14. Les fantaisies

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Lukas

Ma Carly n’était pas très attirée par les manèges à sensations fortes. Elle a accepté de monter dans le Canyon Blaster, puis de tester El Loco, les deux grands huit emblématiques. Ensuite, nous avons embarqué pour une dizaine de tours, si ce n’est plus, dans les auto-tamponneuses où nous avons envahit la piste. Adeline a dû s’éclipser à ce moment là, car Angie s’est jointe à nous. Les règlements de comptes s’enchainaient, ma sœur contre tous, mais elle était le centre d’intérêt, alors elle jubilait malgré tout. Les liens familiaux ou affectifs avaient disparus, eux aussi. J’ai passé un moment extraordinaire à rire avec mes amis. Des amis que je ne veux pas perdre. Et la femme que… je ne veux pas perdre non plus. M’aime-t-elle ? Ne pars pas là-dedans, pense à autre chose. Maintenant !

Elle ne quittait pas ses fils des yeux tout le temps qu’ils ont passé à franchir le mur d’escalade. Je n’existais plus. Pourtant, je m’émerveillais de ses réactions, de chaque sursaut lorsque leur pied ratait la cible. Je ne connais pas, ces émotions là. Qu’éprouverais-je si c’était elle, accrochée à ce harnais de sécurité ? Les poils de mes bras se dressent, au garde à vous.

Au Lazer Blast, nous avons formé deux équipes. Les deux capitaines, mon bro et Marion, la fille de l’ourse, n’ont rien trouvé de mieux que de me séparer de ma chérie. Là aussi, nous avons disputé plusieurs parties. J’ai sauvé ma princesse à maintes reprises, mais elle ne s’en est pas rendue compte.

Bien sûr, j’avais déjà eu l’occasion de tester toutes ces attractions, mais aucune ne m’avait autant enchanté. J’ai l’impression de ressentir encore les émotions qui m’ont submergé toute la soirée, simplement en me remémorant certaines scènes.

Nous en parlons encore, ma poupée et moi, alors que Ryan nous conduit à la Stratosphère. Je crois que cette soirée lui a beaucoup plus, et j’en suis soulagé.

*****

Une fois tous réunis devant l’entrée de notre destination, j’apporte quelques explications à mes invités :

— La plateforme de la Stratosphère nous est réservée, pour une heure. Voici un dépliant qui vous indiquera les activités que vous pourrez essayer. Faîtes vos choix ! m’amusé-je en tendant le flyer à une Leandra impatiente à cause des heures qui défilent.

Une hôtesse nous accueille et m’informe qu’il ne nous reste déjà plus que trente minutes avant que les attractions ne s’ouvrent à nouveau au grand public. Nous sommes en retard, l’Adventuredome nous a retenu trop longtemps.

Tout en haut, mes amis sont indécis. Certains étaient prêts à essayer les capsules de l’Insanity, mais se désistent face au vide. D’autres, attirés par l’ascenseur du Big Shot prennent soudain peur et changent d’avis. Ma Carly, attirée par le wagon du XScream, maintenait que seule la personne à l’avant du chariot éprouvait des sensations. Maintenant à trois cent cinquante mètres de hauteur, elle aussi fait marche arrière. Thomas et le fils de l’ourse, vivement inspiré par le Skyjump supportent les regards noirs de leurs mères et leurs interdictions. Angie quant à elle, a disparu après nous avoir avertis qu’elle partait se recoiffer. Elle a sûrement croisé le regard d’un bel inconnu… Mon bro, par contre, décide de se jeter à l’eau. Dans le vide, plutôt. Il se prépare aux émotions fortes, amusé par les airs effrayés de nos amis, et m’invite à me lancer après lui. Hors de question. L’époque où je mettais ma vie en danger est révolue. J’ai un avenir à découvrir. Et puis, « nous l’avons déjà fait », lui rappelé-je. Déçu par mon refus, il décide finalement d’abandonner lui aussi le projet.

Nous observons des touristes plus téméraires, jusqu’à ce que Paulo nous rappelle qu’il serait temps de nous restaurer.

