9. Lukachou
Lukas
La visite du jardin me sert d’excuse pour mettre fin à la fâcheuse rencontre Adeline-Carly. Il faudra que je pense à remercier ma sœur adorée pour ce coup bas.
— Dis Lukas, tu crois que les gars et moi on pourrait aller dans la salle vidéo ? demande Cyril.
— Oui, bien sûr, accepté-je avec un clin d’œil complice.
L’idée d’emmener tout le monde au sous-sol ne m’enchante guère. Leur dévoiler ma fortune et l’opulence qui va avec me parait soudain un peu trop prétentieux et ce n’est pas l’image que je souhaite leur donner. Ils ont compris. Ils ne sont pas venus pour ça, mais pour visiter Las Vegas, prendre du bon temps et en passer avec moi. Je l’espère, en tout cas.
— J’accompagne les enfants et on visitera plus tard, qu’en pensez-vous ? suggéré-je en grimaçant. Il fait encore jour, profitons-en.
Pourtant, ma belle me surprend quand elle se montre intéressée. C’est à n’y rien comprendre.
— Qu’y trouverons-nous ? demande-t-elle, accrochée à mon bras.
— Et bien, la salle de jeu, comme je l’avais précisé aux garçons, puis la lingerie et le local technique, entre autre.
J’ignore ce qu’elle attend, ce qu’elle espère, ce qu’elle a envie que je dise.
— Je comprends que tu veuilles repousser l’excursion, ricane l’ourse.
— Lukas a peur de saouler sa chérie, explique mon bro avec son tact habituel. Salle de cinéma, garage…
— Je serais ravie d’y aller, murmure ma Carly en se dandinant, telle une enfant. J’ai besoin d’oublier quelqu’un, pendant un petit moment.
— Un petit moment seulement ? insisté-je, sourcils levés. Tu es sûre ?
— Tu as raison, si je pouvais l’oublier tout court, j’en serais vraiment soulagée. Mais j’ai l’impression qu’elle n’en a pas fini avec nous.
— J’ai peur qu’elle ait du mal à digérer l’arrosage intensif.
À ce souvenir, je ne peux m’empêcher d’éclater de rire. Hélas, ma poupée pince les lèvres et baisse la tête.
— Elle l’avait cherché aussi ! poursuit-elle, contrariée, avant de soupirer d’un air résigné.
La salle de détente et le bureau de feu mon père dépassés, nous nous engageons dans le couloir.
Le bras de Carly est tendu, dans mon dos. Cette confrontation l’a secouée bien plus qu’elle ne veut l’avouer.
Quelques secondes plus tard, nous arrivons dans le vestibule où nous empruntons l’escalier en métal qui conduit au sous-sol.
— La salle vidéo est là, indiqué-je devant la première porte.
Les adolescents ne se font pas prier et s’engouffrent dans la pièce. Mes amis jettent un regard rapide à l’intérieur qu’ils trouvent somme toute cosy et j’ouvre l’accès à un autre espace détente. Face à la douche, je m’efface pour leur permettre d’entrer et de découvrir les lieux : le sauna, puis le hammam. Arrêtés autour du bain, ils restent silencieux quelques instants. Leur stupéfaction m’agace. Ils savent qui je suis, ils ne devraient pas être si surpris ! C’est pour cette raison que je voulais éviter de leur dévoiler cette partie de la maison. Seul Paulo laisse échapper un long sifflement. Carly fronce les sourcils tandis que l’ourse regarde mon bro de travers. J’imagine le genre de proposition qu’il lui murmure à l’oreille. Leandra admire les mosaïques, sans émettre le moindre son.
Je m’impatiente :
— C’est bon, vous avez vu ? On peut y aller ?
— Tout cet équipement est entretenu alors que vous ne vivez pas ici ? s’étonne le loueur de bateaux.
— C’est ça.
Qu’on en finisse au plus vite. Irrité par les jugements que leur silence traduit plus qu’il ne les cache, je les laisse en plan et pars les attendre dans le couloir.
Alors que Carly se profile sur ma droite, une mauvaise surprise fait son apparition, en bas des escaliers : Adeline, précédée de ma sœur.
— Lukachou, tu en fais une tête ! remarque la copine d’Angie en se rapprochant trop vite à mon goût.
Je regarde ma poupée qui s’est figée en reconnaissant la voix. Elle guette ma réaction. Du coin de l’œil, je vois Adeline, proche, trop proche. Sa main effleure ma joue, puis ses lèvres y déposent un lent baiser.
— Arrête tout de suite ! grincé-je en la menaçant du regard.
— Tu ne m’as pas toujours repoussée, mon chou.
