5. Pina Colada

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Lukas

Carly est émerveillée. Elle m’a dit aimer la luminosité et en avoir besoin. Je savais que le hall d’entrée lui plairait. Elle quitte ses chaussures pour apprécier la fraicheur du sol et les tient dans sa main alors que ses doigts glissent sur le marbre. En pleine contemplation de la verrière, ses yeux brillent presque plus que le cristal du lustre.

Les paumes de ses mains apprécient le cuir des canapés, le velours des rideaux, les moulures des meubles en bois, et le revêtement capitonné de la salle à manger professionnelle. Pourtant, plus la visite se prolonge, plus je la sens déçue, ou blasée. Je ne provoque pas son intérêt, ni sa curiosité, j’ai juste l’impression d’étaler ma richesse. Il faut que je mette fin à la séance avant qu’elle ne prenne ses jambes à son cou.

J’évite d’insister sur les toiles qui habillent les murs, surtout les plus connues, et je m’abstiens de donner des détails comme le nom de l’artiste qui a réalisé le portrait de mes parents.

John ouvre la porte du bar.

— La salle de détente, annonce-t-il en caressant la feutrine rouge qui recouvre la table de billard. L’une de mes pièces préférées.

À travers la baie vitrée, grande ouverte, le doux clapotement de l’eau brassée par la pompe de la piscine me rappelle que je meure de soif. Un bras autour de la taille de ma poupée, je l’entraine sur la terrasse. J’ai bien vu le bâillement qu’elle essayait de dissimuler.

— John va nous préparer des Pina Colada , il a appris à les composer mieux encore que les antillais ! proclamé-je en désignant le bar à mon bro. Désolé, les jeunes, pour vous ce sera Virgin Colada, pas de rhum pour les jeunes pirates.

— Et après ça, on va tous faire pipi derrière les arbres ? demande Marion, avec naturel. Je n’ai pas vu de toilettes à l’intérieur.

Elle n’a pas sa langue dans sa poche, la gamine ! Elle possède aussi un grand sens de l’humour. Pas comme sa mère. L’autre ado me dévisage et tourne la tête dès que je croise son regard. Amusé, j’adresse un sourire à sa copine et lui donne les explications qu’elle attend :

— Longe la façade et entre par la dernière porte vitrée. Tu n’auras plus qu’à traverser la salle et ouvrir la porte en bois, la rouge et blanche. Tu arriveras dans le couloir et tu reconnaîtras l’icone pour les sanitaires femmes.

Mon clin d’œil à l’intention des deux filles provoque une rougeur sur les joues de Linda qui peine à dissimiler sa confusion. Rassuré quant au pouvoir de mon charme, j’entoure de mes bras les épaules de Carly, assise à mes côtés sur le sofa. Alors que mes lèvres déposent un tendre baiser sur sa tempe, elle lève son téléphone à notre hauteur.

— Ne bouge pas, prévient-elle, juste le temps d’une petite photo.

Enthousiaste, elle admire en riant l’image de mon profil contre sa peau. Je fais mine de partager sa joie, mais certaines femmes mal intentionnées ont déjà tenté de me soutirer de l’argent par ce biais. Elles me menaçaient de vendre ce qu’elles imaginaient représenter un scoop au plus offrant, si je n’approvisionnais pas leur compte bancaire de sommes conséquentes.

Les reporters ont payé. Pas moi. Personne n’ignore le plaisir que je prends auprès de la gent féminine.

Chaque personne qui attache une seule once d’importance à ces feuilles de choux sait que je ne passe aucune nuit seul, malgré mon statut de célibataire. Depuis, j’évite néanmoins de me laisser prendre en photo, de manière à éviter ce genre de désagrément.

Avec Carly, c’est différent. Mais peut-on être vraiment sûr ? Je ne connais pas l’avenir, et celui auquel je crois aspirer m’est totalement étranger.

Leandra possède elle aussi des clichés sur lesquels j’apparais. Je n’ai pas osé refuser quand elle s’est amusée à gentiment narguer ma Carly. La crainte de briser l’ambiance de cette agréable soirée, la dernière avec des personnes authentiques, avec ma poupée, a retenu le refus catégorique que j’aurais exprimé il y a quelques mois encore.

Ma belle insiste pour immortaliser nos retrouvailles. Sa main exerce une pression sur l’arrête de mon menton pour me forcer à tourner la tête vers elle. Je sais ce qu’elle veut. Rien ne me ferait plus plaisir que l’embrasser, là, tout de suite, maintenant. De lui offrir l’accueil qu’elle aurait dû recevoir. D’immortaliser ce moment. Peut-être serons-nous un jour heureux de revoir nos visages radieux.

