2. Bienvenue à Las Vegas
Lukas
Shit ! J’ai perdu trop de temps à m’assurer que tout était parfaitement prêt et je vais arriver en retard ! Carly sera déçue si elle ne me voit pas à l’aéroport. John ne m’a pas attendu, il a pris le Hummer et doit être déjà sur place.
Mon protecteur m’attend, impassible, devant le manoir, entre le Suburban et la Portofino. Il aurait pu partir avant moi, lui aussi, mais il a refusé parce que son — je cite — job consiste à me suivre partout.
Une trentaine de minutes devraient nous suffire pour rejoindre l’aéroport et parvenir à se garer juste devant.
Mon cœur s’affole quand Kevin m’ouvre la portière du véhicule. Quelle attitude Carly attend-elle de moi, dans le lieu publique bondé qui verra nos retrouvailles ? Serai-je à la hauteur de ses attentes ? Le programme que je nous ai organisé lui fera-t-il plaisir ?
Abélar écrase soudain la magnifique voix de Rihanna alors que le prénom de ma sœur s’affiche à l’écran de bord.
— Angie ? grogné-je en déplaçant l’icône, agacé.
— Attends-moi, je vous accompagne, annonce-t-elle avec précipitation.
— Tu n’es pas obligée.
— J’y tiens, insiste-t-elle en se déplaçant, vu ses talons qui résonnent sur les dalles de marbre.
— Je n’ai pas de place pour toi.
— Kevin se fera une joie de m’emmener, mon cher frère.
Elle apparait à l’entrée de la demeure, en tenue d’écolière, chemisier blanc négligemment ouvert jusqu’à la naissance de sa poitrine, jupe écossaise rouge ultra courte, bas blanc et dentelle à mi cuisse et des escarpins vernis montés sur échasse. Son sac à main aussi brillant que les Louboutin se balance à son bras, tandis qu’elle descend les marches du perron telle une star, un sourire éclatant aux lèvres, le majeur dressé dans ma direction.
*****
La voiture du garde s’arrête à hauteur des taxis, aussitôt après avoir dépassé la porte de l’aéroport. Je me gare à sa suite et enclenche les warning, pas du tout concerné par les chauffeurs qui vocifèrent dans notre direction. J’ai mieux à faire, comme avertir John de notre arrivée et m’assurer que Carly n’a pas encore débarqué, puisque Christopher Anderson m’a averti de l’atterrissage peu après notre départ de Summerlin.
— Un airbus en provenance d’Angleterre a débarqué juste avant nous, m’informe mon bro. Les rosbeef doivent passer la douane avant nos amis. Il te faut patienter encore un peu, mec.
Lunettes de soleil sur le nez, casquette à l’envers, je baisse la vitre et tend discrètement une liasse de billets à Kevin quand il se colle à ma hauteur, contre la Ferrari. Le roc de muscles discute avec les professionnels excédés, les gratifie de quelques billets avant de rejoindre le SUV. Les hommes reprennent le volant et le défilé de caisses jaunes commence sous mon regard amusé.
Enfin, la place est libre ! Je dirige mon bolide à la suite de la Chevrolet, coupe le moteur et sors. Accoudé au toit de tôle, mes doigts pianotent sur la peinture jaune (elle aussi), les yeux rivés sur les portes automatiques du bâtiment.
Angie ne s’est pas jointe à nous pour le plaisir d'accueillir les françaises. Ma starlette de frangine s’empresse de nous abandonner sous le soleil pour s’en aller, d’une démarche féline, briller dans la foule.
Des gens affluent, seuls, en couples ou en groupes. L’attente est interminable et je suis à deux doigts de confier le véhicule au garde du corps pour me calmer auprès de mon frère quand je le reconnais, collé à l’ourse. Derrière eux se trouve la troupe d’adolescents, puis Leandra. Putain, où est Carly ? Les palpitations de mon cœur accélèrent, paniquent. Elle a changé d’avis au dernier moment et est restée en Guadeloupe. Je distingue ma sœur. Elle parle à quelqu’un en alternant sourires, bras qui s’écartent gracieusement et mimiques de connivence. Carly ! C’est Carly qui vient dans ma direction, à côté d’elle. Elle me cherche. Sur la pointe des pieds, elle se tord le cou pour essayer de m’apercevoir. Je me redresse et retiens mon souffle, captivé.