Elle s’écarte enfin, tandis que le reste du groupe nous retrouve.
J’emmène mes amis dans la salle de cinéma, et m’assure que Carly est occupée à tester le confort des fauteuils avec Leandra pour m’éclipser. Adeline n’est pas entrée. Que fabrique-t-elle ?
Je la déniche plus loin. Dans l’autre moitié du sous-sol. Dans le garage, plus précisément. Adossée à la Mercedes. Elle savait que je la chercherais. Elle jubile, son sourire est éclatant. Je me dirige vers elle, déterminé, mais garde mes distances.
— Pourquoi te montres-tu aussi mesquine ? demandé-je, accusateur.
— Pour te rappeler tout ce que tu as oublié, mon chéri, minaude-t-elle en se rapprochant, féline, avant d’agripper le col de mon polo d’une main ferme et de nous projeter contre la voiture. Tout ce que nous avons été, et tout ce que nous serons bientôt de nouveau.
Ses doigts poussent sur ma nuque pour m’obliger à me pencher vers elle. Je résiste, mais son autre main rencontre ma peau sous le vêtement, me caresse, avide, descend rapidement au niveau de mon sexe, qu’elle presse à travers le tissu. Surpris, je laisse échapper un cri rauque qui résonne entre les murs de béton tandis que mon corps se tend sous l’effet d’une violente et agréable décharge. Ses lèvres trouvent les miennes, sa langue s’engouffre dans ma bouche. Je recule.
— Non ! grondé-je.
Trop tard. Une porte claque.
Carly ! Merde !
Le rictus radieux d’Adeline me déchire le cœur quand je comprends que ma poupée a été témoin de la scène. D’une partie, seulement, il lui manque le début et la fin. Merde ! Je me précipite à sa suite, à la recherche des mots qui apaiseront sa douleur.
*****
Elle s’est arrêtée devant l’entrée de la maison, face à la fontaine où elle s’accroche, penchée, tête baissée. Une profonde inspiration m’est nécessaire avant d’avancer, avant de l’affronter. Comment lui faire comprendre qu’Adeline est plus vicieuse encore que ma sœur, plus intelligente, plus manipulatrice ? Comment va-t-elle réagir ? Me frapper ? Eclater en sanglot ? Pourquoi éprouvé-je ce sentiment de culpabilité ?
— Ma chérie.
— Ne m’appelle pas ainsi.
Son ton est sec, ferme, sa voix, sourde. Elle ne bouge pas d’un pouce.
— Carly…
— Qu’est-ce que je fais ici, Lukas ? s’indigne-t-elle en faisant soudain volte face. Qui est cette femme ? Pourquoi n’en ai-je jamais entendu parler ?
Elle crie, les traits déformés par un mélange de désespoir et de colère qui me glace.
— Elle n’a aucune importance, réussis-je à murmurer.
J’exécute encore quelques pas vers elle, paumes ouvertes, en proie à de fortes palpitations.
À quelques centimètres de ma jolie française, alors que je vais saisir ses mains, elle les ramène vivement derrière son dos.
— Carly…
— Non, gémit-elle en secouant la tête.
Je franchis subitement le dernier pas qui nous séparait et l’enlace. Je la serre fort contre moi, dans un geste que j’espère réconfortant, rassurant.
— Je t’en supplie, fais-moi confiance, Carly, imploré-je entre deux baisers déposés sur son front, encore, et encore, désireux d’apaiser sa respiration saccadée. Ne me repousse pas.
Ses paupières sont gonflées, ses yeux, rouges et brillants lorsqu’elle s’écarte, doucement. Pourtant, aucune larme ne s’en échappe. Elle est forte. Elle se retient. Elle ne donnera ni à son adversaire, ni à moi, le plaisir de la voir brisée. Car elle m’impute toujours une part de responsabilité dans ce qu’il vient de se passer.
— Qui est cette femme ? répète-t-elle.
— Viens, soupiré-je.
Je glisse mes doigts entre les siens et l’entraîne de l’autre côté du jardin.
Par où commencer ? Est-il judicieux de tout lui déballer, là, en une seule traite ? Je préférerais y aller doucement, ma Carly a eu sa dose d’émotions pour la journée. Néanmoins, je crains qu’Adeline ne revienne vite à la charge, et même qu’elle choisisse un moment où je serai forcé de m’absenter, puis dans l’incapacité de réparer le mal qu’elle aura intentionnellement créé. Comment cette femme, pour laquelle je ferais n’importe quoi, réagira-t-elle à mes révélations ?
Je suis pourtant convaincu que certaines vérités méritent de rester cachées.
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