Chapitre 39

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Attendre aux urgences fut une torture. Océane aurait même juré que le temps s’y écoulait plus lentement, lui offrant l’occasion d’imaginer mille et un scénarios catastrophes. Cependant, cela lui laissa également le temps de ressasser tout ce qui s’était passé depuis plus d’une semaine et tout ce qu’elle avait appris.

Dévisageant discrètement chaque personne, chaque médecin passant devant elle, dénombrant les dracs parmi eux, elle se remémora toutes les conversations échangées avec les différents membres de la famille Jorique, mais aussi celles qu’elle avait entendues à leur insu. Elle se rendit compte qu’elle s’était montrée insouciante, naïve… imprudente même, notamment avec Alexandre. Elle songea qu’elle avait été stupide de le contacter, lui qui ne voyait « rien de mal à s’amuser un peu »… Et en même temps, les avertissements de Maxime commençaient à prendre sens, lorsqu’avant de la déposer chez elle, il lui avait dit qu’elle risquait d’avoir besoin d’alliés derrière elle.

Elle essaya de lire les différents prospectus qui occupaient la salle d’attente, de scroller sur son téléphone, mais rien de parvint réellement à la distraire. Frottant une énième fois ses mains moites sur son jean, elle recommença à se manger l’intérieur des lèvres tout en réfléchissant à comment reprendre le contrôle sur sa vie et que faire de ce qu’elle avait bêtement initié avec Alexandre. Devait-elle lui mettre un vent, comme l’aurait si bien formulé sa sœur ? Ou bien devait-elle s’assurer de le garder en ami au cas où ? Accepterait-il d’être seulement son ami ? Accepterait-elle d’être plus qu…

Son téléphone sonna affichant le nom Sonia.

Elle l’avait complètement oubliée ! Elle jura avant de se lever pour sortir prendre l’appel.

— Salut Sonia !

— Hello ! Bon, t’es où ? Ça fait un quart d’heure que je t’attends !

— Hum… à l’hôpital. C’est O…

— Quoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Tu vas bien ?

— Si tu me laisses parler, tu le sauras ! s’impatienta légèrement la jeune femme. Je vais bien, c’est Oma qui est tombée et s’est blessée…

Après avoir donné plus de détails sur la situation, Océane proposa de remettre leur sortie à une autre fois, mais son amie refusa, affirmant qu’elle arrivait les rejoindre. Manquant d’énergie pour s’y opposer, Océane accepta et écourta la conversation quand elle reconnut l’ambulancier drac revenir avec son collègue et un nouveau patient pour les urgences. Voyant qu’il la dévisageait de nouveau, elle se précipita dans la salle d’attente, ne voulant pas prendre le risque qu’il la rejoigne alors qu’elle était seule.

Son smartphone dans les mains, elle s’efforça d’avoir l’air concentrée dessus, mais commença à paniquer quand le drac s’avança dans sa direction pendant que son collègue sortait son paquet de cigarettes tout en se dirigeant vers la sortie.

— Vous êtes la petite fille de madame Wasserman ?

— Oui !

Sauvée… pensa-t-elle en allant à la rencontre du médecin qui l’avait appelée. Son enthousiasme se refroidit quand elle constata qu’il s’agissait encore d’un drac. Elle remonta ses lunettes sur son nez et le suivit dans la chambre d’examen où se trouvait sa grand-mère.

Le bilan s’avéra bien moins grave que ce à quoi elle s’attendait. Le médecin donna plusieurs préconisations, parmi lesquelles du repos, l’utilisation d’une canne pour les déplacements, mais aussi des médicaments pour ralentir et atténuer les symptômes d’Anika. Océane ne manqua pas d’adresser un regard lourd de sous-entendus à sa grand-mère en s’emparant de l’ordonnance.

— Oui, Schatz ! Oui, je les prendrai ! Ne me regarde pas comme ça, grommela l’intéressée.

Lorsqu’elles quittèrent enfin l’hôpital, Sonia les attendait à l’extérieur. Elle fit la moue quand elle vit les pansements sur le visage et le genou d’Anika, avant de la prendre doucement dans ses bras.