Carly
Malgré les privilèges réservés aux vols privés, nous avons été obligés d’attendre que les passagers d’un airbus international passent la douane. Les enfants sont excités comme des puces et leur curiosité ne connait plus de limites. Voilà des semaines qu’ils ne parlent plus que de ce voyage et passent tout leur temps libre à surfer sur le net, à la recherche d’informations sur cette célèbre ville. D’ailleurs, ils fouillent encore, pour preuve les questions de Cyril :
— Maman, tu vas te marier avec Lukas ? C’est pour ça qu’on est venu ?
— Non ! Il veut juste nous faire découvrir l’euphorie de Las Vegas, la manière dont il vit, ici. Il a seulement l’intention de nous faire plaisir. Qu’est-ce qui t’a fait croire une chose pareille, mon chéri ?
— Il parait qu’il y a une chapelle où il suffit d’entrer pour se marier.
J’éclate de rire et rassure mes fils avant de les prendre dans mes bras et de les embrasser.
Une quinzaine de minutes plus tard, une hôtesse nous guide enfin jusqu’aux agaçants douaniers qui semblent prendre tout leur temps.
— Quelle est la raison de votre séjour, s’il vous plait, Madame ?
— Nous sommes attendus par Monsieur Lukas Sullivan pour une visite privée, Monsieur.
— Bienvenue à Las Vegas, Madame, formule-t-il, sur un ton rébarbatif en glissant nos papiers sous la vitre.
Les doigts enroulés sur la poignée de ma valise, je lève la tête et redresse les épaules avant de respirer un grand coup. Quelques mètres me séparent encore de Lukas. J’ai tellement peur de ce que me réserve Lukas, de ses connaissances, de ses employés, ses amis. Et eux, comment m’accepteront-ils ? Mon cœur s’affole quand je me demande de quelle manière il me présentera. Je dois me raisonner. Il m’a promis que je ne regretterai pas ce voyage et il a tellement changé que je le crois. J’ai confiance en lui.
Ils m’ont tous doublée, je suis à la traine. Ce n’est pas plus mal, après tout, une femme doit se faire attendre, elle doit se faire désirer. Soudain, Sybille s’esclaffe et écarte les bras en se déplaçant rapidement. John. Leur joie de se retrouver est communicative et je cherche Lukas des yeux. Je ne le vois pas. Ma gorge s’assèche. Je le repère un peu plus loin, de dos, absorbé dans la lecture d’un journal. Je vais lui faire la surprise. Guillerette, je confie les bagages aux garçons et me dirige à pas rapide vers mon Cro-Magnon. Qui se retourne alors que mes mains s’apprêtent à couvrir ses yeux.
— Excusez-moi, pardon, je suis désolée, bafouillé-je devant le parfait inconnu contre lequel j’allais me coller.
— Excuse-me ?
Merde ! J’ai parlé français !
— Sorry, very sorry, balbutié-je encore, confuse et agacée alors que je me presse vers notre groupe.
John m’observe avec son éternel sourire taquin tandis que Sybille se moque gentiment.
— Maman, regarde ! Il y a des machines à sous, là-bas ! s’écrie Thomas, les yeux écarquillés.
Puis, nous prenant tous à témoin :
— Vous voyez qu’on pourra essayer !
Je reluque les appareils puis lève les yeux au soleil et secoue la tête en pinçant les lèvres.
Je suis déçue aussi. Terriblement. Au point que ma gorge soit serrée et que je produise des efforts surhumains pour contenir mes larmes de frustration. Il m’avait promis de venir me chercher en personne. Il m’a dit : « Je serai là pour t’accueillir ».
Il n’a pas tenu sa promesse, et pire, il a envoyé Angie !
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