Chapitre 40

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La nuit s’avéra assez calme avec peu de clients. Loin de les laisser en profiter pour se reposer, Samira - la manager - les fit gratter et nettoyer les moindres recoins. Alors que l’heure de débaucher se rapprochait enfin, celle-ci vint les trouver dans les cuisines.

— Jeremy vient d’appeler, il ne viendra pas. L’un de vous peut-il rester jusqu’à huit heures ?

Thomy la dévisagea vaguement, avant de lui présenter son majeur et de retourner à ce qu’il faisait.

— Idem ! gloussa Déborah en se dirigeant vers la vitrine du drive pour servir un client.

Impassible, Samira se tourna ensuite vers Océane qui pesa rapidement sa fatigue et son besoin d’argent. Elle finit par accepter.

— Parfait. Laisse tomber le nettoyage et occupe-toi de la préparation des viennoiseries, énonça froidement la manager.

Le service d’Océane s’étira ainsi jusqu’à huit heures. L’un des rares avantages de ces heures supplémentaires fut de pouvoir prendre le bus pour rentrer, raccourcissant le temps de trajet, mais il lui fallut toute la volonté du monde pour ne pas s’endormir sur son siège. Lorsqu’elle rentra, Anika était déjà réveillée, celle-ci s’alarma de la voir rentrer si tard. Océane la rassura avant de se doucher et de se jeter dans les bras avides de Morphée.

Le ciel bas et menaçant sous lequel la jeune femme était rentrée finit par éclater en milieu d’après-midi, la tirant de son sommeil. Pendant un instant, l’envie de rendormir prédomina, mais un regard au réveil l’en dissuada. Péniblement, Océane se redressa dans son lit, avant de jeter un regard méfiant à son téléphone. Resté éteint depuis la veille, elle redoutait de l’allumer et de découvrir la réponse qu’Alexandre lui avait certainement envoyée.

Le tonnerre, tout proche, fit vibrer la vitre de sa fenêtre.

Avec un temps pareil, Daphné doit être à la maison et elle ne va pas me lâcher tant qu’elle n’aura pas les dernières nouvelles du jour… grommela-t-elle.

Sans grand enthousiasme, elle s’empara de son smartphone et l’alluma ; la notification de message ne se fit pas attendre, elle l’ouvrit avec appréhension.

« Ah… Je crois savoir à quoi tu fais allusion… Effectivement, je ne suis pas prêt à me marier ! Plus sérieusement, je comprends que tu aies besoin de temps pour toi. Mais sache je suis aussi quelqu’un de patient et tu me plais vraiment... S’il te faut du temps pour apprendre à me faire confiance et tomber sous mon charme, pas de souci ! En attendant, j’accepte d’arborer la casquette d’ami et de fournisseur officiel d’infos sur nos amis les hommes-lézards ;) J’espère que ton urgence familiale s’est bien résolue, prends soin de toi, j’attends de tes nouvelles très vite ! »

Si le ton était léger et étonnamment compréhensif en apparence, le message subliminal était clair : il n’acceptait pas son refus. Son cœur se mit à battre légèrement plus fort, à présent elle devait se montrer plus réfléchie dans ses actions. D’un côté, elle n’avait plus tellement besoin de lui, elle avait obtenu quasiment toutes les informations qu’elle voulait ; mais d’un autre, son manque de vigilance lui avait valu d’être vue par au moins un drac la veille, un drac qui connaissait son adresse qui plus est… Et en même temps, elle ne souhaitait pas entretenir de faux espoirs chez Alexandre.

Pour la énième fois, et certainement pas la dernière, Océane maudit le jour où elle s’était brûlée.

Après une longue réflexion troublée par les gargouillements de son ventre, elle décida de ne pas s’attarder davantage sur la question. Le message n’appelait pas de réponse immédiate et pour l’instant, aucune menace ne pesait réellement sur sa sécurité. Elle prit néanmoins une résolution importante, celle de mettre ses lentilles dès le réveil, qu’elle travaillât ou non.

La fin de la journée se déroula calmement. Une fois l’orage éloigné, elles ouvrirent toutes les fenêtres pour faire rentrer la fraîcheur et savourer l’odeur de la pluie. Daphné ne manqua pas de l’embêter pour connaître les derniers détails sur l’évolution de sa relation avec Alexandre, blâmant ensuite son manque de goût et sa couardise. Quant au week-end qui suivit, Océane le passa à travailler à l’hôpital, évitant soigneusement les médecins.

Enfin, arriva son premier jour de repos. Une agence intérim la contacta en fin de matinée alors qu’elle s’occupait du linge avec Diane et elle faillit accepter une mission pour l’après-midi, le regard boudeur de la petite lui rappela qu’elle avait certes besoin d’argent, mais qu’elle devait aussi leur consacrer du temps. Enfin, cette journée de tranquillité, elle l’avait méritée : elle déclina la proposition.