— Bonjour, Oma ! La vache ! Tu ne t’es pas loupée !

Consternée par le manque de tact de son amie, Océane soupira.

— Est-ce que tu veux bien rentrer avec elle, pendant que je vais acheter les médicaments et la canne ?

Ravie de pouvoir se rendre utile, elle accepta avec un grand sourire.

— Interdiction de me ramener un bout de fer pour les malades ! râla Anika. Si je dois me déplacer avec une canne, tu as intérêt à en trouver une jolie !

Même à plus de soixante-dix ans, sa grand-mère portait une grande importance à être toujours présentable, élégante. Elle s’habillait avec soin chaque matin avant de se coiffer et de se maquiller. Océane ne l’avait encore jamais vue sans maquillage et elle savait pertinemment que c’était cette coquetterie qui l’avait fait refuser la canne si longtemps.

Après avoir promis de lui trouver quelque chose joignant utilité et élégance, Océane s’éloigna en direction des grandes pharmacies du centre-ville. Lorsqu’elle rentra à l’appartement, elle fut soulagée d’être enfin rentrée et de pouvoir enlever ses lunettes de soleil. Elle retrouva sa famille et son amie dans le salon, à discuter autour d’une citronnade fraîche. Sonia lui en servit un verre pendant qu’elle finissait d’enlever ses chaussures.

— Tiens, Oma ! dit-elle en tendant l’objet de hantise de sa grand-mère.

— Merci, je suppose… répondit Anika avec résignation.

La vieille femme étudia un instant la canne que lui avait ramenée sa petite-fille : noire et ornée de fines dorures sur la anse.

— Je vais avoir l’air d’une vieille avec ça !

Daphné éclata de rire.

Assurée que sa grand-mère l’utiliserait, Océane proposa à son amie de la rejoindre dans sa chambre pour discuter au calme.

— Je peux venir aussi ? demanda aussitôt Diane qui adorait Sonia.

Avant, qu’elle n’ait le temps de répondre, Daphné s’interposa et proposant à la petite de regarder un dessin animé.

Les deux amies profitèrent de la distraction et s’éclipsèrent dans la chambre.

Après avoir discuté des mésaventures du jour et du cumule d’emplois d’Océane, cette dernière questionna son amie sur ses propres activités. Elle avait terriblement besoin d’une dose de normalité et d’une conversation plus légère, loin de ses soucis de dracs et d’argent… Contre toute attente, l’expression de son amie s’assombrit.

— Je t’avoue que je n’ai pas fait grand-chose, d’autant que l’ambiance était spéciale à la maison..

— Ah ? Comment ça ?

— Maxime est d’une humeur massacrante depuis qu’on est revenu du camping et je crois qu’il s’est pris la tête avec mon père ; il ne se parle plus et la tension est à couper au couteau quand ils sont dans la même pièce.

La culpabilité rongea Océane, même si elle n’avait aucune certitude, il était fort probable qu’elle soit à l’origine du conflit.

— Maman dit que ça va leur passer, mais c’est fatigant de marcher sur des œufs à chaque fois qu’ils sont dans la même pièce… Comme si cela ne suffisait pas, papa est encore plus sur mon dos ! Il me harcèle tous les jours pour savoir si j’ai révisé ! Autant te dire que je ne suis pas prête de lui dire que j’ai fait exprès de rater le bac !

— Et t’as essayé de lui parler de ce que tu veux faire après ? D’ailleurs, t’as une idée de ce que tu veux faire, tu t’es décidé ?

— Non ! Non non non ! Je ne suis pas suicidaire ! Ce n’est certainement pas le moment d’essayer d’avoir cette conversation avec lui ! Par contre, j’en ai parlé à ma mère…

C’était un grand pas, même si sa mère était très douce, elle pouvait se montrer particulièrement autoritaire et exigeante, faisant presque de l’ombre à son mari.

— Et alors, qu’est-ce qu’elle a dit ? s’enquit Océane.

