Partie II : Renaissance (1/3)

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 Les discussions, les propos inquiets fusaient. Elle pénétra dans la salle d’un pas décidé, mallette en main. Sa fatigue ? Oubliée. Son expression ? Rigide. Son premier regret fut de constater qu’ils n’étaient que quatre. Elle scruta les uniformes pour repérer les noms et les grades de chacun. Sa mémoire eidétique ne la tromperait pas.

 Le Lieutenant entra à son tour, morose, exténué. Il avait œuvré inlassablement pendant six heures pour obtenir aussi peu. Elle l’interrogea tout de même du regard, ses sourcils blond doré se dressèrent. L'expression du Lieutenant se contrit. Elle se saisit de la feuille qu’il lui tendit. Cette dernière relatait le maigre équipement disponible. Elle le scruta de son regard impérieux.

— J’en espérais au moins le double.

Aussi peu pour une tâche aussi importante pensa-t-elle. Markus secoua doucement la tête. Elle savait qu’il avait donné son maximum. Son visage voilé par la fatigue en était une preuve suffisante.

— Beaucoup de désertions fit-il, la quatrième division, qui avait été formée hier avec le reste des armées est déjà annihilée. Le peu de troupes restantes sont mobilisées à la protection des derniers quartiers : ceux du centre.

 Aria opina du chef. Elle s’avança lentement pour se positionner derrière l'écran holographique flottant. Une technologie composée de lasers à pulsation ultra courte, se mesurant en attosecondes et ionisant l’air ambiant pour former une image en trois dimensions. Elle posa le porte-documents à ses pieds. Tous récitèrent prestement et en chœur la devise de l'E.R.H.K.

Sacrifier l'individu pour le salut de l'humanité !

 Markus rejoignit les autres après un salut mou et retourna une chaise pour s'y installer à cheval, les bras croisés sur le dossier. Enfin, elle examina brièvement le rapport du Lieutenant et s’abstint de toute politesse. Elle éclaira sa voix.

— Je vais être succincte : vous êtes là pour accomplir une dernière mission.

 De deux doigts, elle zooma sur la carte.

— Nous partons dans quinze minutes, notre objectif est la place centrale. En-dessous se trouve un complexe où certaines recherches scientifiques ont été menées. Elles ne doivent pas tomber entre les mains de nos ennemis. Nous devons détruire l'installation et partir le plus vite possible.

 Elle chercha un instant dans les documents synthétisés et annexés par le Lieutenant à l’image holographique et ouvrit un rapport qu’elle parcourut en travers. Pour son maigre auditoire, le discours demeurait fluide.

— D’après les derniers rapports de communication, datant de plus d’une heure, nos troupes tiennent la place, mais cela ne durera pas. Entre la révolte des Sujets et...

 Un des deux soldats, le Major Gunther, tapa du pied et pesta de la situation.

— Ces vermines ! C'est à cause d'eux si nous n'arrivons pas à tenir nos ennemis à l'extérieur. Nous aurions dû nous en débarrasser plus tôt.

 Aria ricana doucement ce qui le surprit.

— Et alors ? s'exclama-t-elle.

— Oui ! S’ils étaient restés à leur place, souffla Markus. Les assassinats, les sabotages, les embuscades... Nos troupes sont tiraillées par la terreur !

 La Commandante resta de marbre. Les rebels avaient été décisifs dans la défaite qui les attendait prochainement. Un brouhaha s'éleva. Elle en profita pour taper sur divers points de la carte qui flottait devant elle. Un léger halo de lumière illumina les points d'intérêts qu'elle désigna du doigt, marquant ainsi les différentes zones sur la carte virtuelle. Elle dessina encore plusieurs traits et cercles au-dessus des bâtiments. D’un geste de la main elle intima le silence.

— Futilités ! Il est trop tard de toute façon pour ces discussions.