Rester sans travailler, sans incident, sans source de stresse plus de vingt-quatre heures lui parut presque étrange après ces dernières semaines plutôt mouvementées. Elle eut d’abord du mal à se relaxer, guettant le moment où cette douce accalmie allait être brisée. Il lui fallut attendre le soir, installée dans le canapé avec Diane et Anika pour enfin sentir se détendre les muscles de sa nuque, de ses épaules et de son dos. Cela lui fit le plus grand bien, même si elle ne parvenait pas à complètement lâcher prise.

Depuis qu’elle s’était emportée avec la chute de sa grand-mère, cette dernière et ses sœurs lui paraissaient de nouveau plus distantes. Diane n’était pas revenue lui faire de câlin ; Daphné se montrait moins envahissante sur sa vie privée et semblait tout faire pour éviter de passer trop de temps à ses côtés. Quant à sa grand-mère, c’était plus difficile à dire : elle se montrait bougon depuis qu’elle était tombée, son ego aussi en avait pris un coup. À force d’analyser chaque propos, de décortiquer chaque action, Océane éprouvait de plus en plus de difficultés à défaire ce qui était normal de ce qui ne l’était pas. Tandis que le film laissait place à des publicités, des mots prononcés par Maxime au camping lui revinrent.

« La seule personne qui a changé ici, c’est toi. »

Cette affirmation la frappa soudain. Elle passait tant de temps à étudier tous les faits et gestes de sa famille, mais qu’en était-il de son propre comportement ? À se montrer distante et méfiante, elle ne pouvait pas attendre chaleur et confiance en retour. Ces réflexions lui donnèrent le vertige tandis qu’un frisson la traversait. À l’autre bout du canapé, Diane s’était allongée, la tête posée sur les genoux d’Anika qui caressait affectueusement ses cheveux. Cette vision lui serra le cœur avec un air de déjà-vue. Était-ce elle qui, une fois de plus, s’était éloignée ? Elle se mordit l’intérieur des lèvres.

Est-ce que je deviens vraiment paranoïaque ? s’alarma-t-elle intérieurement.

Elle ragea contre son propre cerveau acharné à ne pas la laisser tranquille une seule journée.

Lasse et incapable de faire taire les soupçons, les théories et les différentes peurs qui s’agitaient sous son crâne, elle décida d’aller se coucher. Tandis que le sommeil la gagnait, elle prit une autre résolution : sirènes ou humaines, désormais elle s’en moquerait. Il s’agissait de sa famille et tant que celle-ci l’accepterait telle qu’elle était, elle ferait tout pour elle.

Les jours qui suivirent furent tout aussi paisibles et apportèrent même quelques bonnes nouvelles, permettant à Océane de prendre du recul sur les changements dans son foyer. En milieu de semaine, elle reçut l’ordonnance du juge des tutelles, faisant d’elle la tutrice officielle de ses sœurs. Ce jugement, qui n’allait pas avoir d’impact significatif sur leur quotidien, n’en marquait pas moins une étape dans la vie et les responsabilités de la jeune femme. Ayant reçu ses premiers salaires, elle invita sa famille au restaurant pour célébrer cet événement. Elle profita également de cette entrée d’argent pour acheter un climatiseur mobile afin de rendre l’été plus doux à sa grand-mère. Ce geste eut raison de l’humeur grognon de la vieille femme, celle-ci continua de pester chaque fois qu’une de ses petites-filles lui rappelait de prendre sa canne, mais son humeur s’allégea.

En revanche, le quotidien de Sonia, lui, s’était quelque peu détérioré. Quand, excédée par les insistances de son père, elle lui avoua avoir délibérément raté son bac pour ne pas aller à la fac. Elle envoya un dernier message à Océane pour la prévenir qu’elle était privée de sortie jusqu’à la fin de l’été, mais aussi de téléphone et d’internet jusqu’à ce que ses parents en décident autrement. Malgré son ouverture d’esprit, Sofines avait vraisemblablement elle aussi très mal réagi en apprenant cette révélation. Océane se doutait que son amie finirait par craquer et dire la vérité, mais elle ne pensait pas qu’elle céderait si vite. En soi, cette nouvelle n’était pas très grave, mais elle allait priver Océane des rares moments où elle pouvait discuter avec légèreté, sans arrière-pensées, sans doute et sans remise en question.

Lentement, mais sûrement, une routine réconfortante s’installa dans le foyer ; rythmée par le travail de jours à l’hôpital et celui de nuit au fast-food. Jusqu’au dimanche soir où, sur le chemin pour prendre son poste de nuit, elle reçut un nouveau message d’Alexandre.

« Salut, comment tu vas ? Ils rediffusent les grands classiques de Hitchcock au cinéma Le Candide, mardi soir ce sera “Les oiseaux”. Prête à remettre en jeu ta passion pour ces créatures ? »

Son énergie la quitta et ses épaules s’affaissèrent : maintenant, il fallait lui répondre.

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