Chapitre 48

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Alors qu’elle s’attendait à entendre un nouveau message enregistré, une voix lui répondit après seulement deux tonalités.

Allô ?

— Maxime ? C’est Océane… Je… Est-ce que ton père est avec toi ?

— Pas vraiment, non. Pourquoi ?

Elle hésita. Elle ne lui faisait pas confiance, mais à cet instant, elle n’avait que lui. Elle prit une profonde inspiration avant de lui répondre.

— Ma famille a disparu. Quelqu’un les a emmenées…

Luttant contre ses émotions, Océane termina sa phrase dans un murmure.

— T’es chez toi ?

— Oui.

Ne bouge pas, j’arrive.

Il raccrocha sans lui laisser le temps de répondre.

Quelqu’un arrivait.

Maxime arrivait.

Elle ne savait pas si c’était une bonne ou une mauvaise chose, mais cela suffit à la soulager un peu. Elle ne serait bientôt plus seule. Elle fut incapable de faire quoi que ce soit en l’attendant, le regard perdu dans les fleurs d’Anika.

Il entra sans frapper et se précipita vers elle pour la scruter, pour s’assurer qu’elle n’avait rien, avant de faire le tour de l’appartement. Il s’attarda légèrement dans la cuisine avant de revenir vers elle, un verre d’eau dans la main.

— T’es pâle, il faut que tu boives un peu. J’ai mis un peu de sucre dans l’eau.

Elle le dévisagea avec méfiance.

— Sérieux ? Encore ?

— Tu ne sais vraiment rien ? questionna-t-elle d’une voix tremblante.

Le regard de Maxime se troubla. Il but une gorgée avant de tendre à nouveau le verre. Cette fois, Océane l’accepta.

— Non, je ne sais pas, raconte-moi tout, dit-il en s’asseyant à côté d’elle.

Elle lui révéla les événements de la veille avec son oncle. Elle voulut déboutonner son jean pour prouver ses dires, mais il l’arrêta d’un geste de la main.

— Pas la peine, je te crois…

Le halo rouge couvrait intégralement ses iris. Les traits de son visage étaient crispés, sa respiration forte. Il se leva et se mit à faire les cent pas dans la pièce.

— Maxime ? Est-ce que tu as une idée d…

Il frappa brutalement le mur du couloir, formant un trou. Lorsqu’il retira son poing, des morceaux de plâtres en tombèrent. Des traces rougeâtres sur ses mains trahirent les meurtrissures qu’il s’était infligées. Il revint vers le canapé d’un pas rapide, ce qui effraya Océane, mais trop affaiblie, elle n’eut pas le temps de reculer.

— Pitié, ne me fais pas de mal…

Il la prit dans ses bras, caressant doucement son dos.

— Je suis tellement désolé de tout ce qui t’arrive… J’aurais pas dû m’effacer comme ça…

Il finit par se rasseoir à côté d’elle. Le vert, bien que timide, était de nouveau perceptible dans ses yeux.

— Pardon si je t’ai fait peur, il fallait que j’évacue ma rage… J’ai toujours eu du mal à le faire sans violence…

Voyant qu’elle avait fini son verre, il s’en empara pour le remplir à nouveau. Lorsqu’il revint, il lui tendit, le regard grave.

— Bois.

Cette fois, elle ne chercha pas à remettre en doute son geste, acceptant le verre d’eau.

— Il faut que je te pose une question importante, Océane. Quand tu as fait l’EEG avec mon oncle et l’autre tocard de Thierry, est-ce qu’ils ont mentionné des ondes oméga ?

Un frisson traversa l’échine d’Océane tandis qu’elle reposait son verre. Elle acquiesça, puis lui rapporta les propos du neurologue. N’ayant rien à perdre et tout à espérer, elle mentionna également le long regard qu’ils avaient échangé. Maxime ferma les yeux et se frotta vigoureusement le visage avant de passer ses mains dans ses cheveux en soupirant.

— Quoi ? Qu’est-ce que ça veut dire à la fin ? s’impatienta Océane.

— Ça veut dire que mes soupçons étaient fondés… lâcha Maxime à mi-voix. Je n’ai rien dit à personne au cas où, pour te protéger… Mais ce jour-là, au camping, quand tes yeux ont viré jaune… Je me suis douté que c’était pas normal. Les ondes oméga témoignent de la présence du dragon au fond de nous : elles ont une fréquence inférieure aux ondes bêta, mais ont la même amplitude. Le fait que tu n’aies pas ces ondes signifie soit que tu es malformée, ce qui n’est pas ton cas…

— Soit ?

— Soit que tu es libre. Réponds-moi honnêtement : est-ce que tu sens une douleur, une oppression constante dans la poitrine ? Est-ce que tu as l’impression d’entendre comme des mugissements de douleur ou de colère parfois à l’intérieur de toi ?

Pouvait-elle encore mentir ? Incapable de parler, elle secoua légèrement la tête.

— C’est ce qui me semblait… La raison de cette différence est soit que tu es spéciale, ce qui est peu probable, mais pas impossible, ton cas étant unique... Soit que tu as été libérée par une sirène, or il n’y a pas beaucoup de femmes dans ton entourage…

Océane comprit avec horreur la véritable raison de la disparition de sa famille.

— Tu ne crois quand même pas qu’ils ont enlevé mes sœurs et Oma parce qu’ils pensent que ce sont des sirènes ? Alex disait que leur existence n’était pas une certitude !

