Chapitre 45
Satisfait de la voir tenir parole, Joaquin lui offrit son sourire le plus réconfortant tout en l’accompagnant jusque dans une petite salle du service de neurologie.
— Ça va bien se passer, Océane ! Détends-toi ! Le Dr Vivo est un bon médecin, je le connais bien !
Ils arrivèrent rapidement dans une petite pièce au bout d’un couloir. Au centre, se trouvait une table d’auscultation inclinable, d’un côté de celle-ci se trouvait un immense placard, de l’autre un bureau avec plusieurs écrans devant lesquels était assis le médecin. Enfin, rangé dans un coin, elle remarqua la présence d’un chariot pour échographie.
— Encore merci, Thierry de te rendre dispo ! annonça Joaquin en fermant derrière lui.
Un désagréable frisson d’appréhension traversa Océane au son de la porte se refermant, mais ce ne fut rien comparé à l’effroi qui la saisit lorsque le médecin détourna enfin son regard de ses écrans pour répondre à son confrère.
— Avec plaisir, Joe.
Légèrement moins grand que Joaquin, il arborait des cheveux poivre et sel clairsemés, trahissant un début de calvitie. Son ventre arrondi et ses épaules voûtées auraient pu le rendre moins intimidant que son collègue — si ce n’était pour ses yeux. Des iris noirs, fendus par une pupille rectiligne auréolée d’orange, lui donnaient un regard cruel. Il dévisagea Océane avec une curiosité bien trop insistante à son goût. Au point qu’elle se demanda s’il n’avait pas été mis dans la confidence de sa véritable nature.
— Allongez-vous sur la table, lui demanda-t-il d’un ton trop mielleux pour être honnête.
Les mains moites et tremblantes, elle s’installa.
Ce sera vite fini… Pense à Diane et son puzzle qui t’attendent à la maison ! s’encouragea-t-elle, regrettant amèrement de s’être laissée convaincre de venir ici.
Comme annoncé plus tôt, un filet de capteurs reliés à l’ordinateur fut installé sur sa tête. Le neurologue fit quelques modifications sur la position de certains récepteurs, avant de s’installer derrière son bureau. Les premiers résultats furent rapides à sortir.
— Les ondes bêta sont légèrement élevées, mais je pense que c’est lié au stress… commenta le Dr Vivo.
La remarque fit sourire Joaquin.
— T’es stressée mistinguette ? Pourtant, tu vois bien que ça ne fait pas mal ! lui dit-il en adressant un sourire. Respire, ce ne sera pas long…
Le voyant reporter son attention sur l’écran, Océane se redressa légèrement pour, elle aussi, y jeter un œil. Une dizaine de lignes se superposaient sur un écran blanc, chacune formant des zigzags plus ou moins hauts et réguliers ; rien qu’elle ne soit capable de comprendre. Dépitée, elle se rallongea.
Pendant un peu plus d’un quart d’heure, ils effectuèrent des tests avec de la lumière, lui demandant de fermer les yeux ou de regarder des images. Constatant que rien de plus désagréable ne se produisait, elle commença à se détendre un peu.
— Rien d’anormal, finit par commenter le neurologue.
— Rien ?
— Rien. Ondes alpha et bêta normales et elle est trop éveillée pour observer des ondes thêta…
— Pas d’oméga ? insista Joaquin, visiblement étonné.
— Pas d’oméga, confirma son collègue.
Les deux hommes se dévisagèrent un instant, semblant échanger une conversation silencieuse. D’abord décontenancée, l’expression de Joaquin s’éclaira quand il vit sourire son confrère.
Résignée à ne pas connaître le sens de tout ce jargon, Océane se redressa.
— Vous avez vos lignes bizarres, maintenant est-ce que je peux rentrer chez moi ? demanda-t-elle calmement.
Joaquin se détourna de son collègue et fit le tour de la table.
— Une minute, on a presque fini, lui intima-t-il doucement en la contraignant à se rallonger.
Elle serra les dents, mais obtempéra, tandis qu’il fouillait dans l’armoire. Avant même qu’elle ait le temps de poser la moindre question, il en ressortit une épaisse boule de coton imbibée qu’il plaqua brutalement contre son nez. Une odeur sucrée, florale, envahit ses narines.
Elle se débattit aussitôt, griffant les bras de son bourreau, se cabrant, cherchant désespérément à se libérer. Son corps bascula presque hors de la table, mais les deux hommes la maintenaient fermement.
L’air lui manqua, sa vision se troubla. Elle reconnut le parfum délicat du jasmin, mais une autre senteur, plus insidieuse, dominait. Une fragrance inconnue jusque-là, et pourtant… Alors que son esprit terrifié sombrait dans l’inconscience, elle n’avait aucun doute : du chèvrefeuille.
Son ouïe fut la première chose à revenir. Ce qu’elle entendit ne la rassura pas.
— Je te laisse t’occuper de mettre ça en ligne, tu as un meilleur réseau que moi.
— Pas de souci, répondit le neurologue. Offres directes ou enchères ?
— Un produit de cette rareté, pour ne pas dire unique ? En enchères, bien sûr !
Une douleur lancinante dans son aine gauche l’informa que son corps aussi se réveillait. Son rythme cardiaque s’accéléra, ainsi que sa respiration. Il fallait qu’elle quitte cet endroit et vite.
— Ah ! commenta le neurologue. Le stimulant a fait effet, la gamine se réveille.
Alors qu’elle parvenait à peine à ouvrir les yeux, ce fut le visage réjoui de Joaquin qui se présenta en premier à son regard.
— Salut la miss ! Comment ça va ?
— Qu’est-ce que vous m’avez fait ? demanda-t-elle d’une voix chétive en se redressant.
— Doucement, ne te redresse pas trop vite, tu risquerais de tomber ! s’enquit son bourreau en redressant le dossier de la table d’auscultation tout en lui tenant le bras.
Écœurée par son contact, elle s’éloigna de lui.
— Qu’est-ce que vous m’avez fait ? répéta-t-elle avec plus de force.
Sans se départir de son air jovial, Joaquin soupira en la regardant
— Rien de mal, juste un petit prélèvement d’ovocytes.
Elle le dévisagea, horrifiée.
— Ne t’inquiète pas, on n’a pas porté atteinte à ton intimité, on est passé par voie transabdominale et il t’en reste bien assez pour assurer une descendance à mon neveu !
Il semblait convaincu de la portée rassurante de ces affirmations. Elle les fixa à tour de rôle et remarqua une sacoche de transport isotherme au pied de la table. Joaquin s’en empara, glissant la bandoulière sur son épaule.
— Pourquoi ? Vous… Vous n’avez pas le droit ! gémit-elle désemparée.
La mâchoire de l’urgentiste se contracta.
— Bon sang, Océane ! Cesse de ne penser qu’à toi ! Tu n’as pas idée du miracle, de l’aubaine que tu représentes pour notre race ! Et tu veux garder tout ça pour toi ? Sans parler de la protection que nous assurons pour toi ! Tu sais combien ça m’a coûté d’acheter le silence de cet abruti d’ambulancier ? Et encore ! Heureusement, je suis le premier à qui il en ait parlé ! Je vais t’apprendre une chose mistinguette : dans la vie, rien n’est gratuit !
Il tapota la sacoche pour appuyer son propos. La gorge d’Océane se serra, elle avait de plus en plus de mal à respirer.
— Maintenant, montre-toi un peu plus reconnaissante de l’intérêt que ma famille daigne accorder à une personne de ton rang ! Prends tes affaires, mets bien tes lentilles chaque jour et fais profil bas ou la prochaine fois, c’est toi qui finiras aux enchères.
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