15. Ciel étoilé

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Carly

De retour à Lyslodge, les jeunes nous abandonnent pour coloniser la salle vidéo. Ils vont sûrement jouer à Fortnite toute la nuit, et les filles vont s’évertuer à rendre les garçons accros à leur jeu du moment, Palworld. Je suis contente d’être loin d’eux, car les discussions s’annoncent animées ! Pourtant, je suis convaincue qu’ils vont tous finir par se prendre au jeu et disputer des parties endiablées.

— On prend un dernier verre ? propose John, infatigable.

Léandra cherche des excuses pour aller se coucher tandis que Sybille hausse les épaules avec indifférence. Lukas et moi hésitons. La journée a été riche en émotions, mais d’un autre côté, l’ambiance est détendue et agréable.

— C’est bon, on ne va pas passer la nuit sur la plage, insiste le directeur des restaurants, de sa voix trainante, en prenant la direction de la salle détente. Ici, c’est le désert.

Nous râlons tous aux souvenirs des soirées sur le sable, en France. Tous sauf Paulo, absent lors de cette rencontre franco-américaine.

— Aller, un dernier verre au bord de la piscine.

Nous capitulons et le suivons jusqu’à cette pièce, près du bureau de monsieur Sullivan père.

— Vous avez rendez-vous pour un footing, demain matin, tu t’en souviens ? tenté-je pourtant, abandonnée par Lukas, déjà concentré sur le remplissage des coupes de champagne, derrière le bar.

Nos verres en main, nous prenons place sur les fauteuils de la terrasse qui nous ont accueillis après la visite de Lyslodge.

— Leandra m’a raconté que vous faisiez des jeux, le soir, en France. De quel genre, pour la famille, réflexion, ambiance, culture générale ?

Un silence s’installe, durant lequel les regards amusés s’échangent entre gloussements et rires contenus. Personne n’ose poser les yeux sur le pauvre Paulo, qui se demande ce nous rend si mystérieux. Son épouse essaie de rester discrète quand elle nous fait les gros yeux et finit par répondre avec précipitation :

— Ambiance ! On s’amusait avec des jeux d’ambiance. On a bien rigolé, n’est-ce pas ?

Face au fou rire qu’elle tente de dissimuler, je ne tiens plus et provoque l’hilarité générale lorsque je m’esclaffe enfin. Son mari nous observe, indécis sur l’attitude à adopter. Doit-il partager notre bonne humeur ou au contraire s’en offusquer ?

— Je confirme, des jeux d’ambiance, acquiesce John, farceur. Maintenant, la question à se poser serait de quelle ambiance parlons-nous.

— Je suis tout ouïe, insiste le nouveau joueur potentiel.

— On va aller se coucher, chéri, hein, tu as assez bu pour ce soir et je suis fatiguée.

Mon amie se tient derrière lui et pousse son dos pour l’inciter à se mettre debout.

— Je suggère que chacun parte s’amuser dans sa chambre, intervient Lukas en se levant. Rendez-vous à six heures, pour les coureurs matinaux. Bonne fin de soirée.

Nous prenons rapidement congé puis traversons la maison, main dans la main. Dans le vestibule, près du hall, je marque une pause.

— Je vais prévenir les enfants et leur demander de terminer rapidement, tu m’accompagnes ?

— Oui, je vais leur suggérer de se joindre à nous demain matin.


*****


— Je prends la douche en premier ! crié-je en me ruant à travers la suite de mon milliardaire.

Hélas, je manque de rapidité car il me pousse contre la porte avant que je n’ai le temps de l’ouvrir.

— Sans même m’y inviter ? murmure-t-il, taquin.

L’espace entre nous,pourtant restreint, me permet malgré tout de me retourner et de lui faire face, avant de poser mes bras sur ses épaules.

— Je vous appellerai, mon prince, quand je serai prête à vous y voir.

Après avoir déposé un baiser rapide sur ses lèvres, je me dégage doucement et me réfugie devant les lavabos.

Je prends une douche rapide puis me prépare à nettoyer mes yeux, surprise que Lukas ne m’ait pas encore rejointe.

Il apparait soudain dans le miroir, alors que je m’empare du flacon de démaquillant.