Comme si depuis le début l'issue n'était pas désignée ? pensa-t-elle tout en toisant Gunther. Elle retint sa colère. Elle avait entendu d'innombrables fois ces phrases : ceux qui refont le monde en se trouvant un bouc émissaire alors que les dés sont déjà jetés. Le si des lâches.

— Concentrez-vous ! Croyez-vous que nos troupes soient encore en poste ? Nous n’avons qu’un Osprey et deux Ironwitches et nous serons probablement en terrain ennemi.

 Elle tapa du poing contre la paroi de la petite salle, derrière elle.

— Lieutenant Hartheng, Capitaine Meyer, vous piloterez les deux escortes. Capitaine Javianni, l’Osprey. Major Gunther, Adjudante-chef Parler, avec moi au sol. Notre code de mission sera...

— Black Eagle, coupa Meyer durant la seconde de réflexion d’Aria. Après tout, l'aigle sera dehors une dernière fois.

 Meyer arbora fièrement un rictus de satisfaction. L’assemblée se félicita, amusée par ce nom de code. Aria leva légèrement sa main pour les sommer de l’écouter. Elle restait placide, concentrée sur sa mission.

— Dès que l'Osprey se posera, la mission des deux Ironwitches sera de défendre la zone...

 Elle marqua une pause. Sa main glissa dans le vide pour faire pivoter l’hologramme, le dessus tourné vers ses interlocuteurs pour que ceux-ci puissent observer le plan. Elle le réduisit d'un geste en deux dimensions et dessina un cercle luminescent autour de la place.

— ...contre toute intrusion dans le périmètre, et surtout, d’éliminer les drones lancés contre nous depuis les immeubles.

 De son index, elle désigna Gunther puis Parler.

— Quant à nous trois, nous irons dans le complexe pour poser des charges explosives et détruire l’installation. Notre objectif est de s’assurer que personne ne s’empare du matériel scientifique.

 Elle observa chacun de ses compagnons. Leur visage, leur expression, elle souhaitait mémoriser cet instant. Elle se surprit à penser que tout ceci était pitoyable. Elle sentit son corps frissonner.

 Gunther leva le bras. Aria le fixa avec sévérité, il hésita mais prit finalement la parole.

— Commandante, qu’est-ce cet endroit cache ?

— Vous le saurez une fois dedans rétorqua-t-elle. Si nous y parvenons.

 Le temps se suspendit, le bruit léger de la ventilation emplit la pièce figée. Meyer se dressa pour regarder la carte.

— Il n’y a presque plus de défenses anti-aériennes. Comment on s’organise si une nuée nous attaque ?

 Aria toisa Meyer. La réponse était évidente. Meyer sépara un instant ses lèvres, mais se contenta d’exhaler son air. Aria éluda le reste de leurs interrogations, éteignant d'une simple expression d'agacement leurs plaintes et toute forme d'agitation. Elle éteignit la machine et sortit de la salle la première, reprenant sa mallette au passage et d’un pas pressé se rendit à l’armurerie. Tous la saluèrent avant de la suivre.

 Forêt d’étagères désolées, elle récupéra le maigre équipement épars. Son uniforme tomba à terre pour laisser place à une combinaison gris anthracite en cellules de carbone. Elle arracha un gilet de protection lourd ainsi qu'un casque intégral. Clé de voûte de la guerre moderne : un masque à filtration plus efficace, destiné à l'infanterie pour faire face aux différents agents chimiques qui étaient filtrés en temps normal par les appareils de combat. Enfin, elle attrapa une arme qu'elle affectionnait tout particulièrement : un pistolet mitrailleur à propulsion électromagnétique, un Fauchon-Villeplée V, puissant et destructeur, doté d'un canon long. Un peu lourde, avec un fort recul, elle offrait en contrepartie une arme beaucoup plus silencieuse et précise que les armes à feu. Elle porta l'automatique avec une bandoulière et compléta son matériel de deux grenades, une assourdissante et une à fragmentation, d’une oreillette interne et de matériel tactique de ciblage et de repérage. Enfin, elle ouvrit un coffre accessible uniquement aux officiers supérieurs et en sortit un terminal de connexion quantique. Paré, le petit groupe reprit l’ascenseur pour se rendre auprès des aéronefs.

