3. Éblouissant accueil
Carly
Angie surgit de nulle part et se jette sur moi pour m’étreindre et me saluer avec deux baisers aériens.
Les enfants, médusés, détaillent la jeune femme. Les garçons bavent d’admiration tandis que les filles l’examinent, lèvres pincées. John et Paulo la suivent du regard d’un air intéressé et le premier m’adresse un clin d’œil, avant de se concentrer à nouveau sur Sybille qui lui raconte Dieu sait quoi.
La sœur de Lukas pose les doigts sur mon épaule et se rapproche de mon visage pour babiller.
Je ne l’écoute pas. Je cherche celui pour lequel j’ai entrepris ce voyage, sans le trouver. Le directeur des cuisines m’a rassurée avec son clignement de paupières et a rallumé la flamme de l’espoir. Lukas ne m’a pas fait faut bond, il était impatient de partir quand nous nous sommes parlés avant le décollage. Je m’attarde sur chaque tête aux cheveux courts et noirs, sur chaque carrure semblable à celle de cet homme qui hante désormais toutes mes pensées. Où te caches-tu, Perfection ? Sur la pointe des pieds, je parcours la foule des yeux, me penche à droite, à gauche, étire mon cou au maximum. Pas trace de notre hôte. Je ronge mon frein, me retiens de crier son nom. L’idée de l’appeler me traverse l’esprit, mais je ne veux pas passer pour le genre de femme qui va lui mettre la pression dès qu’il ne se trouve plus dans son champ de vision.
Soudain, une agitation détourne notre attention. Un groupe de personnes se met à courir dans notre direction. Certains nous pointent du doigt, tandis que leurs interlocuteurs brandissent des caméras. Des éclairs blancs écorchent mes yeux, une femme me bouscule. Elle parle fort, à toute vitesse et plante un micro sous le menton d’Angie, ravie.
John nous presse :
— Sa présence a au moins l’avantage de nous créer une belle diversion, explique-t-il en désignant la jeune femme. Profitons-en pour nous réfugier dans les voitures.
Je suis abasourdie. Allons-nous laisser la sœur de Lukas aux mains des journalistes ? J’espère quand même qu’il n’a pas prévu de s’enfuir et de l’abandoner là !
« Bienvenue à Las Vegas » décore les portes automatiques qui s’ouvrent pour nous livrer passage. J’adresse un dernier regard à Angie. Elle ne semble pas inquiète, très à l’aise, au contraire. Sa mince silhouette se déplace avec aisance et l’attroupement qui s’est formé autour d’elle l’accompagne, tel une traîne, derrière nous.
Une douce chaleur s’infiltre, un petit peu moins suffocante que celle qui nous oppresse à l’arrivée aux Antilles.
John nous abandonne et part chercher son véhicule, garé un peu plus loin.
Je fouille des yeux le cortège de touristes, en vain. Lukas n’est toujours pas là. Subitement, j’éprouve le sentiment d’être observée. Mon cœur rate un battement alors qu’un soupir de soulagement m’échappe quand je reconnais mon amant. Mes poumons qui respirent à nouveau m’obligent à marquer un temps d’arrêt durant lequel j’admire mon prince charmant qui se redresse pour me dévisager, immobile, lunettes de soleil à la main. Indifférent aux crépitements des flashs et du remue–ménage en approche, il retient son souffle. Une casquette barre son front et met en valeur ses magnifiques iris, dans lesquels je me noie déjà.
Mon cœur bat la chamade quand Lukas contourne une voiture, sans me quitter des yeux. Pourtant, il s’arrête devant, l’air indécis.
Une fois de plus, mes doigts se détachent de la valise. Est-ce bien moi qu’il contemple avec autant d’intensité ? Suis-je à l’origine de son visage radieux ? Il ne rit pas, il resplendit de sourire, puis m’ouvre les bras pour me presser de courir m’y réfugier.
L’atmosphère change, le brouhaha humain se transforme en léger accompagnement musical alors qu’autour de nous, les gens font figure de PNJ*, comme dirait Thomas.
Mon corps m’entraîne vers l’interprète du rôle principal de chacun de mes rêves. Je franchis à peine un mètre. Il m’imite, et stoppe encore. Son regard profond laisse place à un froncement de sourcils interrogateur. Les muscles de sa mâchoire se tendent. Ses mains sont retombées le long de ses jambes.