Je lui souris, saisis un cercle de coton sur lequel je dépose quelques gouttes de produit puis attend que le propriétaire des lieux veuille bien faire demi-tour. À la place, il se rapproche encore, sans quitter mon reflet des yeux, s’installe derrière mon dos et glisse ses bras autour de ma taille. Son souffle effleure mon oreille, ses lèvres me font frissonner quand elles frôlent ma peau, le long de mon cou et le doux baiser qu’il dépose à la base de mon épaule m’arrache un soupir de bien être. Je me laisse aller contre lui, la tête en arrière tandis que sa bouche devient plus gourmande. Enfin, il se redresse, me débarrasse du disque humide et m’aide à m’assoir sur un tabouret en cuir blanc. La tête levée vers lui, je ferme les yeux tandis que ses doigts passent et repassent délicatement la rondelle de ouate sur ma paupière. Il imprègne ensuite un autre cercle de démaquillant, puis répète l’opération du côté opposé.

— Que fais-tu après ? demande-t-il en examinant les flacons dispersés autour de la coquille de porcelaine.

Il écoute attentivement mes explications puis frotte le savon entre ses paumes, avant de les poser avec lenteur sur mon front, d’étaler la mousse sur mes joues, puis de dessiner les creux de mon nez, ceux du menton, aussi. J’entrouvre la bouche lorsqu’il effleure les contours de mes lèvres et je tends les bras vers son cou. Hélas, il recule avec vivacité en riant.

— Ne sois pas si pressée, gronde-t-il, taquin. Je n’ai pas encore rincé ce joli petit museau.

Étonnée par l’expression, je l’interroge du regard, certaine qu’il plaisante, mais son air sérieux et satisfait me surprend davantage. Je demande, faussement offusquée :

— Museau ? Depuis quand j’ai un museau ? À quel animal me compares-tu ?

Déconcerté, il réfléchit quelques secondes puis répond, tout sourire :

— Une licorne ! Quoi ? C’est beau une licorne !

— Mais elle a une corne en plein milieu du front !

— Oui, pour se défendre de ses ennemis. Genre, Adeline.

Un violent fou rire me secoue, au point de faire surgir mes larmes. Lukas rigole, fier de lui et surtout enchanté par sa comparaison. Alors que l’eau coule sur un gant blanc comme neige, il poursuit, de plus en plus convaincu :

— Une licorne, c’est mieux qu’une ourse, non ?

— C’est la seconde fois que tu me parles d’ourse en ce sens. À qui penses-tu ? Sybille ?

— Heu, oui. Tu n’as pas vu l’accue…

Nouvelle éclat de rire, finalement partagé avec mon Lukas, soulagé par mon hilarité.

— Alors, dis-moi, à quoi te font penser mes enfants ?

— Je ne sais pas. Pour ta copine, c’est à cause de son caractère. Tu n’étais pas là quand elle m’a accueilli en Guadeloupe. Son acharnement contre moi a duré jusqu’au dernier soir. Et enfin, elle a accepté de croire en ma sincérité, en nous.

La douceur de l’éponge et la chaleur qui s’en dégagent, combinées à la lenteur des gestes de ma perfection, me plongent dans une plénitude où je me laisserais bien dériver.

Sybille peut se montrer impitoyable. Le principal, c’est qu’elle ait finit par accepter qu’il éprouve des sentiments et qu’elle soit passée à autre chose.

Lukas s’occupe de moi, toujours assise sur le tabouret qui tangue. Ma mâchoire menace de se décrocher à chaque bâillement, de plus en plus profond.

Mon milliardaire rince mon visage et le sèche, tendre et attentionné. Il me soulève ensuite pour m’emmener sur son immense lit où il me dépose avec soin, comme s’il risquait de me briser s’il se montrait trop brusque.

Les draps douillets et le son de leur froissement me procurent une nouvelle sensation de bien-être, et plus encore lorsque le parfum d’aloe vera envahit mes narines. Le matelas épouse la forme de mon corps et m’apporte une apaisante impression de sécurité. Mes paupières sont lourdes, humides.

Alors que mon amant se penche pour me donner un baiser, je m’entends murmurer le désordre de mon cerveau épuisé :

— Je suis désolée. Levée aux aurores, avec l’alcool. Te revoir, tu n’étais pas là, et j’ai eu peur. Et Adeline ! Elle m’a épuisée. Et puis… Tu m’en veux ?

— Bien sur que non. Repose-toi, ce sont tes vacances aussi.

Je ne dors que d’un œil, malgré l’oreiller incroyablement moelleux. Le martellement de l’eau sur le carrelage me parvient de la salle de bain, même étouffé par d’épais murs.

Lukas revient dans la pièce principale et tire une chaise. Mon regard s’attarde sur lui, alors qu’il s’installe devant son bureau et commence à pianoter sur son ordinateur. C’est la première fois que je le vois si concentré, si sérieux. J’imagine Monsieur Lukas Sullivan, trônant au bout d’une immense table en bois, forcer le respect de ses associés et actionnaires. Qu’est-ce que j’ai de plus qu’une Adeline pour mériter un tel homme ? Je connais son côté joueur, son côté amant, mais j’ignore tout du professionnel, à la tête d’un établissement de luxe.