 L’ascenseur s’arrêta une première fois et Markus bredouilla dans sa barbe hirsute.

— Ne fais rien de stupide.

 Aria serra sa main, lui glissant le carré de papier préparé au préalable. Les deux pilotes de combat s’éloignèrent dans un couloir annexe menant vers les profondeurs alors que les quatre autres continuèrent leur ascension vers l’extérieur.

 Spectacle affligeant. La zone de décollage s’était encore dégradée. Des explosions provenant de toutes les directions sonnaient comme les cloches de mille églises.

— Ça ne va pas en s'arrangeant s'exclama Parler tout en accélérant le pas.

— Bientôt nous nous battrons à l'ombre ! vociféra Gunther.

— Une ombre lumineuse, phosphorescente ! une ombre lumière, compléta Parler gaiement.

— D'humeur poète ? s'enquit Jiavanni.

 Un obus tomba à cinq cents mètres en avant, provoquant un souffle de chaleur insupportable qui les coucha au sol. Des flammes se répandirent dans le ciel, se mêlant à des masses d'air déjà chargées en gaz et en agents chimiques. Une danse éblouissante, aveuglante. Une nuée d'étourneaux de feu s'éleva à plusieurs centaines de mètres du sol et recouvrit l'horizon en une vague déferlante.

 Gunther attrapa Aria et hurla à tous de se redresser. Ils se précipitèrent, avant que le brasier n'atteigne le sol, à bord de l'appareil qu'un robot venait de positionner. Ils décollèrent sans attendre, accélérant en rase motte pour éviter la déflagration qui les chargea comme une horde de bisons. Quelques débris enflammés les percutèrent mais la carlingue blindée de l'Osprey, encaissa les coups, le carénage des rotors basculant avait sauvé les hélices.

 Les Ironwitches eux, furent envoyés dans les airs par une catapulte souterraine.

 Après ce décollage tumultueux où tous prièrent pour qu’un nouvel obus ne tombe pas sur eux, ils débutèrent le court trajet en direction du centre de la capitale. Jiavanni rasait les bâtiments, s’engouffrant entre eux avec aisance. Elle maîtrisait la fusion homme-machine, l’environnement virtuel lui prodiguant une sensation de légèreté. Elle nageait comme dans une cuve d’eau limpide de la forme de l’aéronef. A tout instant elle avait une vision à trois cent soixante degrés.

 L’équipage, grâce à la retransmission des images sur un écran à l’intérieur de l’habitacle constatèrent le chaos qui régnait. Les cadavres indistinguables jonchaient les rues et les toits de ce qui ne s’était pas effondré. Un massacre aveugle. Tous n’eurent aucun mal à s’imaginer la mare de sang épouvantable dont ils n’observaient qu’une partie infime.

— Zone de largage atteinte dans un kilomètre, j’ouvre la porte latérale fit Jiavanni.

 L’air s’engouffra et tous se levèrent, se tenant à un câble en aluminium fixé au plafond pour éviter d’être déséquilibré par les secousses. Les rotors furent orientés vers le sol et l’appareil ralentit. Un choc contre le fuselage : une masse de métal traversa l’appareil. Le sang, les débris d’os, de cervelles et de boyaux de Jiavanni furent projetés de partout. Il ne restait d’elle que les jambes et un bras remuant sur un levier. L’appareil entama une vrille descendante. Parler fut éjectée contre les hélices et l’appareil laissa dans son sillon un nuage de matière rougeâtre. La force centrifuge plaqua Aria et Gunther contre les parois.

 L’Osprey heurta le sol. Sur une centaine de mètres, il glissa sur l’immense place centrale et emporta quelques statues et végétations en piteux état.

— Réveillez-vous ! hurla Gunther tout en la secouant. Il faut déguerpir d’ici au plus vite !

