Chapitre 50

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Malgré leurs diverses conversations – sans doute destinées à la distraire, soupçonna Océane –, le trajet lui parut interminable. Elle s’abstint pourtant de se plaindre, relevant à plusieurs reprises les excès de vitesse parfois significatifs de Maxime. Ce dernier ne manqua pas de surprendre l’un de ses regards en direction du compteur.

— Ne t’occupe pas de ça, c’est pas important… Et puis, au pire, j’enverrais la note à mon père !

Il se risqua à lui adresser un sourire complice auquel elle répondit de bonne grâce, avant de recommencer à se ronger les sangs pour sa famille.

Ils ne firent qu’une courte pause pour remettre de l’essence et manger ce que Maxime avait préparé, à savoir les restes du midi dans des boîtes micro-ondables. Océane eut un pincement au cœur en mangeant sa portion.

Alors que la voiture empruntait une petite route départementale, le paysage devint familier pour la jeune femme qui sentit l’appréhension monter. La panique revint également la tourmenter. Et si elle n’arrivait pas à faire appel à son dragon ? Et si Maxime la trahissait ? Et si elle arrivait trop tard ? Cette dernière question la terrifiait, mettant à mal son estomac, tant et si bien qu’elle finit par demander à Maxime de s’arrêter une minute sur le bas-côté de la route. Les mains tremblantes, elle s’extirpa du véhicule avec difficulté.

Le jour déclinait, laissant place à la fraîcheur de la soirée. Savourant le souffle frais de la campagne sur sa peau, elle marcha tout en s’efforçant de remettre de l’ordre dans ses pensées. Elle ne pouvait pas craquer, pas maintenant alors qu’on avait besoin d’elle. Au loin, le chuintement d’une chouette effraie résonna, la faisant désagréablement frissonner. Luttant contre le mauvais pressentiment qui rampait le long de sa nuque, elle ferma les yeux et chercha le feu en elle. Elle le trouva rapidement, s’y accrochant de toutes ses forces, elle le laissa prendre le dessus sur sa terreur. Une fois calmée, elle remonta dans la voiture où Maxime avait eu la courtoisie de l’attendre, respectant son besoin de souffler.

— Ça va aller ?

— Oui. On y va.

— Ok.

Aucune autre discussion ne vint alléger le silence régnant dans l’habitacle, pas même lorsqu’ils s’engagèrent sur le chemin de terre.

Enfin, ils arrivèrent au pied d’un immense manoir devant lequel plusieurs véhicules étaient stationnés. Elle reconnut immédiatement la voiture de ses parents.

— Elles sont vraiment là… murmura-t-elle.

Maxime suivit son regard et identifia lui aussi le véhicule. Avant qu’il n’ait le temps de dire quoi que ce soit, Océane sortit en trombe avec son sac à main. Coupant rapidement le moteur, il se précipita à sa suite.

— Océane ! Attends !!

Il se plaça devant elle, l’arrêtant à quelques mètres de l’immense porte d’entrée.

— Avant de rentrer là-dedans, deux choses ! La première, rappelle-toi de puiser dans ton dragon. Quoi qu’il arrive, ne laisse pas le désespoir t’envahir ! Là, tout de suite, j’ai beau aimer tes yeux bleus, ce n’est pas cette couleur que je veux voir !

D’un geste nerveux, elle essuya ses yeux embués. Il avait raison. Bien sûr qu’il avait raison ! Mais la vision de la vieille Renault avait terrassé toute combativité en elle, ne laissant que la terreur.

— La rage, la colère, la vengeance, la rancœur ! Tout ce que tu veux, même contre moi ! Mais ne laisse pas la peur prendre le dessus !

Elle prit une profonde inspiration, avant d’expirer lentement. Suivant ses conseils, elle chercha dans ses souvenirs, une raison de le haïr. Elle réalisa alors qu’elle n’arrivait plus à lui en vouloir. Éludant cette nouvelle information, elle chercha ailleurs. Elle n’eut pas besoin de chercher longtemps : Joaquin. Il lui avait menti, il l’avait manipulée et il si sa famille était en danger, c’était à cause de lui.

La chaleur irradia de nouveau son corps. Maxime eut l’air satisfait.

— Mieux… bien mieux… La seconde…

Il parut mal à l’aise, se mordant la joue.

— La seconde, reprit-il. Je sais que tu ne me dois rien, et tu aurais toutes les raisons du monde d’ignorer ma demande… Mais si tu peux éviter de t’en prendre à mon père, je t’en serai reconnaissant.