Je contemple les courbes dessinées par ses muscles, sur son torse, puis m’étire en gémissant, allongée sur le dos, en vue d’attirer son attention. Bingo ! Interpellé par ma voix, il tourne la tête et me sourit tandis que ses yeux parcourent ma silhouette. À nouveau tournée vers lui, je détaille moi aussi son anatomie, avec effronterie.

Alors qu’amusé, il quitte l’espace de travail et se dirige vers le bar, je reprends ma position et m’étends sur le matelas, le drap remonté de manière à bien mettre ma poitrine en évidence. C’est alors que je remarque le panneau de verre au plafond, de la taille du lit, dont la vue est obstruée par un volet roulant. Me voilà totalement réveillée.

Lukas abandonne son caleçon sur un tabouret, puis éteins les lumières avant de s’approcher du lit, nu. La nuit claire apporte une douce lueur qui s’infiltre par les baies vitrées du salon, seulement calfeutrées par d’épais rideaux. Lukas se déplace sans bruit, dans la pénombre, et je sais qu’il me regarde. Sans doute se demande-t-il si je dors. Les contours de son corps et l’envie de m’y coller, de le toucher, provoquent les picotements familiers de mon bas ventre. Enfin, perfection me permet de me lover contre lui quand il s’allonge à mes côtés. Son bras doucement glissé sous ma nuque, il se redresse et dépose un baiser sur mon front, me croyant bien partie au pays des songes. Je désigne alors le panneau de fer de l’index, au-dessus de nous.

— Tu admires les étoiles quand il est ouvert ?

— Oui, tu veux les voir ? propose-t-il, la surprise passée.

— Pourquoi pas, peut-être que cette fois je reconnaitrai les deux ourses. Depuis quand te passionnes-tu pour l’astronomie ?

Mon bel amant se penche vers sa table de chevet et appuie sur le bouton d’une télécommande. L’obstacle se retire, lentement, en silence et dévoile peu à peu la voie lactée.

— Mon père passait des heures derrière sa longue vue parfois, le soir, pendant que ma mère lisait dans la salle détente, me confie-t-il avec tendresse. Il arrivait durant les vacances qu’il me permette de regarder, mais j’étais comme toi, à l’époque, je ne voyais rien que des lumières sur fond noir.

Il reste silencieux quelques secondes, se remémorant ces moments de bonheur. Pourtant, son timbre se charge d’amertume lorsqu’il reprend :

— Puis mes parents ont disparus et le petit garçon que j’étais a bêtement cru qu’ils avaient rejoins ces étoiles. Longtemps. J’ai insisté pour qu’on installe ce panneau de verre, pour m’endormir avec eux chaque soir. À quinze ans, je m’accrochais encore à cette illusion. En secret. Mais peu à peu, j’ai commencé à admettre qu’ils ne vivaient pas sur une autre planète plus lumineuse d’où ils nous protégeaient ma sœur et moi.

Il marque une autre pause durant laquelle il se perd dans ses pensées, puis sursaute et poursuit, le ton enjoué :

— Bref, ce soir je veux me consacrer à la femme extraordinaire qui partage mon lit.

Il penche la tête au-dessus de moi et me donne un léger baiser avant de s’échapper lorsque ma bouche s’entrouvre pour approfondir l’étreinte de nos lèvres. Hélas, il s’est déjà laissé retomber sur le dos.

— Tu vois l’étoile polaire ? Elle veille sur nous, ce soir, m’assure-t-il d’une voix douce, émerveillé par le spectacle, le doigt tendu. Elle est la base de la queue de la petite ourse.

— Tu as un problème avec les ourses, taquiné-je.

Après un moment à écarquiller les yeux, j’exprime ma joie :

— Je crois que je vois ta bête. La casserole est bien là et elle n’a rien d’un animal !

— Regarde plus bas, il y a sa mère, explique mon professeur, amusé. Sur la gauche. La petite ourse monte, la grande descend.

— Oui, je la reconnais aussi ! Toutes les deux forment un triangle avec la lune. J’adore ! Tu en connais d’autres ?

Mon doigts en l’air esquisse les formes tandis que Lukas continue, sérieux.

— Il y a le dragon, près de la petite ourse, puis Hercule.

J’essaie tant bien que mal de distinguer monstre et homme, en vain.

— Je doute que tu les trouves, à ce stade de ta formation, rit Perfection. Par contre, l’Hercule qui partage ton lit va te faire l’amour sous ce ciel étoilé.

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