L’hôtesse, en compagnie de Kevin et Ryan, nous attend depuis que nous avons franchi le seuil de la plateforme et se réanime dès qu’elle nous voit approcher. Elle nous accompagne jusqu’au restaurant panoramique, où les tables ont été assemblées le long des vitres, à ma demande. Parce qu’on ne refuse rien à Lukas Sullivan. Un premier espace a été aménagé pour les adultes, un second pour les ados, puis plus loin, un troisième pour les gardes du corps.

Soudain, alors qu’une serveuse saisit notre commande, Angie réapparait, au centre de la salle. Elle approche à pas rapides et retient l’employée qui s’en allait en direction du bar central.

— Une autre personne se joindra à nous, lui précise-t-elle. Vous serez gentille de dresser un autre couvert.

Carly

Adeline ! J’étais parvenue à l’oublier, celle-là. Angie l’a sûrement appelée pour lui dire où nous nous trouvons et l’inviter à partager notre dîner.

Par chance, Lukas est coincé entre Paulo et moi, alors que face à nous se trouvent Leandra, Sybille et John. La sorcière brune s’installe malheureusement à mes côtés, tandis que la blonde prend place près du chef cuisinier.

Son joli visage est dégagé par un discret serre-terre qui retient sa longue chevelure dorée. Sa robe, de couleur marron, agrémentée d’une ceinture en métal jaune magnifie sa peau brillante et bronzée. Le tissu extra fluide embrasse à la perfection sa mince silhouette. Quant au décolleté en V, il plonge littéralement jusqu’au-dessus du nombril. Un pendentif sur lequel je ne m’attarde pas est accroché à une fine chaine en or dont la longueur à été savamment étudiée pour arriver pile entre ses seins.

— Bonsoir, me salue-t-elle avec un sourire éblouissant.

Je réponds d’un rictus grimaçant alors que Lukas passe son bras autour de mes épaules et nous rappelle un souvenir :

— Ma chérie, veux-tu partager des huîtres avec moi ou préfères-tu faire tes propres choix ?

Éclat de rire général, même de la part d’Angie. Perruque blonde, absente lors de cet épisode en France, s’absorbe dans l’étude du menu.

— Du coup, mon frère, on ne sait toujours pas si tu pratiques, taquine ma voisine.

— Heu… je ne sais toujours pas ce que vous voulez dire par là, avoue-t-il, mi-gêné, mi-amusé. J’avais complètement oublié cette conversation.

Un coup d’œil aux enfants me rassure. Scotchés aux parois en verre, ils contemplent la vue et ne nous écoutent pas. Pourtant, nous devons épargner à leurs chastes oreilles nos discussions osées et ne prendre aucun risque.

— Chut, murmuré-je, aussitôt rejointe par mes amies.

— Carly, il t’a attachée ? insiste John, un peu moins fort, son regard pénétrant fixé au mien.

Blondasse a baissé la carte et nous observe avec un vif intérêt.

— Non, assuré-je en adressant un regard en coin à mon partenaire.

— Vous êtes des petits joueurs tous les deux, en fin de compte, reprend John.

— Je ne suis pas tout à fait d’accord avec toi, intervient perruque blonde, malicieuse dans sa voix aussi bien que sur les traits de son visage. Je sais Lukas capable de beaucoup de… fantaisies.

Putain de merde ! Elle commence à sérieusement me courir, celle-là ! Je vais la lui faire bouffer, sa fantaisie !

Lukas baisse la tête pour cacher son sourire. La chaleur me gagne, ma respiration s’accélère, mes muscles se tendent à force de retenue. Ma réponse fuse alors que j’affiche l’air le plus faussement aimable dont je suis capable :

— Nous n’en sommes qu’au début de notre relation, vois-tu, et nous avons l’avenir devant nous pour explorer nos, comment dis-tu ? Fantaisies.

Je crois l’entendre rétorquer « crois-tu ? », mais mon amant me distraie quand il recouvre ma main de sa paume et se penche pour me murmurer :

— On pourra faire de la fantaisie, après, si tu veux. Je connais un hôtel où on ne nous demandera pas cher…

Je pouffe, avec autant de discrétion que possible, imitée par mon superbe partenaire. Son polo bleu opale fait ressortir la couleur de ses yeux, où brille cette effervescence qui masque sa fragilité. Qu’est-ce que je donnerais pour être seule avec lui, ici et maintenant. Juste nous deux, plus de serveurs, hôtesse d’accueil ou qui que ce soit d’autre. Seulement lui, et moi.

