au camping. Sa pupille prenait certes plus de place, mais son iris, lui, couvrait tout son œil d’un jaune flamboyant. Elle était pétrifiée par son propre regard. Je suis un monstre… réalisa-t-elle. Une larme lui échappa.

Allô ? Madame ! Il me faut votre adresse pour vous envoyer une ambulance ! Allô ?

La voix de l’opérateur parvint à la sortir de sa stupeur, lui rappelant l’urgence de la situation. Elle essuya ses yeux d’un geste machinal et se détourna du grand miroir, donnant les derniers éléments à son interlocuteur avant de retourner auprès de sa grand-mère. Celle-ci était restée assise, dos au mur, pendant que Daphné essayait les traces au sol.

Retenant ses larmes du mieux qu’elle pouvait, Océane s’agenouilla face à sa grand-mère et nettoya doucement le sang de son visage, révélant une vilaine entaille à son arcade droite.

— Pardon de t’avoir crié dessus… murmura-t-elle sans oser regarder sa grand-mère dans les yeux.

Silence.

Est-ce que je les ai choquées à ce point par mes mots ? Ou alors, ce sont mes yeux ? Ce doute, qui s’immisçait cruellement une fois de plus, même dans cette circonstance, fut de trop. La barrière qu’elle s’efforçait de maintenir céda, des spasmes saisirent sa poitrine alors qu’elle luttait contre ses sanglots.

Alors qu’elle nettoyait le genou sanglant de sa grand-mère, celle-ci posa une main sur la sienne.

— Calme-toi, Océane… Voyons, ce n’est rien qu’une chute ! Vous n’allez pas vous débarrasser de moi aussi facilement, tu sais !

La boutade arracha un rire nerveux à Océane qui essuya ses joues avec ses avant-bras.

— Je sais, mais tu en fais trop, Oma ! Le repas, le ménage, les courses… Il faut que tu arrêtes ! Et que tu mettes ton ego de côté en acceptant enfin de prendre une fichue canne !

L’intéressée soupira, mais n’osa pas la contredire sa donneuse de soin.

— Elle a raison, tu sais… renchérit timidement Daphné. Je sais que vous me cachez des trucs, mais je ne suis pas stupide ! J’ai bien remarqué que tu n’étais pas si en forme que ça depuis quelques mois… Je pensais pas que c’était à ce point. Je ferai plus de choses dans l’appart… Et j’essaierai de pas trop râler…

Elle avait parlé en gardant les yeux braqués sur leur grand-mère, évitant soigneusement de croiser le regard de son aînée. C’était du moins l’impression qu’eut Océane. Elle se mordit la joue, se détestant de ramener cette situation à elle et ses problèmes.

À force de respirations lentes et profondes, elle retrouva son calme, si bien que lorsqu’elle alla nettoyer le gant dans la salle de bain, son reflet lui renvoya un regard inquiet, mais normal. Aussi normal pouvait-il être depuis sa brûlure.

Les ambulanciers l’emmenèrent à l’hôpital pour faire des examens après avoir pris ses constantes. Océane s’habilla rapidement et les suivit, laissant sa cadette s’occuper de Diane. Tandis qu’elle tenait la main de sa grand-mère, en essayant de la distraire en parlant des orchidées qui avaient enfin décidé de refleurir dans le salon, elle ne put s’empêcher de remarquer que l’un des ambulanciers la dévisageait avec insistance. Quant à sa grand-mère, elle paraissait inquiète, ce que l’autre ambulancier remarqua également.

— Ne vous inquiétez pas, madame ! Deux trois sutures, quelques radios et vous pourrez certainement rentrer chez vous ! Dit-il calmement en remontant ses lunettes le long de son nez.

Océane approuva un hochement de tête avant de se figer. Ses lentilles de contact. Dans l’empressement, elle les avait oubliées ! Quant à l’ambulancier qui la dévisageait, bien sûr, c’était un drac… À force d’en voir dans la rue, au travail, dans les magasins, elle avait commencé à s’habituer, à ne plus se formaliser à chaque fois qu’elle en croisait un.

Un serpent froid glissa le long de sa colonne vertébrale, tandis qu’elle fouillait nerveusement dans son sac à main avant d’en sortir ses lunettes de soleil qu’elle s’empressa de mettre, se félicitant de toujours avoir une paire avec elle. Néanmoins, le mal était fait, il l’avait vue.

— Tu as mal aux yeux, Schatz ? demanda doucement Anika en caressant sa main.

Elle acquiesça, prétextant la forte luminosité.

Fort heureusement, le trajet fut rapide et une fois arrivées aux urgences, les ambulanciers transférèrent Anika sur un brancard avant de repartir. Le drac adressa néanmoins plusieurs regards curieux à Océane avant de suivre son collègue, visiblement à contrecœur.

Il m’a vue, il m’a vue, il m’a vue, il m’a vue, il m’a vue, il m’a vue, … Les mots tournaient en boucle dans la tête d’Océane au point de presque perdre sens. Quand une autre pensée, plus inquiétante, traversa son esprit. Il connaît mon adresse !

Lorsqu’enfin, un infirmier vint s’occuper d’elles, mettant un terme à ses sombres réflexions, un peu plus d’une heure s’était passée et le sang avait fini par cesser de couler de l’arcade d’Anika. Le soignant ausculta rapidement sa grand-mère tout en lui posant diverses questions, testant sa mémoire et ses capacités cognitives avant de se tourner vers elle.

— Vous êtes de la famille ?

— Oui.

— Parfait, je vous laisse remplir ce formulaire pendant que je l’emmène pour lui faire des soins.

La jeune femme essuya ses mains moites sur son jean avant de prendre les documents en hochant la tête, songeant que plus vite tout ça serait fait, plus vite elle pourrait rentrer chez elle avec sa grand-mère et mettre ces fichues lentilles de contact.

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