— Alex t’a menti. Les sirènes existent et sont réellement capables de nous apaiser. Simplement, certains d’entre nous sont plus déterminés que d’autres à les trouver pour être libérés… ou avoir une portée.

Un frisson ignoble traversa la jeune femme. Son cœur, qui avait presque retrouvé un rythme normal, s’affola de nouveau. Elle se releva les poings crispés.

— Est-ce que tu sais où ils les ont amenées ?

— Je pense savoir, oui…

— Emmène-moi !

Il la dévisagea avec tristesse.

— Pas dans cet état, Océane. Crois-le ou non : je suis prêt à beaucoup de choses pour toi, mais pas à te livrer en pâture à eux.

Le froid l’envahi une nouvelle fois. Le visage innocent de Diane, de Daphné, puis de sa grand-mère se succédant dans son esprit. Ses yeux se mirent à brûler. Peu lui importait ce qu’ils feraient d’elle, s’ils libéraient sa famille.

— Emmène-moi ! répéta-t-elle d’un ton suppliant.

Maxime se releva pour lui faire face.

— Si tu veux vraiment les retrouver, il va falloir que tu puises dans ton dragon.

— Quoi ?

— Il faut que tu mettes ta tristesse de côté. Ta douleur doit alimenter ta colère, ta rage, pas ton désespoir. Au camping, je faisais le fier, mais tu aurais pu mettre une sacrée raclée avec la force que t’avais.

Elle plongea son regard dans le sien, cherchant la ruse ou la tromperie, mais elle ne trouva que de l’inquiétude.

— Ferme les yeux, lui indiqua Maxime. Pense à Joe et ce qu’il a osé te faire…

La terreur lui glaça les entrailles.

— … maintenant, imagine qu’il inflige ça à Daphné ou même à Diane.

Le déclic se fit aussitôt. Quelques minutes auparavant, cette pensée aurait provoqué un nouveau malaise, la laissant pantelante, impuissante. Mais le souvenir de sa force au milieu des bois, de cette puissance au fond d’elle, Maxime avait su la réveiller.

Le froid disparut, remplacé par une vague de chaleur dévastatrice.

Au lieu d’être apeurée, elle ressentit une profonde révolte émerger en elle, une colère sourde. Elle repensa aux photos de tortures évoquées par Alexandre. Elle n’empêcherait rien avec des larmes, elle allait devoir recourir aux flammes.

Elle rouvrit soudainement les yeux, Maxime écarquilla les siens en croisant son regard.

— Ok, maintenant il faut que tu gardes le contrôle de tes actes ou tu risques de blesser les mauvaises personnes, expliqua-t-il.

L’inquiétude, perceptible dans sa voix, aurait presque pu faire sourire Océane si l’heure n’était pas si grave. Elle respira doucement, profondément. Elle repensa à l’étreinte de sa grand-mère la veille et sentit le feu à l’intérieur d’elle s’apaiser.

Maxime eut l’air impressionné.

— Super, tu as décidément un bien meilleur self-contrôle que moi ! commenta-t-il avec un sourire encourageant. Voilà ce que je te propose : entraîne-toi devant la glace dans la salle de bain pendant cinq à dix minutes…

— Mais je…

— Cinq à dix minutes, Océane ! Toi comme moi, on ne sait pas dans quoi on va mettre les pieds ! Il faut que tu maîtrises ton dragon ! Pendant ce temps, je vais préparer des trucs à manger pour la route, d’accord ?

Elle le toisa, la mâchoire contractée, avant de baisser les yeux. Pour l’instant, il était son seul allié, et il semblait sincèrement vouloir l’aider. Elle inspira profondément avant de se diriger dans la salle de bain.

Le teint blafard, les yeux rougis et les traits tirés, son miroir lui renvoyait une bien piètre image d’elle-même. Elle ignora son reflet, ôta ses lentilles et s’exerça à réveiller sa colère.

Au début, elle devait se concentrer, convoquer des images précises pour faire apparaître ou disparaître ses yeux draconiques. Mais, à chaque tentative, elle apprenait à mieux maîtriser cette force, à en saisir l’origine. Sans surprise, elle la sentit vibrer au creux de son cœur. Ce qui, chez les autres, n’était qu’un siège de souffrance, était pour elle une source de puissance.

Alors qu’elle observait le halo doré de ses iris s’étendre jusqu’à englober tout son regard et qu’une nouvelle vague de chaleur et de puissance contrôlée la traversait, elle s’interrogea : serait-ce suffisant ? Une fois face à son père et son oncle, Maxime resterait-il de son côté ? Elle se repassa en accéléré tout ce qu’elle avait vu, vécu, entendu depuis sa brûlure. Elle mit son pied droit sur le rebord de la baignoire avant de se pencher sur son mollet. La cicatrice, s’étendant sur une quinzaine de centimètres de long et une dizaine en largeur, avait bien blanchi, sa surface s’était lissée, mais un creux persistait.

Et si… ?

La peur tenta de se frayer un chemin dans ses veines, mais elle la chassa. Elle n’avait plus le temps d’avoir peur. Quant à cette idée : elle était dangereuse, complètement folle, voire mortelle, si elle se trompait. Pourtant, elle se mit à fouiller les placards à la hâte. Elle ne devait négliger aucune solution.

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