Le reste du dîner se déroule dans une ambiance plutôt amicale, malgré les quelques interventions d’Adeline, ou ses regards éloquents à l’attention de Lukas. Ce dernier, très prévenant, entrelace nos doigts dès qu’il s’en rend compte ou pose sa main sur ma cuisse. D’autres fois, il chuchote n’importe quoi à mon oreille et provoque ainsi nos rires complices, visiblement pas au goût de ma rivale, vu les regards haineux qu’elle me porte.

Avant de quitter les lieux, Lukas nous invite à admirer la vue une dernière fois. Derrière moi, il décrit le paysage qui défile lentement, l’immensité illuminée, devrai-je dire. Soudain, il me montre des fontaines que lui seul aperçoit, perdues au milieu des bâtiments. Je distingue parfaitement le Strip, par contre, et l’importance de la circulation à cette heure m’impressionne autant que l’étendue de la ville.

Je me laisse aller contre lui, éblouie par le spectacle de l’éclairage scintillant depuis deux cent quarante mètres de haut, apaisée par la chaleur de son corps, son souffle sur le côté de mon visage et sa voix à mon oreille.

Soudain, un homme tombe, en chute libre, la bouche grande ouverte, les yeux exorbités, de l’autre côté de la vitre. Un hurlement déchire l’atmosphère feutré du restaurant alors que mes amis et moi reculons d’un même mouvement. Le corps disparu, nous nous approchons de nouveau, et subitement, la personne repasse devant nous ! Elle remonte, puis redescend en nous souriant, le pouce levé.

Je réalise à ce moment là que Lukas n’est plus contre moi. Les américains sont restés en arrière, ils nous observent, amusés. John s’esclaffe, Angie secoue la tête en critiquant notre réaction. « Vous n’avez jamais rien vu », se moque-t-elle. La blondasse, pendue au bras de Lukas me lance un regard de défi.

Panni pwoblem.

J’avance à pas lents vers mon amant, comme si je marchais sur un fil, les yeux dans les yeux, la bouche entrouverte.

Captivé, il tourne à peine la tête lorsqu’il s’adresse à la sangsue :

— Tu m’excuses ?

Il n’attend pas la réponse et lui retire son bras pour me rejoindre et m’enlacer. Nos lèvres se retrouvent, nos langues s’enroulent, doucement, puis de plus en plus profondément. Lukas resserre notre étreinte.

— On y va !!!

Sybille. Tous regroupés auprès de l’hôtesse, ils nous observent. Certains semblent attendris, d’autres s’en fichent complètement, Angie lève les yeux au ciel, exaspérée, ma copine à la grosse voix lance des stalagmites dans notre direction. Quant à perruque blonde, elle nous tourne le dos, pressée de partir.

L’hôtesse nous ramène en bas de la tour et j’aperçois le farceur des baies vitrées un peu plus loin, en train de quitter sa combinaison, pendant qu’une employée s’occupe du harnais et de l’élastique.

— Lukas ! s’écrie subitement John en fixant la route. C’est une blague, tu n’es pas sérieux ? Dis-moi que tu n’as pas fait venir les voitures pour nous emmener à quoi ? Un miles ? On pourrait marcher et digérer en même temps !

— Moi, marcher ? Tu m’as bien regardée ? intervient Angie en grimaçant. Même pas en rêve !

— À ce rythme, vous allez tous finir victimes d’un AVC, reprend le directeur des restaurants.

— Rendez-vous demain matin pour un footing autour du golf. Partant ? le provoque Lukas avec un clin d’œil.

— Aux aurores ? Tu es un grand malade, mon bro, mais j’accepte le défi. Rendez-vous à six heures au portillon.

Les sorcières se réfugient dans la limousine sans demander leur reste, et le milliardaire invite la famille de Paulo à se joindre à elles.

Nous abandonnons les voitures sur une large promenade, très animée. Une gigantesque grande roue nous fait face et je me remémore les paroles de Lukas : « Nous admirerons Las Vegas à 168 mètres d’altitude ». À l’accueil, les affiches m’apprennent que les cabines, complètement fermées, peuvent accueillir jusqu’à quarante personnes et je découvre sur des photos, des groupes d’individus assis sur des tapis en position de yoga, un homme agenouillé, en pleine demande en mariage, ou encore un serveur devant un bar mobile, en train de préparer des cocktails.