Cette demande la prit aux dépourvues, elle hésita avant de répondre.

— Je ne peux rien te garantir.

Cette réponse, aussi évasive soit-elle, sembla le satisfaire.

Alors qu’il se détournait d’elle pour la lui ouvrir la marche, Océane saisit son poignet pour le ramener vers elle et le prit dans ses bras.

— Merci.

Pour toute réponse, il se contenta de caresser son dos et de déposer un baiser sur son front avant de la lâcher, se tournant vers la demeure.

Océane leva les yeux à son tour. En d’autres circonstances, elle se serait émerveillée de l’architecture, des moulures et autres statues. Mais face à la grandeur du bâtiment, la seule chose qu’elle ressentit fut de l’intimidation. Par où chercher ? Combien étaient-ils là-dedans ? D’un rapide regard en arrière, elle dénombra cinq voitures sans compter celle de Maxime et celle de ses parents.

Ne pas paniquer ! Tes sœurs ont besoin de toi ! Oma a besoin de toi ! Pense colère ! Vengeance, s’ils ont osé lever la main sur elles !

Ses encouragements se révélèrent efficaces, elle sentit une puissante vague de chaleur la traverser et une ire sans nom couler dans ses veines. Elle devança Maxime et poussa la porte.

Le hall d’entrée était aussi immense que vide. Océane ferma les yeux, si elle avait d’autres compétences que de faire le lézard au soleil sans brûler, c’était maintenant ou jamais pour le découvrir. Elle se concentra sur son ouïe, cherchant la voix aiguë de Diane ou celle plus grave de Daphné.

Rien.

Ces oreilles étaient stupidement humaines.

En revanche, elle réalisa qu’un autre sens s’était développé, un dont elle se serait bien passée : son odorat.

Sans réfléchir, elle entrouvrit les lèvres, aspirant l’air, le goûtant. Le goût ferreux du sang s’imprima sur son palais. Stupéfaite et horrifiée, elle réalisa qu’elle était capable d’identifier son appartenance : Anika. Sans s’en rendre compte, elle avait mémorisé son odeur la fois où elle avait chuté. Mais l’horreur ne s’arrêtait pas là : elle distinguait deux odeurs différentes, une autre personne avait récemment été blessée ici.

Elle rouvrit les yeux, convaincue de pouvoir tracer la provenance de ces effluves.

— Maxime, par là ! indiqua-t-elle alors qu’il s’avançait dans la direction opposée.

Il la suivit sans remettre en question ses indications. Ils montèrent au deuxième étage et s’avancèrent dans l’aile droite du manoir.

À chaque pas, les émanations du sang s’intensifiaient, attisant le courroux d’Océane. Elle n’avait plus besoin de se forcer, ils avaient osé blesser sa famille, ils allaient en subir les conséquences. Malgré tout, elle s’efforçait de garder le contrôle. Même si elle n’avait pas de dédoublement de son être, pas de créature enfermée au fond d’elle, elle se sentait différente. Son âme de dragon était bien éveillée, prête à réduire en morceaux ceux qui avaient eu l’audace de toucher à son nid. Pour autant, les avertissements de Maxime n’avaient pas disparu de son esprit et elle ne voulait pas risquer de blesser la mauvaise personne.

Les lieux étaient un véritable dédale de couloir et de pièces traversantes, ils auraient été perdus sans son odorat. Alors que l’odeur ferreuse devenait de plus en plus forte, ils avançaient dans un énième couloir au bout duquel se dressait une imposante double porte en bois sombre. Soudain, un homme en sortit, il se figea en les voyant.

— Max ? C’est toi, mon garçon ? C’est bien, il ne manquait plus que toi ! Par contre, il va falloir raccompagner ton amie, ce n’est pas le bon moment p…

Océane ne le laissa pas finir sa phrase, du moins sa part bestiale ne le laissa pas. Franchissant les cinq derniers mètres qui les séparaient en un éclair, elle le saisit par la chemise pour le projeter contre le mur, l’assommant sur le coup. Elle ne s’attarda pas sur son état, s’empressant de franchir la porte.

Elle se retrouva dans une grande salle occupée par plusieurs canapés et des petites tables, ces dernières étaient couvertes de verres et de bouteilles de spiritueux, certaines portaient également d’énormes cendriers en cristal sur lesquelles reposaient d’odorants cigares. La décoration sombre et chargée en draperies, tableaux et tapis luxueux rendait les lieux étouffants. Enfin et surtout, une dizaine de dracs avaient leur regard braqué sur elle.

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