Néanmoins, mes doigts recouvrent l’écran de l’appareil et cherchent à l’éloigner. Une légère résistance s’oppose, sûrement due à la surprise, avant de céder. Alors seulement, je parviens à me laisser guider jusqu’à ses lèvres entrouvertes, pleines de promesses.

Un soupir d’aise m’échappe tandis que la respiration de ma femme devient irrégulière. Nous ne sommes pas seuls, je retiens ma frénésie. Sa langue, avide, creuse en profondeur alors que sa paume pousse ma nuque pour nous rapprocher.

Soudain, un sifflement nous sépare.

L’ourse. Elle nous empêche de savourer l’instant. Elle nous gronde de ses yeux glacials et hoche la tête en direction des enfants.

Les premiers cocktails arrivent. John dépose les verres devant les trois femmes et je réalise alors qu’Angie ne s’est pas jointe à nous. Où est-elle passée ? Et surtout, que manigance-t-elle ? Les effluves de l’ananas fraichement pressé chatouillent mes narines.

— Le service est long ! rié-je, et j’ai soif !

— Bah, viens m’aider, répond mon frère, du tac au tac, de sa voix traînante.

Je l’imagine en train de sourire, conscient que je ne me déplacerai pas. Sybille, par contre, me jette un regard lourd de reproche quand elle se lève. Alors qu’elle se dirige déjà vers l’intérieur pour porter assistance à son mec, aussitôt suivie par Leandra, puis Carly, me vient une idée qui devrait plaire à nos invités.

Un buffet d’appoint, face au bar, abrite une chaine stéréo, reliée à de petites enceintes dissimulées par le faut plafond flottant. J’allume l’enceinte et synchronise mon I Phone avant de sélectionner la playlist de Carly. Elle l’a nommée Lana, Clément et Matt. En France, ce choix m’avait intrigué, jusqu’à ce que je commence à lire Le monde qui nous entoure, le roman qu’elle écrit. Lana, Clément et Matt ne sont autres que des personnages de son histoire.

Inspiré et influencé par les bribes de souvenirs du clip et de son désert, j’opte pour Beds are burning du groupe Midnight Oil. Je me hâte auprès de mon bro, pousse sa nana de la main en direction de ses copines et adresse un sourire de connivence à mon binôme quand je m’empare du seau de glace.

John dépose quelques glaçons dans un shaker, le referme et le secoue au-dessus de l’épaule en roulant les hanches, en rythme avec la musique. Je l’imite. Sans cesser de danser, nous rouvrons les récipients, y versons les ingrédients, refermons et agitons le mélange. Sybille et Carly se prennent pour des cow boy et nous encouragent en poussant des « yeehau » à tout va, tandis que Leandra danse doucement dans les bras de son mari. Le cocktail coule, épais, avec élégance sur la glace déposée au fond de bols faits de noix de coco vides. Mon bro les a rapportées de notre séjour en Guadeloupe. Une fine tranche de fruit accrochée sur le bord et un parasol en papier achèvent de décorer les breuvages des enfants. The Rasmus nous donne maintenant le ton, avec In the Shadows, pour entamer la préparation de nos rafraichissements.

— Pourquoi remuez-vous les glaçons ? s’intéresse Thomas, appuyé au comptoir.

— Pour givrer le shaker, explique John. Tu veux essayer ?

Mon ami propose sa place à l’adolescent, mais il refuse vivement, intimidé.

Les garçons examinent un vieux tourne-disque, sur une console de la bibliothèque, ainsi que les vieux vinyles de mes parents. Thomas prend régulièrement des photos. J’insiste pour qu’il m’évite sur les clichés. Il m’assure aimer principalement les natures mortes et les mettre qu’elles en valeur sur le papier. Les femmes ont repris place sur la terrasse quand les gamines reviennent, et Paulo, John et moi entamons une partie de billard.

Tandis que je me prépare à jouer, la voix de Marion me parvient :

— Wouah ! La pièce qu’il nous a dit de traverser est immense !

— C’est une salle de réception, ajoute sa copine. Maman, c’est magnifique ! Il faut que tu voies les dorures, et les moulures, et puis la fresque au plafond. Le lustre est encore plus gros que celui du hall !

Les mères cèdent bon gré, mal gré, aux adolescentes et leur emboitent le pas, le long de la dalle carrelée.

— On peut aller se baigner ? demande timidement Cyril en lorgnant la piscine.

— Tape là mon pote ! approuve John, la main levée. En voilà une excellente idée !

J’acquiesce d’un signe de tête, d’un sourire et d’un haussement de sourcil. Pourtant, la visite de l’étage et des chambres ne m’emballe pas. J’aurais préféré attendre encore un peu.

Mon bro repose sa canne sur le range-canne, puis celle de Paulo et ils se dirigent, ensemble, vers la terrasse avant d’emprunter le même chemin que les autres. Je suppose que je n’ai pas le choix.

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