Leandra et moi insistons pour régler une partie de la note, Lukas n’ayant pas à prendre en charge l’intégralité de nos frais, mais son refus est catégorique.

— Tout est déjà réservé et réglé. J’ai fait en sorte que vous n’ayez à vous soucier de rien durant votre séjour. Alors embarquons, notre capsule nous attend.

Les portes à peine refermées, des écrans s’allument au-dessus des 360° de vitres, et diffusent des images de la vue promise.

— Une bande son les accompagne et donnent normalement une multitude d’informations, m’explique Perfection, mais j’ai demandé à changer, le temps de notre voyage. Tu devrais l’entendre dans quelques secondes.

Je reconnais immédiatement l’air de Tainted love de Soft Cell*, même le volume réduit.

— Comment as-tu su que cette chanson est dans mon top dix ? demandé-je en me dandinant, emportée par la musique et la voix.

Lukas me sourit et répond avec un clin d’œil malicieux :

— Je l’ignorais, mais elle fait partie de ta playlist.

Il se dirige vers le bar et nous invite tous à nous en approcher, avant de faire un signe de tête à la barmaid qui s’empresse de sortir un seau à champagne, puis les coupes. En parfait gentleman, il en offre une à chacun d’entre nous, à peine remplies. Je ne manque pas les doigts de perruque blonde, refermés sur ceux de sa proie, tandis qu’elle le regarde d’un air langoureux. Je me détourne et feins ainsi l’indifférence, dans l’attente qu’il revienne à moi. Concentre-toi sur la musique. Le rythme de Wrecked de Imagine Dragons, ni trop lent, ni trop rapide me berce, tandis que je contemple la ville qui s’étale, les hôtels, plus imposants les uns que les autres et leurs parkings de la taille d’un centre commercial.

— Que souhaitez-vous boire, les jeunes ? demande notre hôte en les réunissant autour du meuble.

Ados et adultes servis, nous levons nos verres à Las Vegas, la ville du pêcher qui nous réunis, la ville du plaisir, comme je préfère l’appeler.

— À la ville du plaisir, valide mon prince charmant, ses iris scintillants plongés dans les miens.

Ses doigts effleurent mon menton tandis qu’il se rapproche et m’embrasse tendrement.

— Comment as-tu trouvé ma playlist ? demandé-je, curieuse.

Sa main sur ma hanche me pousse à me tourner vers les vitres, et il en profite pour se coller à mon dos.

— Nous sommes au plus haut, admire cette splendeur, me conseille-t-il.

Si je ne le connaissais pas, je croirais qu’il découvre lui aussi Las Vegas la nuit, en altitude. Il aime sa ville, il en est fier, et on le sent juste à l’intonation de sa voix quand il en parle.

— Tu n’as pas répondu à ma question. Comment es-tu certain…

— Carly, je l’ai vue sur ton téléphone, en France et en Guadeloupe. Tu mets toujours la même : Lana, Matt et Clément. Tu vois les fontaines, là-bas ? reprend-il en désignant des murs de jets d’eau, plus bas. Elles sont l’objet d’un spectacle, nous y assisterons, je suis sûre que tu seras émerveillée. Tous les touristes le sont.

— Ton casino est où dans cette jungle de lumières ?

— Devant les fontaines.

C’est une blague ? Que signifie cette réponse évasive ? Je surprends son reflet dans la vitre. Il est fasciné, sous le charme, encore une fois. Je surprends son regard émerveillé quand je me tourne vers lui, juste avant qu’il pose les yeux sur moi. Serait-il à l’origine du show aquatique que je crois discerner au loin ? Et les bâtiments dorés, juste derrière, composeraient-ils le Serenissima ?

— Viens, dit-il en s’emparant de ma main pour m’entrainer à quelques pas.

Dans une position identique à celle d’avant, il désigne la Strat, à travers la vitre, le restaurant où nous avons diné.

Le décor est splendide, vraiment, mais je ne peux m’empêcher de me demander combien une ville d’une telle envergure peut consommer en énergie.

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