Alors que je m’apprête à courir vers lui, une silhouette s’interpose. Angie ! Elle se précipite vers son frère et s’agite, agacée :
— Tu vas te donner en spectacle, Lukas ! Tu veux vraiment faire les gros titres de leurs torchons ? s’indigne-t-elle en désignant le comité de journalistes dont les appareils photo crépitent à qui mieux-mieux. Retourne dans ta voiture. Tu embrasseras ta passade à Lyslodge. Mais par pitié, pas ici !
Elle le pousse sans ménagement, indifférente aux efforts qu’il fournit pour s’échapper de son emprise. Un homme aux muscles impressionnants tente de contenir les paparazzis déchainés, mais seul contre la horde, le pauvre n’en mène pas large.
— Lukas, murmuré-je, inquiète à l’idée qu’il m’oublie devant les portes de l’aéroport.
La perturbatrice se tourne alors vers moi et fulmine, secouée par un frisson de dégout :
— Viens ! C’est lui qui t’emmène.
Abasourdie, j’observe Sybille et ses enfants qui s’engouffrent dans un énorme 4X4 rouge, stationné en double file, conduit par un John à l’expression moqueuse. Pendant ce temps, le garde du corps invite sa patronne, Leandra et sa famille à s’installer dans une grosse Chevrolet noire. Je sursaute quand une blonde brandit son micro devant ma bouche et m’interroge :
— Etes-vous une amie de la famille ou une amie proche de monsieur Sullivan ?
Un moustachu m’agresse de l’autre côté, tandis que les reporters photographiques m’éblouissent d’éclairs :
— Le mariage est prévu pour quelle date ? Serons-nous autorisés à y assister ?
Thomas et Cyril ! Leurs têtes apparaissent derrière Lukas qui m’ouvre la portière, penché sur les sièges.
— Carly, monte ! Dépêche-toi ! ordonne-t-il avec gentillesse.
Je m’approche rapidement, me jette sur le fauteuil passager, puis me hâte de nous enfermer dans l’habitacle.
— Désolé pour cette surprise un peu ratée, sourit-il en entourant mes joues de ses paumes pour m’embrasser. J’avais imaginé des retrouvailles plus tranquilles.
Des lumières vives rebondissent sur les vitres tintées, et l’assourdissante rumeur, peuplée de « Carly, c’est bien votre nom ? » nous oppresse toujours. Enfin, la sportive s’élance à la suite de nos amis et me permet de reprendre mes esprits.
Perdue dans mes pensées, je bredouille une réponse incompréhensible. J’avais bien saisi que nos hôtes étaient populaires, mais le sont-ils au point d’apparaitre dans la presse people ? Le flot de pisse-copies qui vient de nous entourer le porte à croire.
— Thomas et moi pourrons-nous jouer aux machines à sous ? demande Cyril, indifférent à l'avertissement qu'il lit dans le miroir de mon pare-soleil.
— Heu, répond, Lukas, gêné. Je crains que ça ne soit pas possible, mon grand.
— Alors pourquoi y en a-t-il en libre service dans l’aéroport, insiste mon ainé.
J’interviens, agacée par leur idée fixe :
— Stop, on vient de vous dire non !
— Mais maman… râle Thomas tandis que son frère souffle bruyamment.
Lukas éclate de rire. Un son joyeux et agréable, qui me détend, même si j’ignore ce qui l’a provoqué.
— Des policiers patrouillent dans les allées. Ils sont là pour empêcher les jeunes comme vous de tester ce genre de jeux, entre autres choses. Habituez-vous, conseille le PDG en accordant un clin d’œil à mes enfants, dans le rétroviseur intérieur, vous en trouverez à chaque coin de rue, à Las Vegas.
Le sujet clos, je me concentre sur la route.
— Nous nous installons tous au casino ? demandé-je, à la recherche de bâtiments illuminés, plus grands les uns que les autres, de fontaines aux exubérants et joyeux jets d’eau, ou encore d’indications sur les rares panneaux que nous croisons.
— Non, nous irons tous au casino plus tard, répond le pilote en m’adressant une œillade de connivence.
— Ok, alors où allons nous ? m’obstiné-je.
— Dans un endroit où seule la meilleure amie d’Angie et John ont déjà séjourné.
* Pnj : personnage non joueur de jeu de rôle ou de jeu vidéo qui n'est pas contrôlé par les joueurs.
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