 Gunther tapota d’une main le casque d’Aria. Elle reprit ses esprits, elle avait entre ses bras la mallette serrée contre son torse. Elle gémit, Gunther venait de planter une seringue dans sa cuisse, un cocktail puissant d’analgésiques. Il enroula son bras autour d’elle et la souleva par la taille pour la traîner hors de l’habitacle, lui évitant de finir carbonisée par le feu naissant. Au dehors, ils chancelèrent vers ce qui ressemblait à un kiosque derrière l’épais nuage de fumée et de poussière. Gunther s’accroupit, il bouscula Aria sur le côté et ouvrit le feu sur sa gauche.
— Commandante, avancez jusqu’au kiosque ! Vite !

 Il se retourna, il perçait le brouillard grâce à sa vision thermique. Aria avança, la douleur envahissait toutes ses articulations, des gouttes de sang coulait de son arcade pour ruisseler sur ses joues. La combinaison renvoyait malgré tout de bonnes constantes. Elle se projeta à terre sur ordre du Major et des balles filèrent dans sa direction. Des hurlements à peine audibles, couverts par le bruit des combats, à une vingtaine de mètres de là. Elle reprit sa course et ils se mirent à couvert dans l’abri de fortune. Elle grimpa à l’intérieur, s’assit contre les parois de métal, posa la mallette à ses côtés et désangla son arme. Gunther la rejoignit, pas une seconde il n’adressa un regard à Aria, il gardait le visuel sur la place.

— C’est une purée, on ne voit rien à trente mètres. Vous allez mieux ?

 Aria leva sa main pour s’agripper et se relever. Elle se plaça à ses côtés.

— La combinaison ne donne pas d’alertes particulières grommela-t-elle. Je pense que j’ai quelques contusions. Pour le reste, ton injection devrait bientôt faire effet.

 Gunther discerna un trait chaud.

— Au sol !

 Avant même qu’ils n’aient agit, l’objet s’écrasa derrière lui en arrachant une partie de la cachette. Des débris rougeoyants aveuglèrent leurs yeux comme si un feu d’artifice venait d’exploser à côté d’eux. Les éclats ricochèrent contre leurs combinaisons.

Les deux roulèrent sur les côtés et une nuée de munitions disséqua petit à petit la structure.

— Les salopards, ils sont partout ! On était censé tenir cette place ! s’écria-t-il nerveusement alors que la pluie de munitions cessait.

 Une voix résonna dans l’oreillette, Aria poussa un léger soupir. L’appel était difficilement audible à cause des brouilleurs.

— Ici Meyer… Har… drones … immeubles … inter…, je … support… rentrez… complexe… vous…

 Malgré la mauvaise réception, les mots découpés pouvaient être contextualisés et complétés.

— Ici équipe Black Eagle, accusons deux pertes, nous continuons.

 Puis, après un léger grésillement, Meyer synthétisa ses paroles en action. Son Ironwitch surplomba la place en vol stationnaire dans un vacarme assourdissant. Elle abattit sur les positions ennemies alentours une tempête de munitions explosives.

 Aria se mit en mouvement, elle avait déjà calculé le cap à prendre grâce à une connaissance affinée des plans du complexe et de ses environs. Elle fit signe à Gunther de progresser à ses côtés, le dos arqué, prête à faire feu. Avec l’escorte au-dessus qui déversait l'enfer, les deux ne rencontrèrent aucune difficulté à avaler la centaine de mètres pour rentrer dans le bâtiment qu’elle reconnut du premier coup d’œil malgré son état de délabrement.

— Nous y sommes ! Maintenant nous devons rejoindre le complexe. L’accès doit être au bout du couloir.

 Aria activa le micro d’une pression sur son casque pour contacter Meyer.

— Black Eagle à Eagle, nous sommes dans le nid, protégez les airs jusqu’à notre retour, ordre absolu, communications coupées en bas.

— Ordre reçu ! répondit Meyer.

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