Malaise
Aurélie s’était endormie. Le minibus s’enfonçait dans les ornières, glissait dans la boue, heurtait les caillasses : c’était un véritable miracle qu’il ne se soit pas encore encastré dans un rocher, ou bien précipité au bas de la falaise.
Le professeur se tenait au siège devant lui, les yeux fermés il se concentrait sur sa respiration. Il craignait plus que tout de rendre son petit déjeuner bien copieux. Son cœur rendait amer le fond de sa gorge. Il se récitait le tableau de Mendeleïev, c’est une pratique qu’il avait mise au point quand il était enfant, lorsque sa mère l’abandonnait au grenier. Était-ce intentionnel de sa part ou non, il n’avait jamais pu mettre un point final à cette question, et surtout à toutes les réponses que son cerveau fébrile avait créées.
— Alors professeur, on ne résiste pas à la beauté des paysages ?, s’amusait Edgar Siks, debout dans la travée centrale.
Le professeur Samuel fixa le guide d’un regard froid.
— Retournez à votre place jeune homme, je sais m’occuper de moi. Comment vous vous appelez déjà ?
— Edgar… Edgar Siks, pour vous servir… professeur, répondit le guide désappointé.
— La chapelle alors ?
— La chapelle ? s’étonna le guide.
— Oui, la chapelle !
— Mais… quelle chapelle ?, s’inquiétait Edgar.
— La chapelle Sixtine !, grogna le professeur qui partit d'un grand éclat de rire.
— Bon…, je vais retourner à ma place.
Il n'en eut pas vraiment le temps, le bus tourna vivement et Edgar fut projeté vers l’arrière.
Le professeur s’exclama : « Je ne vous ai pas vexé au moins ? »
Il n’avait pas l’habitude qu’on se soucie ainsi de lui. Dans son enfance quand il appelait sa mère, celle-ci ne lui répondait presque jamais, ou le faisait attendre. Il s’en était fait une raison suffisante pour ne pas se fier aux inconnus et engloutir ses propres émotions, comme la baleine qui avale Jonas sans s’en rendre compte.
Aurélie dormait profondément malgré le roulement cahin-caha du minibus.
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