— Elle n’était pas ravie… C’est sûr, mais elle m’a assuré qu’elle me soutiendrait si je me lançais réellement dans un projet.

Elles échangèrent longuement sur les goûts et compétences de Sonia, cherchant ce qui pourrait se transformer en carrière. Jusqu’au moment où la principale intéressée mit elle-même un terme aux divagations.

— Bon, bref ! C’est pas aujourd’hui qu’on fera quelque chose d’intéressant de moi… Toi, par contre… dit-elle d’un ton espiègle.

— Quoi, moi ? demanda naïvement Océane.

— J’ai eu un échange très intéressant avec Daphné…

— Oh non…

— Oh si ! Alors comme ça, on fricote avec mon cousin sans me le dire ? Tu sais que c’est vilain les cachotteries ?

Océane lâcha un long soupire, désemparée.

— On peut parler d’autres choses ?

— Non.

— Sérieux ?

— Ouais, sérieux ! Fais voir le message!

Résignée, elle s’exécuta avant de répondre à toutes les questions de son amie.

— Pff ! J’arrive pas à croire qu’il n’a même pas essayé de t’embrasser ! Ça me dépasse ! Je sais qu’il est timide avec les filles, mais quand même ! Après toute une semaine, plus tout un après-midi rien que tous les deux !

Incapable de trouver la moindre réplique, Océane se contenta de hausser vaguement les épaules.

— Du coup ! Tu vas répondre quoi ? demanda Sonia d’une voix surexcitée.

Un profond sentiment de solitude pesa soudain sur les épaules d’Océane, la privant de toute énergie. Pendant un court instant, alors qu’elle dévisageait son amie, elle songea à tout lui dire. Absolument tout. Faisant fi de la promesse faite à Rafael. Elle avait tellement besoin de quelqu’un à qui confier tous ses doutes et toutes ses peurs… Pourtant, au prix d’un effort considérable, elle résista. Arborant un demi-sourire, elle parvint à reprendre la parole.

— Je n’ai pas très envie d’être un amusement pour lui, si tu vois ce que je veux dire…

Le regard pétillant de Sonia s’assombrit et son sourire s’étiola. Oui, elle voyait très bien.

— J’avais presque oublié…

— Moi pas, mentit la jeune femme qui avait presque négligé ce souvenir.

La demi-heure suivante fut entièrement consacrée à la rédaction du message, sans parvenir à trouver une réponse satisfaisante pour la principale intéressée. Plus tard, ce soir-là, quand Daphné apprit les intentions de sa sœur, elle ne cacha pas sa déception, déplorant le friendzonage d’un candidat de cette qualité.

Lorsqu’enfin arriva l’heure de partir pour prendre son service, Océane était épuisée, tant physiquement que psychologiquement. Malgré tout, elle était presque contente de devoir travailler pour prendre un peu de distance avec toute l’agitation de la journée. Elle profita du trajet en bus pour enfin se décider à répondre à Alexandre, après mûre réflexion, elle décida de jouer la carte de l’honnêteté.

« Salut Alex, Désolée pour ma réponse tardive, j’ai dû gérer une urgence familiale (rien de trop grave, ne t’inquiète pas). Je suis flattée, vraiment… mais si possible, je préfère que les choses restent comme elles sont. Je ne veux pas être un simple "amusement", et avec tous les changements récents dans ma vie, j’ai encore du mal à trouver un équilibre. Pour l’instant, je préfère me concentrer sur ma famille. Désolée… »

Elle le lut et le relut plusieurs fois, le détestant un peu plus à chaque lecture ; trop long, trop plaintif, trop sérieux… Elle hésita, faisait-elle le bon choix ? Et si l’ambulancier revenait jusque chez elle, qui s’interposerait ? Qui l’aiderait ? Un douloureux soupir quitta sa poitrine.

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Je refuse de me forcer dans une relation que je ne veux pas ! Tant pis, je me débrouillerai ! pensa-t-elle avec ferveur avant d’éteindre son téléphone, craignant de recevoir un nouveau message auquel il serait encore plus dur de répondre.

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